Une nuit avec les éleveurs du Brakna

(Crédit photo : L'Authentique)

La voiture que conduisait mon ami T. quitta brusquement le goudron, à deux cents mètres du  » carrefour d’Aleg « , pour prendre la direction du lac du même nom.

Elle roulait moins vite, l’obscurité étant déjà là et le chauffeur craignant, comme il me le signifia, que les débris d’arbres et de végétations du maigre hivernage de l’année dernière n’endommagent les pneus de la Mercedes 190.

Continuant à deviser sur tout et rien, on eut du mal à retrouver les  » traces  » qui conduisent vers  » Lezib  » de Lebeid, planté, en cette période de l’année, tout près de la cuve du lac d’Aleg qui, après tout bon hivernage, garde l’eau dix mois sur douze, au grand bonheur des éleveurs qui y trouvent le moyen d’éviter d’abreuver leurs cheptels aux puits ou sondages où il faut payer la précieuse denrée.

On s’engouffra ensuite par la porte d’un interminable grillage que les autorités avaient installé, depuis deux ans, pour protéger les cultures des animaux en divagation et éviter ainsi les sempiternelles querelles entre éleveurs et agriculteurs. Sans avoir servi à ces derniers, au cours de l’année 2011, il aide les premiers à circonscrire les mouvements de leurs bétails qu’ils regroupent autour d’arbustes, coupés de nuit pour éviter les sanctions des forestiers, ou de fourrages achetés au prix fort dans les boutiques du marché d’Aleg, ceux disponibilisés dans le cadre du plan d’urgence  » Emel 2012  » étant loin d’avoir satisfait la très forte demande qu’alimente une spéculation dont les commerçants mauritaniens ont le secret.

Des feux brisant la pénombre nous signalent, quelques centaines de mètres plus loin, la présence de  » Lezib  » aussitôt signalé par le bêlement d’animaux qui se disputent une maigre pitance que les éleveurs donnent comme  » renforcement  » de ce que les bêtes arrivent à arracher à la terre argileuse de  » ragbet elag  » (la gorge d’Aleg) qui est la partie nord du lac d’Aleg, refuge des durs fins d’été pour les petits ruminants.

En citadin aguerri, je fus surpris de ne pas voir de tentes dressées ou des femmes dans cet environnement très hostile. Mon ami auquel j’ai posé la question ne put s’empêcher de se moquer de moi, m’expliquant que  » Lezib  » n’a rien à voir avec les campements de nomades qui se déplacent au gré des pâturages et que, dans pareilles situations, les femmes préfèrent laisser les hommes seuls avec des troupeaux qui ont besoin de la plus grande attention.

Lebeid, ses deux fils et un homme que mon ami T. ne devait pas connaître se levèrent pour nous saluer, quittant le mobilier de fortune dressé à l’intérieur d’une  » zériba  » (clôture) habituellement réservée aux veaux ou aux agneaux. Quelques minutes de salamalecs et, naturellement, la discussion s’engage sur la question de l’heure : les effets catastrophiques de la sécheresse, le scandale du plan d’urgence à Aleg qui a déjà envoyé en prison cinq personnes, les premières pluies tombées au Hodh Chargui, au Gorgol et au Guidimagha et les craintes que cette saison ne soit encore comme celle de 2011.

Détournement : mode d’emploi

Sur le scandale qui a alimenté les colonnes des journaux et les sites durant plusieurs jours, Lebeid, le berger de mon ami T. nous livre des informations précieuses.

C’est l’instinct professionnel d’un gendarme – et le hasard – qui ont permis de découvrir le pot aux roses, quand l’homme de loi, sortant de la compagnie de gendarmerie ou de la brigade (la précision n’a pas été donnée) qui encadrent les magasins du CSA est surpris de voir des charretiers charger leurs  » watirs  » (voitures) à partir d’un camion 30 tonnes. Un délestage suspect qui conduira l’homme de loi à investiguer pour découvrir plus tard qu’il s’agit de l’une de ces combines qui met souvent en cause des responsables de l’administration et des commerçants. L’affaire a pris une tournure telle que les maires des communes de la moughataa d’Aleg ainsi que le hakem n’ont pas échappé aux questions des enquêteurs voulant s’assurer que cette affaire n’est pas seulement la face visible de l’iceberg.

Lebeid nous livre, par la suite, le mode d’emploi qui permet à des commerçants de vendre deux fois plus cher les produits (rackel) que le plan d’urgence  » Emel 2012  » est censé mettre à la disposition des éleveurs. Des individus qui n’ont  » ni chamelle ni dromadaire  » se présentent pour demander des bons. Le sac étant vendu par le programme à 3500 UM, ces faux éleveurs le cèdent aux commerçants moyennant une marge bénéficiaire de 500 UM ! Le vrai éleveur qui a besoin d’une importante quantité est obligé de se rabattre sur les commerçants qui vendent le sac de  » rackel  » à 5500 ou 6000 UM ! Et le tour est joué. D’aucuns pensent que c’est l’une des raisons qui a fait que, malgré, l’importance du financement d’Emel 2012, les sentiments d’échec se sont vite transformés en ressentiments contre le gouvernement du Premier ministre Moulay Ould Mohamed Laghdaf. C’est ce qui donne aussi la force à l’argumentaire développé par la COD (Coordination de l’opposition démocratique) qui rappelle qu’avec seulement 3 Milliards d’ouguiyas, le plan d’urgence de Taya avait eu plus de réussite qu’Emel 2012 qui à engloutit 45 Milliards d’UM !

Sneiba Mohamed

Source  :  L’Authentique le 10/07/2012

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