Chine/Mauritanie : Quand l’empire du Milieu s’installe

(A Nouadhibou, durant les travaux d'extension du port. Crédit photo : Y. Djigo / Noor Info)

De plus en plus présents en Mauritanie, à travers l’ouverture d’échoppes, de garages, de salons de coiffure, les chinois suscitent toujours un intérêt teinté d’une vive inquiétude, notamment concernant les ressources du pays, mais aussi la concurrence.

Cette présence n’est que l’extension des relations entre les deux pays, de plus en plus fortes économiquement.

Zhenbang est originaire du Hénan, province du centre-est de la Chine, considérée à la fois comme une des plus peuplées et des plus pauvres. Il est à Nouakchott depuis bientôt trois ans maintenant. Il a commencé, en arrivant, par ouvrir un local de nettoyage de tapis, de voitures et de couvertures éventuellement. «Je suis venu seul d’abord, en éclaireur. Ma femme m’a rejoint plus tard » explique-t-il dans un anglais approximatif.

Aujourd’hui, Zhenbang a deux ateliers de lavage, qui lui permettent «d’envoyer suffisamment d’argent et régulièrement, à la famille restée en Chine». Du haut de ses 38 ans, il a migré en Afrique un peu «par hasard». «J’ai quitté Zhenghzhou, car le chômage y est très important» dit-il. Sa région natale, essentiellement agricole, est parmi les plus pauvres de Chine.

Les ressortissants de cette région essentiellement agricole, grande productrice de tabac, vivent dans des conditions misérables d’autant que le froid y sévit une bonne partie de l’année. L’exode en ville constitue souvent leur seul salut. Ils font partie de ces « migrants ruraux » qui, dans les années 1980, en pleine «décollectivisation» des campagnes, ont afflué de manière temporaire dans les bourgs voisins où une industrialisation des campagnes a été lancée par le gouvernement.

La décennie suivante, ce mouvement migratoire interne s’est intensifié du fait des réformes économiques et notamment de la réduction des subventions accordées aux entreprises rurales et de la détérioration du prix d’achat des céréales au regard de l’inflation. Le soulèvement récent de paysans dans plusieurs parties de la Chine rurale témoigne de leur opposition croissante aux conditions économiques inégales du pays. La politique du hukou, qui maintenait, depuis 1958, autoritairement les populations rurales à la campagne et dans des activités agricoles a été assouplie.

Ce sont ainsi des millions des paysans surnuméraires appelés «mingonq», littéralement le « peuple du travail », qui rejoignent les grandes villes chinoises pour travailler dans les chantiers de construction ou dans les usines d’assemblage et de confection de la partie orientale du pays. Mais, à l’évidence, les villes côtières ne peuvent absorber la totalité de ces arrivées massives et les migrants les moins démunis s’appuient sur les réseaux en place pour envisager une migration internationale. Zhengbang a eu recours à ces réseaux pour migrer en Mauritanie.

 


Repli communautaire

Si Zhenbang fait figure d’exception à Nouakchott, par rapport à l’ouverture dont il fait preuve, la discrétion, voire le repli sur eux-mêmes constaté chez les chinois ne serait pas forcément un manque de désir d’intégration. C’est ce qu’explique Yang Pei Pei, chargée des affaires économiques à l’ambassade de Chine en Mauritanie. «La barrière de la langue est très importante. La plupart ne parlent que le mandarin quand ils arrivent. Certains parlent à peine anglais. C’est donc dur de communiquer dans ces conditions, et c’est plus facile de se retrancher entre soi à ce moment» affirme la chargée des affaires économiques.

Pourtant, économiquement, leur présence a inondé les marchés mauritaniens. Que ce sont dans les supermarchés, les épiceries, ou sur les marchés.

“Un simple tour dans l’un des marchés de la capitale Nouakchott permet de se rendre compte de la présence chinoise à travers les différents articles et produits que proposent les commerçants mauritaniens. Vêtements, ustensiles de cuisine, machines électroniques, téléviseurs, récepteurs, antennes, pièces de rechange auto, téléphones portables, tout porte le label chinois. Avec néanmoins, cette appréhension que la qualité fait défaut” décrit Sneiba Mohamed, journaliste au Calame.

 


Des liens économiques de plus en plus forts

En 2002, le volume total, en dollars des échanges sino-mauritaniens, représentaient à peine 600 millions de dollars. Dix ans plus tard, ce volume atteint presque deux milliards de dollars. L’explosion du secteur minier est passée par là, et des produits halieutiques de plus en plus visés.

«Les ressources naturelles des PED nous intéressent certes, de par nos besoins par rapport à notre économie en croissance, mais avec la Mauritanie particulièrement, nous sommes en relations essentiellement historiquement en BTP et infrastructures. Les ressources minières et halieutiques ne nous intéressent que depuis peu. Donc on ne peut pas être réducteur sur ce point. Il y a une realpolitik que les pays sensés du monde entier appliquent, mais on ne fait pas durer des relations diplomatiques et économiques que sur cela!» tempère Yang Pei Pei.

«C’est dans notre intérêt de valoriser les ressources naturelles locales. C’est la principales source de revenus de l’état» continue-t-elle.

«Sur la coopération diplomatique, on a fait beaucoup de projets bénéfiques pour le pays. Le projet d’extension du port en fait partie, mais aussi l’hôpital de l’amitié, la nouvelle Primature, les ministères des affaires étrangères, campus fac médecine. Il y a un projet de centre de démonstration agricole qui a pour ambition de montrer des technologies agricoles modernes adaptables en Mauritanie, plus les formations locales. Il y a un tel potentiel agricole en Mauritanie» développe longuement la chargée des affaires économiques.

La technique du «package»

Cette formule qui représente un aspect de la diplomatie chinoise, dans les PED notamment, fait partie d’un «package» efficace pour gagner des marchés.

En fait, ceci est inclus dans les offres chinoises, moins chères de 30 à 50% que celles occidentales. Les entreprises chinoises font venir de Chine leur propre main-d’œuvre, ce qui leur permet de baisser leurs coûts.

Si cela ne suffit pas, les Chinois ont une autre astuce pour l’emporter à coup sûr. Ils recourent à cette technique du «package». Des offres groupées, en somme : une autoroute + un pont + une raffinerie + l’exploitation d’une mine. Parfois, si le contrat est vraiment important, ils proposent de construire, gratuitement, de nouveaux bâtiments pour un ministère, voire un palais présidentiel tout entier. Les profits dégagés par l’exploitation de la mine permettront, au fil des ans, de rembourser ces investissements.

A chaque fois, ces «packages» sont financés par la même institution, l’Exim Bank (pour exportations/importations), lancée en 1994. En septembre 2006, le banquier avait déjà prêté de l’argent pour la réalisation de 259 projets en Afrique, dans 36 Etats, dont une grande majorité (près de 80%) pour la construction d’infrastructures.

En terme d’investissements chinois, la Mauritanie a bénéficié d’un prêt de 294 millions de dollars (2 % intérêt) pour l’expansion du port de à 1400 mettre afin de pouvoir accueillir 4 navires en même temps. La Chine a financé en 2008 la route Nouakchott Kaédi pour exportation du plâtre mauritanien. 100 millions de dollars de plus ont été investis par la Chine pour la construction d’hôpitaux, de logements d’un centre commercial où des produits chinois se vendent. L’enveloppe a servi à la construction d’un dépôt au port de Nouakchott pour des équipements et produits chinois et le lancement d’un projet d’énergie solaire.

Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 17/06/2012

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