La situation au Mali

Par Issa N’Diaye, Professeur à l’université de Bamako avec Lettre des relations Internationales du PCF

mali_nordLRI : La légitimité politique à la demande d’intervention militaire émise par le gouvernement transitoire malien est discutée par l’opposition malienne, pourquoi ?

Issa N’Diaye : Le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, aadressé une requête à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour obtenir rapidement une intervention militaire étrangère « dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et la lutte contre le terrorisme ». Pour légitimer cette demande, le Front uni pour la défense de la République et de la démocratie (FDR), force politique proche du gouvernement, a attesté dans un communiqué que cette demande émanait de la volonté populaire malienne. En réalité, personne n’a été associé à cette requête. C’est ce que le SADI (le parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance) et le MP22 ont dénoncé. Nous pensons que la solution doit être une solution malienne. Depuis le début, nous alertons sur le fait que toutes les négociations se tiennent hors du Mali, particulièrement au Burkina Faso. Le président Compaoré et le président ivoirien Ouattara, interlocuteurs privilégiés de la France, prennent les décisions. D’ailleurs, Compaoré est attendu le 18 septembre à Paris. Nous ne voulons pas d’une force d’interposition sur notre

sol, nous souhaitons une libération du Nord avec au centre nos forces armées.

LRI : Vous défendiez l’idée de la tenue d’une Conférence nationale, avec toutes les parties en présence, mais cela n’a pas abouti. Pourquoi ?

IN’D : Oui, nous voulions la tenue d’une conférence nationale avant la formation d’un gouvernement pour définir précisément les objectifs politiques et les priorités pour l’avenir du peuple malien. Nous étions en train de rassembler des forces politiques sur ce projet. Mais les États-Unis ont fait pression pour accélérer la mise en place de ce gouvernement dont le premier acte a été la demande d’une intervention militaire étrangère comme seule solution au problème malien. La France s’aligne sur cette position.

LRI : Comment voyez-vous le rôle de la France dans cette aventure guerrière ?

IN’D : La France joue un jeu paradoxal. D’une part, la France et les États-Unis pressent l’Algérie d’agir, sans pour autant lui en donner les moyens. D’autre part, aucune sanction n’est prise à l’encontre du Qatar qui finance avec l’Arabie saoudite directement les islamistes et la guérilla dans le nord. Leur stratégie est de disposer d’un levier d’influence dans une zone riche en ressources et importante pour les États-Unis. Comment la France peut-elle intégrer dans ses soutiens le Qatar et l’Arabie saoudite, alors qu’elle est censée combattre les islamistes ? Le projet est bel et bien l’islamisation de cette zone et la main mise des intérêts géostratégiques avec la présence d’uranium, de gaz et de pétrole.

LRI : Comment a été perçue la nomination d’un haut représentant islamiste dans ce gouvernement d’union nationale?

IN’D : Cela a laissé beaucoup de gens perplexes. L’illusion des politiques est de croire qu’ils peuvent utiliser les islamistes. Ils ont passé des accords pour s’assurer que le premier ministre reste en place. Cette décision est contraire à la constitution malienne qui interdit la nomination sur critères religieux ou ethniques. Il ne sera pas surprenant que nous ayons un candidat islamiste aux prochaines élections, aussi en raison de la défiance populaire vis à vis des partis politiques. C’est un scénario qu’il ne faut pas exclure et qui colle à la stratégie du Qatar et de l’Arabie saoudite. Ni les États-Unis ni la France ne s’en trouvent dérangés, ce qui les intéresse, c’est la sécurisation de leur ravitaillement énergétique.

LRI : Quelle issue politique pour la réunification ?

IN’D : Le mouvement Ansar Dine, ce sont des Maliens, au même titre que les Maliens du sud. Ils ne souhaitent pas la partition du Mali, ils veulent par contre instituer la charia comme moteur du fonctionnement de l’État au nord et au sud. Pour nous, c’est inacceptable. Les enjeux sont multiples, il y a aussi les oppositions au sein des chefferies concernant leurs pouvoirs.

LRI : Pensez-vous échapper à une solution militaire ?

IN’D : Non. Nous disons depuis le début qu’il faut une intervention militaire malienne et nous en demandons les moyens. Ce qui est incroyable, c’est que la CEDEAO bloque avec la France depuis le 27 juillet des armes dans le port de Conakry (Guinée Conakry). Ils prétendent vouloir aider le pays, mais nous empêchent de prendre position en réduisant nos capacités offensives. Ce qu’ils veulent, c’est décider à notre place, comme cela se passe aujourd’hui dans d’autres pays du monde.

LRI : Comment concrètement le Parti communiste français peut être solidaire ?

IN’D : Nous avons besoin de renforcer la solidarité entre les forces progressistes africaines au niveau régional et en Afrique. Vous avez de nombreux contacts, nous vous demandons de nous y aider. Nous avons maintenant besoin d’une solidarité politique contre la guerre et que la volonté du peuple soit respectée dans ses choix. C’est le moment pour les partis de gauche de la sous région de mettre en commun une réflexion par rapport à la situation, de trouver une solution pour les peuples par les peuples. Nous travaillons à mettre en place une structure régionale de concertation qui a pour objectif la constitution d’un comité de suivi afin de créer les meilleures conditions politiques de changement pour le peuple malien. Nous appelons à la solidarité des peuples pour faire bouger le rapport de force.

 

source: lettre des relations Internationales  www.pcf.fr  septembre 2012

 

Toute reproduction totale ou partielle interdite sans l’autorisation de kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page