Trois ans après son élection, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz aura réussi à imposer son style malgré la forte contestation intérieure. Son rôle clé dans la région et sa rupture avec les méthodes de ses prédécesseurs n’y sont pas étrangers. Enquête sur un homme imprévisible et secret.
Depuis quelques mois, la colère gronde dans les rues de Nouakchott. Mot d’ordre des protestataires : « Aziz dégage ! » Le président, Mohamed Ould Abdelaziz, fait face à une situation inédite. S’il n’a jamais été aussi contesté dans son pays, il n’en est pas moins incontournable à l’extérieur. Pour les Occidentaux, il est un allié indispensable dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Et pour les pays voisins, un acteur précieux dans le processus de gestion de la crise au Mali. « Nous avons conscience de ne pas être compris par les partenaires du pays, qui le considèrent comme un élément important dans la guerre contre le terrorisme, estime le chef de file de l’opposition, Ahmed Ould Daddah. Cette approche est trop simpliste. Il n’a consulté personne avant de se lancer dans cette aventure. »
S’il fait beaucoup parler de lui, « Aziz » demeure une énigme. Un homme très secret, dont les amis se comptent sur les doigts d’une main et qui se laisse peu aller à la confidence, même avec ses plus proches collaborateurs. Lesquels en savent très peu sur lui. Sauf qu’il est marié à Tekber Mint Malaïnine Ould Ahmed et qu’il a au moins quatre enfants. « Je dois tout contrôler moi-même », confiait-il à J.A. en 2010.
C’est donc la fin de l’état de grâce pour Mohamed Ould Abdelaziz, qui s’est forgé au fil du temps plusieurs images. Élu à la présidence de la République le 18 juillet 2009, le général de 53 ans n’était au départ pour les Mauritaniens qu’un militaire au béret vert, avare de sourires. Mais aussi le protecteur dévoué qui, lorsqu’il était à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep), a déjoué en coulisses plusieurs coups d’État contre Maaouiya Ould Taya, au pouvoir de 1984 à 2005. Il était enfin le putschiste qui, instruit des failles du régime, n’a pas résisté à la tentation de s’emparer du fauteuil qu’il était censé défendre. Le 3 août 2005, il s’est ainsi associé à Ely Ould Mohamed Vall, alors à la direction des renseignements, pour renverser leur patron.
De « général autoritaire » à « président des pauvres«
Mais, alors qu’Aziz était le véritable auteur du coup d’État contre le régime autocratique d’Ould Taya, c’est son cousin qui en a récolté les fruits. Président d’une transition considérée comme réussie (2005-2007), Ely Ould Mohamed Vall a été unanimement salué par la communauté internationale pour avoir, comme promis, remis le pouvoir aux civils. Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu président en mars 2007, bénéficie du soutien d’Aziz. Mais leurs relations se dégradent rapidement. En cause, du moins officiellement, la menace terroriste, qu’Aziz reprochait à « Sidi », jugé trop faible avec les islamistes, de ne pas prendre au sérieux. C’est ainsi que, le 6 août 2008, à l’aube, il a déposé en quelques minutes le premier président civil démocratiquement élu.
Pendant les mois qui ont suivi, Aziz a dévoilé un nouveau visage : le général autoritaire qui a créé le Haut Conseil d’État (HCE), avant d’en démissionner tout en gardant la main, s’est employé à incarner ce « président des pauvres » sous les traits duquel il allait se présenter durant la campagne présidentielle. Critiquant sévèrement la politique de ses prédécesseurs, il promet un avenir meilleur à ses concitoyens. Une fois élu, il s’est appliqué, pendant la première moitié de son quinquennat, à honorer méthodiquement les engagements pris : modernisation de Nouakchott, aménagement des régions de l’intérieur, lutte acharnée contre la gabegie… Sa cote de popularité est alors montée en flèche. Aziz est l’homme de « l’antisystème », rappelle un proche.
Ould Abdelaziz donnait le coup d’envoi, en mars, de la construction de la première centrale éolienne du pays, à Nouadhibou.
© AMI
Verrouillé à double tour, le nouveau régime est nimbé de mystères. « Ould Abdelaziz a détruit l’ancien système, devenu depuis une coquille vide, analyse Mohamed Fall Ould Oumère, rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Tribune. Mais il n’en a toujours pas réinstallé d’autre et ne le fera certainement pas. » L’ancien système est celui qui avait cours sous Maaouiya Ould Taya : délation, emprisonnement d’opposants, libertés confisquées… Bien qu’officiellement éradiquées en 2005 avec la transition démocratique, certaines vieilles méthodes, dont on ne se débarrasse pas si facilement, sont restées de mise jusqu’à l’élection de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, en 2007.
L’homme de réseaux
Le coup d’État de 2008 a cependant ressuscité l’une d’entre elles : les marchandages avec les intermédiaires politiques traditionnels. En période de campagne, pour rallier les suffrages de la population, les aspirants au pouvoir doivent d’abord conquérir les « grands électeurs », les chefs religieux ou tribaux, qui monnaient les consignes de vote – informelles mais suivies – qu’ils donnent à leur communauté. Mais Aziz a décidé de s’affranchir de cette pratique. « Il s’est justifié en annonçant le renouvellement de la classe politique, poursuit Ould Oumère. Encore aujourd’hui, il refuse tout marchandage. » Rompant avec les méthodes de ses prédécesseurs, il a fait campagne à l’intérieur du pays, s’adressant directement aux populations en hassaniya (arabe dialectal). Alors que sous Ould Taya et « Sidi », les soutiens s’échangeaient contre des avantages, Aziz refuse toute faveur. Après avoir très activement participé à sa campagne, le très influent homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, présent sous tous les régimes, espérait bien une « récompense »… Mais une fois élu, son cousin ne lui a fait aucun cadeau. Furieux, Bouamatou s’est exilé au Maroc, où il se trouve toujours.
L’imprévisible Aziz aura donc imposé son style. « Il a une vision très moderne de la politique », dit son directeur de cabinet. Il a rejeté d’emblée l’influence des hommes d’affaires (une première depuis Moktar Ould Daddah), ces « gabegistes » qu’il accuse du dépeçage économique de l’État. Lui qui déteste la ville passe régulièrement le week-end dans le désert, à Akjoujt (Inchiri), où il est né. Membre de la tribu des Ouled Besbah – un groupe de commerçants peu nombreux mais puissants, originaires du Sahara -, il a grandi entre le Sénégal, Rosso (sud de la Mauritanie) et Nouakchott, où il est allé au lycée. À 22 ans, là où d’autres connaissent la vie facile des fils et filles de grandes familles qui ont bâti des empires politico-économiques, il entre sans son baccalauréat à la prestigieuse Académie royale militaire de Meknès (Maroc). En 1980, il est promu lieutenant et suit pendant deux ans une formation logistique à Alger. De retour en Mauritanie, il est nommé aide de camp d’Ould Taya en 1984. Diplômé de l’École interarmes d’Atar, il devient capitaine en 1988, peu avant de prendre le commandement du Basep. Resté près de vingt ans à la tête de cette garde prétorienne, il est un observateur attentif du système. C’est d’ailleurs pendant cette période qu’il tisse ses réseaux, jusqu’au Mali voisin, qui lui permettront d’anticiper la deuxième tentative de putsch contre son patron, en 2003. Ces filières, qu’il n’aura cessé de développer, font d’ailleurs aujourd’hui de lui un chef d’État très bien renseigné.
Audiences
De cette expérience, il tire une leçon : les soutiens d’hier peuvent devenir les ennemis d’aujourd’hui. Aussi Aziz n’accorde-t-il que rarement sa confiance et n’a-t-il pas officiellement de bras droit. « J’en ai, corrige-t-il. Mais pour surveiller la gestion il faut être au plus près. C’est pour moi une manière de remettre de l’ordre dans le pays. » Le plus grand mystère entoure ses fidèles, mais aucun d’entre eux ne peut se prévaloir de quelque influence sur lui. Outre cinq conseillers – nouvelles technologies, affaires administratives, communication, relations avec la société civile, affaires économiques – et huit chargés de mission, on lui connaît tout de même une garde rapprochée composée de trois hommes : Isselkou Ould Ahmed Izid Bih, son directeur de cabinet depuis un peu plus de un an, ancien recteur de l’université de Nouakchott ; Adama Sy, son nouveau secrétaire général, ex-chargé de mission au ministère des Affaires africaines ; et Moulaye Ould Mohamed Laghdhaf, son Premier ministre depuis 2008, qui est aussi un ami.
Depuis son arrivée à son bureau, un peu avant 8 heures, jusqu’à son départ, vers 18 heures, Aziz accorde en moyenne, du dimanche au jeudi, une dizaine d’audiences par jour. Il reçoit ainsi régulièrement Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale et leader de l’Alliance populaire progressiste (APP, opposition), et Bâ Mamadou Mbaré, président du Sénat. « Il recueille l’avis de tout un panel de personnalités avant de prendre une décision importante, note un collaborateur. Et quand il n’improvise pas ses discours, il les écrit lui-même ou demande à l’un de ses conseillers de le faire, après en avoir défini les grandes lignes. »
Guerre ouverte
Parmi les autres proches, citons Abdallahi Hassen Ben Hmeida, diplomate et ex-ministre des Affaires étrangères de Sidi ; Mohamed el-Mokhtar Ould Mballe, président du Haut Conseil de la Fatwa ; ainsi que le chef d’état-major de l’armée, le général Mohamed Ould Ghazouani, considéré comme son alter ego. Aziz prend d’ailleurs soin de choyer les militaires, mieux équipés et mieux payés que sous ses prédécesseurs. Une manière aussi de se prémunir contre d’éventuels coups d’État, si fréquents en Mauritanie, bien qu’on dise de lui qu’il ne les craint pas.
Si la contestation intérieure ne pèse guère sur la politique du général, on aurait tort de croire que rien ne peut l’ébranler. Le 28 décembre 2011, il lançait un mandat d’arrêt international contre Mustapha Chafi, le conseiller de Blaise Compaoré, que la justice mauritanienne accuse d’être « un soutien financier du terrorisme ». Depuis l’arrivée d’Aziz au pouvoir, Chafi n’a cessé de le critiquer. « Le général Aziz essaie à son tour d’instrumentaliser la lutte contre le terrorisme et de manipuler les partenaires occidentaux afin de s’en faire ses alliés dans son projet de confiscation du pouvoir », confiait-il à J.A. en janvier.
Cette guerre ouverte a pris un tour plus politique après que Nouakchott eut refusé l’octroi d’un visa d’entrée à sa femme et à ses enfants, qui se rendaient au chevet de son père mourant (décédé le 6 janvier). Dakar, où se trouvait Chafi, a-t-il agacé un peu plus Aziz en refusant, le mois dernier, d’extrader l’opposant ? Toujours est-il qu’il n’a pas reçu Alioune Badara Cissé, ministre sénégalais des Affaires étrangères, en visite à Nouakchott le 1er juillet. « Le nouveau président français, François Hollande, va sans doute aborder la situation mauritanienne avec un autre regard », assure Ely Ould Mohamed Vall. Voire : le 14 mai, Aziz a été l’un des premiers chefs d’État à s’entretenir au téléphone avec le nouvel hôte de l’Élysée.
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Par Justine Spiegel, envoyée spéciale à Nouakchott
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