COD : Le radicalisme résistera-t-il à de futurs scrutins ?

(Crédit photo : Al Akhbar)

Président en exercice de la Coalition des Partis de la Majorité, M. Etmane Ould Cheikh Ahmed Ould Aboulmaaly s’est déclaré, samedi 7 juillet 2012, favorable à l’initiative du président de l’assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir.

Selon le président du parti El Vadila, cité par Alakhbar.info, cette initiative permettra de résoudre les crises qui secouent le pays depuis la chute du régime de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Toujours selon ce site, Ould Cheikh Ahmed Ould Aboulmaaly a invité l’ensemble des leaders politiques à aller dans le sens de cette solution pour que la page de cette « mésentente » qui sévit entre les partis de la coordination de l’opposition démocratique et le pouvoir soit tournée.

C’est la première réaction officielle d’un chef de parti de la majorité depuis que le président de l’APP a entrepris des démarches au début du mois de juin auprès des leaders des partis de la COD dans l’espoir de désamorcer une crise politique qui s’accentue de plus en plus entre le Président de la république et cette classe politique qui met la pression pour faire « chuter » le régime actuel.

Du côté de l’opposition, l’appel d’Ould Boulkheir n’a pas été reçu avec enthousiasme. Bien au contraire, samedi 23 juin, alors même que certains parmi eux avaient écouté leur ancien coalisé, Messaoud Ould Boulkheir, les leaders des partis de la COD, coordination de l’opposition démocratique en Mauritanie, ont marché à Nouakchott. Ils se sont rassemblés sur la place IBN ABASS située, dans la Capitale du pays, entre la zone de l’Etat Major de l’Armée Nationale et le Premier ministère. Face à de milliers de militants, ils ont réclamé le départ du Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz. Celui-ci est élu depuis juillet 2009, onze mois après avoir destitué par coup d’Etat son prédécesseur, un civil élu en 2007. Depuis, il fait face à une opposition qui ne cesse de critiquer ses politiques et de réclamer son départ pur et simple du pouvoir. Lui reprochant notamment d’avoir bloqué les institutions du fait de reports incessants des législatives poussant à considérer l’actuel parlement comme illégitime parce qu’ayant dépassé son mandat de plusieurs mois, l’opposition organise régulièrement des marches et meetings pour maintenir la pression sur le pouvoir.

Et cette sortie de l’opposition semble compromettre la mise en place d’un gouvernement d’union nationale que propose Ould Boulkheir aux uns et aux autres protagonistes d’une scène politique mauritanienne qui peine à s’apaiser.

Médiation vouée à l’échec ?

« Je réussirai à réconcilier les pans politiques du pays », avait déclaré plusieurs jours plus tôt, Ould Boulkheir qui dirige également le parti de l’Alliance Populaire Progressiste. Ayant opté il y a plusieurs mois pour un dialogue avec le pouvoir en allant à contre courant d’une COD dont il fut membre, M. Ould Boulkheir pense qu’au vu des rebondissements des émeutes et des agitations qui se sont produits dans les pays frontaliers de la Mauritanie, « les acteurs politiques doivent se soucier de l’intérêt du peuple mauritanien et dépasser les querelles stériles pour aller dans le sens de la concorde et de la sagesse ».

En prenant son bâton de pèlerin, il a rencontré les principaux leaders de l’opposition, ses anciens alliés au sein de la COD. Pour lui ceux-ci « sont unis par la bonne volonté de faire sortir la Mauritanie de la crise qu’elle vit » Pourtant le RFD a émis des réserves face à son initiative en liant toute décision à celle de la Coordination de l’opposition Démocratique. Le parti Tawassoul des islamistes et l’UFP n’ont pas non plus donné de garanties de participation à un éventuel gouvernement d’Union Nationale. Aussi faut-il penser qu’avec ce meeting du 23 juin 2012, la COD se radicalise davantage en ayant maintenu très haute la barre de ses revendications. Ses slogans le suggèrent : « Nous exigeons la chute du régime», « La continuité du système met en péril l’unité et la cohésion», « Aziz dégage » !

Des inconstances à la COD

Les discours de la COD face au régime se radicalisent. Mais arriveront-ils à bout des contradictions et des confusions qui caractérisent ses leaders ?

Eli Ould Mohamed Vall, Ahmed Ould Daddah, ont, entre autres leaders de cette opposition, eu des positions assez équivoques à des moments cruciaux de la Mauritanie que l’on pourrait s’attendre à ce que leur volonté de faire tomber le pouvoir finira par se disséminer.

Un appel à un gouvernement d’union nationale «c’est trop tard !» a déclaré Eli Ould Mohamed Vall, ancien président du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie qui a dirigé 19 mois durant la transition politique née du coup ‘Etat militaire d’août 2005 qui avait renversé Maouya Ould Sid’Ahmed Taya aujourd’hui exilé au Qatar. L’ancien Président du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (2005-2007) à jugé «trop tard» les démarches du président de l’Assemblée nationale et du parti APP qui souhaite la formation d’un gouvernement d’union nationale. «Je ne sais pas qui serait derrière la démarche de monsieur Messadoud Ould Boulkheir ni celui qui l’inspire. Mais la situation aujourd’hui est telle qu’il est impossible d’envisager ces genres de démarches. C’est trop tard». A-t-il confié à certains confrères sur place durant le meeting de l’opposition auquel il a participé. Pour lui la seule solution est un « changement de régime.»

 

Cousin de Mohamed Ould Abdel Aziz, l’actuel Président mauritanien, Eli Mohamed Vall, colonel à la retraite avait gardé le silence après la prise du pouvoir par coup d’Etat par celui-ci en août 2008. Il s’était présenté sans grand succès (3%) à l’élection présidentielle de juillet 2009 qui avait été rendue possible après 11 mois de résistance de la classe politique opposante à la junte militaire à l’époque par Ould Abdel Aziz.

Quelques semaines avant ce 23 juin 2012 où il s’affiche à nouveau aux côtés des leaders de la COD, il avait créé la polémique en affirmant sur les ondes d’une radio privée du pays qu’en 1989 aucun mauritanien n’avait été expulsé par la police dans la foulée des événements malheureux ayant occasionné des violences de part et d’autres entre le Sénégal et la Mauritanie et causé des dépassements et autres formes de violations de droits humains en Mauritanie. Ses propos n’ont pas fait l’objet de demande d’explication ni d’indignation de ses alliés au sein de cette coordination de l’opposition tandis que les médias sont revenus plusieurs fois sur ce qui va être décrit comme un « révisionnisme soft » par un dirigeant de l’Union des Forces du Progrès, un des partis de la COD.

Ahmed Ould Daddah, chef de file de l’Opposition et président du Rassemblement des Forces Démocratiques, a martelé au cours du meeting que «Ould Abdel Aziz doit quitter le pouvoir en dégageant » immédiatement parce que c’est le souhait de tout le peuple mauritanien.

Reprochant par ailleurs au Président mauritanien d’avoir joué un rôle négatif dans la survenue de la crise au Mali, En faisant allusion aux frappes militaires préventives que la Mauritanie mène régulièrement contre Aqmi dans le territoire malien jusqu’à la veille de la chute du régime d’Amadou Toumani Touré, Ould Daddah a estimé que ce pays voisin «a souffert des interventions mauritaniennes qui ont fissuré (son) unité ». Selon Ahmed Ould Daddah « Aziz doit partir pour éviter le pire à la Mauritanie. »

Chef de file de l’Opposition depuis 2008 et candidat malheureux d’une élection Présidentielle qu’il avait perdue face à Sidi Ould Cheikh Abdellahi, le président élu qui finira par être renversé, au bout de quinze mois de pouvoir, par Mohamed Ould Abdel Aziz, alors général et chef d’Etat Major de la garde Présidentielle, Ahmed Ould Daddah va soutenir le coup de force de ce dernier en le décrivant comme auteur d’un « mouvement de rectification ». Espérant un scénario comme celui de 2005 où la junte militaire renonçait au bout de quelques mois de transition à toute ambition de pouvoir et organisait des élections, Ould Daddah sera déçu en réalisant que le Général Ould Abdel Aziz allait se maintenir au pouvoir par les urnes. Depuis, il s’est réinstallé dans son camp naturel d’opposant ne demandant qu’à accéder au pouvoir. Aussi, pense-t-il que « l’attachement du peuple mauritanien et ses aspirations au choix des activités de la COD, confirme son choix pour le changement » et que « le départ est le seul choix qui reste devant Ould Abdel Aziz.»

 

Un entêtement à risque

La radicalisation est d’autant plus claire qu’au sein de la coalition, même les élections prévues d’ici fin 2012 ne sont pas encore à l’ordre du jour. Or le comité directeur d’une Commission Électorale Nationale Indépendante a été mise en place. Il se dit dans les milieux proches du pouvoir que ces élections pourraient se tenir en novembre. Ce qui veut dire que cette opposition risque de se faire bousculer par le temps. Elle peut ne pas obtenir le départ de l’actuel Président. Celui-ci semble tirer profit du positionnement d’autres opposants, qui ont participé au dialogue politique et qui ne s’inscrivent pas dans l’optique de leurs adversaires de la COD. Il s’agit de ceux de la CAP, coalition pour une alternance pacifique créée par trois chefs de partis politiques qui avaient quitté la COD pour participer au dialogue de septembre 2011avec la majorité présidentielle. Ces chefs de partis politiques que sont Boidiel Ould Houmeid, de Wiam, Yahya Ould Waghf de Adil et Messaoud Ould Boulkheir de l’APP continuent à se réclamer de l’opposition. Il leur arrive de critiquer le pouvoir, notamment quant à sa gestion d’un programme d’urgence dénommé Emel (Espoir) 2012 pour les populations démunies dans le cadre de la lutte contre les effets de la sécheresse et de la hausse des prix. Ces leaders politiques sont désormais perçus comme représentants d’une « opposition sérieuse et responsable » et partenaires « crédibles » par le camp du pouvoir.

Avec eux, il va donc falloir s’attendre à ce qu’après avoir boycotté un dialogue politique pour lequel elle a d’ailleurs perdu certains de ses membres influents tel Messaoud Ould Boulkheir, la COD s’effrite à l’entame d’élections législatives et municipales qui ne manqueront pas de redistribuer les cartes sur l’espace politique. Si le slogan « Aziz dégage ! » continue à s’essouffler comme cela a pu être remarqué dans certaines phrases chocs inscrites sur les banderoles de meetings, il est fort à parier que des partis comme Tawassoul et Hatem n’hésiteront pas à s’engager dans une bataille pour la conquête des municipalités et des circonscriptions parlementaires, ces autres sphères d’exercice du pouvoir politique. Ces deux partis, de sensibilité islamiste n’abandonneront pour rien au monde une occasion de s’affirmer davantage sur la scène politique mauritanienne sachant que dans d’autres pays arabes ce sont leurs semblables qui se hissent à la tête de l’exécutif par la voie des urnes. En Tunisie, au Maroc, en Libye et tout récemment en Egypte, les islamistes remportent des élections.

On sait l’émulation que les révolutions arabes ont créée chez beaucoup d’opposants mauritaniens. Avec la victoire de Mohamed Moursi en Egypte, il serait difficile voire impossible que le parti de Jemil Ould Mansour (Tawassoul) ne saisisse pas une occasion d’aller à des législatives en Mauritanie, ne serait-ce que pour augmenter le nombre de parlementaires dont ils disposent au sein des deux chambres.

Très stratégiques dans leurs démarches, les islamistes peuvent compter sur leur aile sociale. Ainsi, la Confédération Nationale des Travailleurs de Mauritanie a réclamé il y a deux jours dans un communiqué publié sur Alakhbar.info, des réformes constitutionnelles en prévision de la mise en place du gouvernement d’union nationale auquel a appelé le Président de l’Assemblée. Selon cette formation syndicale proche des islamistes qui dit saluer cette initiative allant « dans l’intérêt national», l’organisation d’un dialogue national pour aboutir à des réformes constitutionnelles et judiciaires est nécessaire. Elle propose entre autres qu’il soit inscrit dans la Constitution les droits à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à la formation, au dialogue et au logement, au profit de tout citoyen.

La CNTM demande par ailleurs, la recomposition de l’Assemblée nationale de sorte que soient représentées à proportions égales (25% chacune) les forces économique, sociale et ouvrière (collectivité locales, société civile, représentants des travailleurs, représentants du patronat et des chambre de commerce et de l’industrie.

Pareille prise de position d’une organisation syndicale alors même que les politiques pensent à une solution de sortie de crise peut déboucher sur une disposition de Tawassoul, par exemple, à se ranger du côté des partisans d’une participation à un gouvernement d’union nationale, s’il devait être mis en place, ou à des scrutins possibles, lorsque cette option sera retenue. Le prétexte, le cas échéant sera qu’il s’est trouvé un pan de la Société civile qui estime, à l’instar de la CNTM, que les « centrales syndicales ne soutiennent pas un gouvernement et ne proposent pas ses membres mais restent son partenaire externe pour surveiller l’application des résultats du dialogue », celui auquel la COD n’avait bien entendu pas pris part.

C’est dire combien le risque pour une COD de se désintégrer est grand. Les élections législatives et municipales sont prévues pour novembre à en croire les milieux proches du pouvoir. Si entre temps le président de la République ne « dégage» pas et si son régime ne « chute » pas, la COD ou ce qu’il va en rester (RFD, UFP, entre autres partis essentiels) se trouvera dans une position bien embarrassante : Participer à des échéances aux préparations desquelles elle n’aura pas pris part ou boycotter et devoir recommencer la bataille hors des champs réservés au combat politique légal (parlement). Quel que sera le choix, il va falloir aux leaders de la COD des arguments assez solides pour justifier plus d’une année de pression ; surtout quand celle-ci s’avérera infructueuse.

Du côté de cette opposition, on soutient, en parlant de la CENI, que si les élections ne sont pas organisées à la date prévue, l’institution concernée est vidée de ses compétences et ne peut plus fonctionner en organe régulier de l’Etat, il risque d’y avoir une surcharge d’institutions. Celles-ci deviennent une sorte de «zombi constitutionnel» qui expédie les affaires courantes mais ne peut plus prendre de décisions nouvelles de nature à engager les intérêts essentiels ou l’avenir de l’Etat et du pays. A confié un cadre de l’Union des Forces du Progrès à un journal de la place. Or depuis qu’il a été constaté la fin de son mandat, le parlement mauritanien, en plus d’avoir expédié les affaires courantes, a voté plusieurs lois dont celle ayant validé la Commission électorale nationale Indépendante (CENI) à laquelle incomberont désormais la supervision et la gestion de futurs scrutins. 

Il restera à savoir si le jeu politique en Mauritanie va continuer à se dérouler entre le pouvoir et une seule partie de l’Opposition sachant que Messaoud Ould Boulkheir de l’APP, Boidiel Ould Houmeid d’El Wiam et Abdel Salam Ould Horma du parti baathiste Sawab ont formé une Coalition pour une Alternance Pacifique. Cette coalition rassemble du coup l’opposition qui a participé au dialogue politique avec la majorité. Dialogue à l’issue duquel des résolutions ont été prises et parmi lesquelles la création d’une CENI permanente pour gérer de futures élections ; législatives et municipales notamment. Il faut dire qu’au bout d’une année de cheminement aux côtés du pouvoir, ces partis obtiennent un repositionnement sur un échiquier politique censé leur profiter dans la perspective soit d’un gouvernement d’union nationale, soit d’élections dont la date n’est pas encore fixée mais que risquent fort de boycotter leurs rivaux de l’opposition, leur cédant ainsi la place.

 

Kissima Diagana

 

Source  :  La Tribune N°601 du 09 juillet 2012 via Kissimadiagana.blogspot le 09/07/2012

 

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