Apprendre, même du Japon

(Crédit photo : Arnaud Contreras)

{jcomments on}En littérature comme en bien d’autres domaines, j’ai souvent des passions qui m’assaillent au détour d’une lecture, qui m’habitent quelque temps, qui me quittent parfois mais qui laissent toujours des traces. Je tombe pendant quelques mois, quelques ans, en pâmoison devant un auteur, un siècle, un genre, un pays.

J’ai eu une jeunesse Hugo et Lamartine, une adolescence latino-américaine, j’ai adoré Balzac, Tolstoï, Yachar Kemal ou Vargas Llosa, j’ai eu le coup de foudre pour la poésie arabe Nizar Qabany et surtout Mahmoud Derwiche, puis pour les écrivains, nord-américains. Je plonge depuis quelques mois dans le fleuve euphorique de la littérature japonaise. Les écrivains japonais savent merveilleusement décrire les passions et les choses, ils savent faire sentir le miel et les blessures et ils racontent bellement, sans ostentation aucune, leur culture et leur peuple. Je suis de ceux qui pensent que c’est d’abord la littérature qui sait raconter les peuples et fait miroiter leur âme cachée .Et quand je lis les autres, je regarde toujours à travers eux ce que sont et pourront devenir les miens.
Je sais : aujourd’hui, on ne parle plus beaucoup du miracle japonais, les chinois et les indiens sont venus eux aussi s’inscrire sur le registre des puissances montantes. Mais le Japon lui a su avant tout les autres se relever de la ruine quasi-absolue et redevenir une puissance mondiale. Comment ? Moi je crois que la réponse peut être trouvée dans sa littérature, et je pense aussi, que nous, nous avons à y réfléchir.
Je découvre à travers la littérature japonaise l’histoire tumultueuse, et si pleine de sang et d’effroi de ce peuple. Mais j’y découvre aussi quelques caractéristiques qui fondent le présent et l’avenir et qui devraient fortement nous intéresser.
Le sentiment de l’honneur. Les seigneurs du Japon féodal, les petits et les grands « daimyo », les samouraïs, les guerriers sans tutelle (les rônins, ils les appellent) les moines et les petits gens sont tous habités par ce principe sacré. On meurt et on vit pour une idée qu’on a de soi et que l’on a des autres. On ne tergiverse pas un seul instant avec les principes qui fondent l’honneur de l’individu, celui de sa famille ou celui de la patrie.
La fidélité. Quelque soir son appartenance ou sa caste, le japonais se devait de se consacrer entièrement à son seigneur. Il devait savoir mourir pour lui et se faire »seppuku » se tuer, à sa demande. Le seigneur se devait lui aussi de se consacrer entièrement à son féal, et savoir aussi mourir pour lui. C’est vrai, c’est désuet tout cela mais c’est la force et la prégnance du principe qui doivent être admirés.
Le travail. C’est une vertu sacrée que le travail. Cela participe encore aujourd’hui du sens de l’honneur et celui de la fidélité .C’est une véritable religion au Japon. Parfois on arrive à l’excès et on meurt d’épuisement, mais là aussi c’est le principe qui devrait être admiré
L’honnêteté. Les japonais exécraient le mensonge. Encore aujourd’hui il ne participe pas de leur quotidien.
Le savoir et la poésie. Les japonais ont compris peut être avant tout le monde que le savoir est gage de la force et que la poésie est gage de l’esprit. Le samouraï quand il devait, au nom de l’honneur, se donner la mort,, se devait aussi de composer un « haïku » un petit poème où très souvent, ce sont les feuilles d’automne qui parlent ou les monts gelés du rude hiver, ou les couleurs du printemps et non pas toujours la mort qui attend. Les japonais font du savoir et de la recherche une autre forme de religion. Etudier, c’est pour eux une fin en soi, un véritable sacerdoce. Ils ont su prendre de la Chine, de la Corée, de l’Inde, ils ont appris des peuples qu’ils ont vaincus et après leur grande défaite devant les vaisseaux de l’amiral américain Perry en 1953, ils ont vite appris de l’Occident.
Les japonais , pourtant héritiers de plusieurs siècles de civilisation, n’ont pas fait de leur passé un étendard, ils n’ont pas fait de leur culture et de leur foi une idéologie, ils n’ont pas pleuré devant leurs monuments anciens, au contraire ils ont su abandonner le superflu, la sacralité de l’empereur qui fait pourtant partie de leur foi, la vassalité qui est une partie de leur culture, ils ont laissé derrière eux tout ce qui peut entraver leur marche parce qu’ils ont compris qu’il fallait avancer, conquérir le savoir moderne ou devenir les esclaves des occidentaux . C’est leur sentiment de l’honneur qui a parlé. Ils ont résolu d’apprendre des autres pour rester libres Et pourtant ils n’ont pas abandonné leur âme, ni leur culture. Ils sont restés japonais, ils respectent toujours leurs rites immémoriaux, leur langue, leurs livres anciens, leur cuisine des plus raffinées, leur histoire si agitée et leur littérature si riche.
Les mauritaniens devraient à mon avis apprendre du Japon. On devrait réapprendre l’honnêteté, le courage, la fidélité. Ces trente dernières années ont en effet tout gâché : les principes ont disparu, les âmes sont mortes, l’argent a remplacé les cœurs. On devrait surtout réapprendre à apprendre, cela veut dire bien comprendre que notre avenir c’est avant tour peut être les autres, que jusqu’ici même si nous pouvons donner, nous devons surtout s’évertuer à recevoir. Sans complexe ! On devrait surtout comprendre qu’il ne servirait rien de se chanter soi-même, qu’il faudrait d’abord avancer, s’instruire, enrichir sa nation, donner l’exemple pour que nos descendants puissent un jour nous chanter. C’est vrai, ceux de ma génération sont peut être perdus, ils sont trop incultes, trop corrompus et trop conservateurs, mais l’on doit bien s’accrocher aux générations futures, reconstruire l’école par exemple. Au Japon, le primaire est de neuf ans, et on apprend d’abord aux enfants à ne jamais mentir. On a tout à apprendre du Japon.

Beyrouk

Source  :  Beyrouk le 26/06/2012

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