S’il est vrai que le concept de «droit d’ingérence humanitaire» est devenu, par son caractère universel, la passerelle incontournable d’atténuation des souffrances des populations victimes de la famine et autres calamités, il n’en demeure pas moins que les méthodes d’intervention des structures en charge de sa mise en œuvre – les ONGs de Droit international – doivent être revues et repensées, pour les hisser à la hauteur de leur mission.
Dans l’exécution des différentes interventions qui leur sont dévolues, on s’aperçoit hélas, que ces ONGs de stature internationale dérivent – au nom de l’urgence, « le » mot à la mode – vers une assistance ponctuelle, ciblée et insuffisante, au détriment du développement durable inscrit, par les Nations Unies, dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). L’exemple de la wilaya du Gorgol est, à cet égard, significatif : au regard de l’acuité des questions de développement qui s’y posent, la synergie des moyens et des compétences ne devrait-elle pas se traduire par une amélioration qualitative des moyens d’existence, sur le long terme, en lieu et place d’un éternel recommencement, aux effets redondants et inexpressifs ?De la dérive à l’assistanat
Aujourd’hui, le Gorgol est le réceptacle de plusieurs ONGs internationales qui interviennent dans différentes localités, à travers des programmes et des projets aux contours identiques et souvent duplicatifs. En effet, à la faveur du déficit pluviométrique et de ses effets collatéraux de famine et de malnutrition, la justification est toute trouvée, pour sillonner le territoire et tenter d’apporter le sourire à ceux qui, dit-on, en manque. Dans ce contexte peu reluisant et sous le regard, indiscret, d’une administration moins portée sur les questions de développement, ces organisations aux moyens étendus se déploient, dans les strictes bornes d’élever le niveau de vie des populations à travers la lutte contre la malnutrition des enfants et de leur génitrice enceinte ou allaitante, l’accès universel des populations à l’eau et l’assainissement, en passant par le « food for work » (vivres contre travail) et une dernière activité-phare, le cash transfert.
A ce titre, le « Triangle de l’espoir », zone privilégiée, s’il en est, reste le champ d’expérience le plus achalandé des intervenants comme des « ministères fourre-tout » : ils y débarquent, marquent leur territoire, tentent, au mieux, de répondre aux besoins vitaux des populations. Dans ce pré carré triangulaire – quadrature du triangle – tout y est : chaque structure se veut royale, bien présente par le nombre de rotations des gros cylindres de ses voitures budgétivores dont le ronflement est devenu familier à l’ouïe du jeune famélique. Et le triangle est tant sillonné qu’il paraît bien s’affaisser, s’asphyxier, en cette compagnie, au point que celle-ci semble produire les effets contraires que ceux prétendument avancés. Résultat : au-delà des préoccupations majeures ciblées, en termes d’impact, le sentiment d’échec s’annonce le mieux partagé, selon les dernières tendances, en ce qui concerne la malnutrition, domaine où toutes les ONGs ou presque prétendent détenir expertise. Parler d’un échec, ce n’est pas trop dire, c’est, plutôt, une manière d’attirer l’attention des uns et des autres, sur les méthodes d’action et de leur pertinence, dans l’approche jusque là utilisée, fondée sur la distribution périodique d’aliments enrichis et un suivi guère pointu qu’à peine plus de constance aurait, sans doute, rendu efficace. Et la répartition, totalement déséquilibrée, dans l’espace de la wilaya, de ces ONGs qui se bousculent, repose la lancinante question d’une coordination qui puisse, vraiment, coordonner ; du moins valoriser les minuscules acquis, engrangés çà et là.
Quant à l’instauration, tous azimuts, de ce qu’on appelle le « cash transfert », ces ONGs ne se détournent-elles pas des axes fondamentaux du développement, pour se lancer dans la facilité qui transforme les bénéficiaires en nouveaux mendiants, tenus sous la perfusion mensuelle de 15 000 UM ? Voilà que des millions sont distribués, dans une opacité qui assombrit, notablement, la transparence criée sur tous les toits, alors que les besoins sont tellement criants et demandent bien plus d’imagination pour repousser, au loin, les limites de l’insécurité alimentaire. D’autant qu’aussi humbles soient-elles, ces différentes actions s’effectuent sans contrôle ni suivi, par les autorités. Pire : aucune étude d’impact n’est produite, pour évaluer et apprécier le niveau des vies des populations et juger de la conduite à tenir.
Le phénomène est à ce point répandu que même le Programme Alimentaire Mondial (PAM), l’institution spécialisée des Nations Unies, excelle, en cette distribution gratuite d’argent, en sous-traitant, avec des ONGs de Droit international qui devraient, en principe, intervenir avec leurs propres moyens et expertise et non se substituer aux ONGs nationales. De là à ce que la notion d’« ONG-cartable » change de camp, le pas est allègrement franchi, en attendant de dénoncer les nouveaux « peshmergas » du développement. Ainsi, comme si la marche solitaire était devenue le bouclier le plus rassurant pour gérer cette manne financière, les ONG nationales sont laissées en rade, en dehors de tous les programmes, alors que la réalisation des projets de développement exige qu’elles soient, au moins, associées et bénéficient d’un soutien qui leur confère de réelles aptitudes à la gestion de projet. Cette complicité insidieuse, chargée de paradoxes, tue, non seulement, les structures nationales mais pose, aussi, la problématique des relations organiques entre les agences de développement et l’administration. Alors que les paradigmes du développement local ne sont plus de mise, la mutation du statut « international » à celui du « local » est devenue plus que banale. Ce glissement subtil qui affecte, profondément, les rapports entre acteurs de tout genre doit être corrigé, au plus vite, au risque d’assister à une compétition déloyale qui ne sied point à un domaine aussi sérieux que la lutte contre la précarité et l’insécurité alimentaire.
Possible reconversion
La présence de ces organisations sur le territoire de la wilaya est, certes, un atout, considérable, en soi. Mais est-ce suffisant ? Dans l’optique de la valorisation des potentiels du Gorgol pour un développement durable, le document officiel de référence est le programme régional de lutte contre la pauvreté dont toutes les actions doivent s’inspirer, pour permettre un meilleur recadrage des structures de développement qui viennent en appoint aux pouvoirs publics, dans la mise en œuvre des priorités. Si l’on considère la manne financière engloutie dans les projets, le travail de qualité effectué par certaines d’entre elles, sans compter les opportunités locales valorisées, on se rend bien compte des limites dans la traçabilité et la diffusion de certaines actions qui pourraient bien faire cas d’école. Evidemment, les conditions d’un travail vraiment efficace ne peuvent être réunies sans l’implication de l’administration locale qui doit se donner des outils appropriés, pour bien jouer sa partition régalienne, tout comme les autres partenaires locaux qui doivent se munir d’un minimum de background pour se positionner en interlocuteurs valables. Sans toutefois verser dans un optimisme béat, il est à noter qu’à la lisière du possible, le réalisable est à portée de poigne. Alors, au boulot !
Biry Diagana CP Gorgol
Source : Le Calame le 25/07/2012
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com