Les salafistes qui espèrent lancer un parti politique en Mauritanie se heurtent à la résistance des membres plus extrémistes du courant.
Les salafistes mauritaniens ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le fait de savoir s’il convient de suivre leurs voisins du Maghreb sur la scène politique ou de rejeter la démocratie comme une invention des infidèles.
Cette question a créé des divergences au sein du mouvement, les militants extrémistes du courant promettant de se mobiliser contre cette proposition avancée par leurs pairs plus modérés.
Depuis que l’association salafiste El-Bir a commencé à lancer l’idée d’un parti politique, les partisans de la ligne dure qui considèrent la participation à la vie politique comme une « déviance religieuse » et une « violation de la sharia » n’ont de cesse de condamner cette initiative.
« Je refuse d’y participer », a ainsi déclaré à Magharebia Mohamed Ould Mohamed al-Mokhtar (alias Abou Mariem), leader salafiste et enseignant dans une mahdhara (école religieuse), à son domicile du quartier al-Riyadh de Nouakchott.
Abou Mariem a interrompu son cours donné à des femmes portant le niqab pour affirmer : « La démocratie est assimilable au kufr et est contraire à la sharia. »
« Nous nous efforcerons de faire échouer ce projet de création d’un parti, et nous lancerons une contre-campagne pour expliquer que la sharia est opposée à la démocratie et aux partis politiques », a-t-il ajouté. « La démocratie divise les peuples et sème la discorde. »
Pourquoi alors certains de ses collègues salafistes sont-ils impatients de participer à la vie politique et aux changements démocratiques ?
« Il semble que le Printemps arabe ait balayé les idées, tout comme il l’a fait de leurs dirigeants », a-t-il ajouté.
Rabia Bint Mohamed Lamine, première militante salafiste à s’exprimer contre la démocratie dans la presse, se montre également très critique concernant les efforts fournis par certains salafistes pour faire leur entrée sur la scène politique. « Depuis un certain temps maintenant », explique-t-elle, « certaines personnes travaillent en secret pour tenter d’infiltrer le courant salafiste en avançant des idées et des motivations diverses ».
« Aujourd’hui, leur nouvelle méthode a été révélée au grand jour », ajoute-t-elle. « Par le biais de la démocratie, il veulent faire entrer le salafisme sur la scène politique », mais les salafistes rejettent « les constitutions du kufr, de l’athéisme et de la fantaisie ».
Une autre source salafiste a expliqué à Magharebia que « les leaders du courant salafiste tentent aujourd’hui de sauver la face parce qu’ils ont prêché et enseigné aux gens que la démocratie est kufr envers Dieu. »
Cela laisse à penser qu’au lendemain du Printemps arabe, les sheikhs salafistes ont procédé à certaines révisions idéologiques, leur discours traditionnel s’étant retrouvé plus isolé dans le contexte de l’ouverture politique.
Les salafistes mauritaniens ont commencé à réfléchir à la création de leur propre parti politique au vu de ce qu’il s’est produit dans le paysage politique en Tunisie, en Algérie et en Libye. Après que les salafistes mauritaniens eurent organisé des manifestations contre la démocratie et la laïcité, les médias ont commencé à parler de leur éventuelle entrée sur la scène politique.
Cette idée a été renforcée il y a trois semaines, lorsque plusieurs dirigeants du courant salafiste de Mauritanie ont participé à la deuxième conférence de la « Ligue des intellectuels musulmans » à Doha. La délégation mauritanienne à ce rassemblement de deux jours était dirigée par Sheikh Mohammed Sidia Ould Ajdoud al-Naouaoui, membre de la Haute commission de la Ligue.
Dans leurs conclusions présentées le 24 mai, les participants ont avalisé la création de partis politiques islamiques pour « faire le bien et rejeter le mal ».
Dans sa déclaration finale, la Ligue « a souligné la nécessité pour les partis islamistes de créer des alliances politiques pour parvenir au consensus » et a confirmé que les femmes pouvaient participer aux affaires publiques.
Bien que cette conférence ait été le véritable départ d’un mouvement visant à créer un parti politique salafiste en Mauritanie, ces efforts se sont heurtés à un fort rejet de la part de l’aile extrême du mouvement.
Un autre problème, a expliqué l’analyste mauritanien Zine El Abidine Ould Mohamed, est le fait que bien que les salafistes du Maghreb aient vu dans le Printemps arabe une occasion de faire leur entrée en politique, ils n’ont pas encore renoncé à leur vision étroite des choses.
Une confirmation claire de ce qu’il faut attendre de la stratégie politique des salafistes peut être vue dans le communiqué final de la Ligue des intellectuels musulmans, qui met l’accent sur « la nécessité de mettre pleinement en oeuvre la sharia et faire en sorte que les gens l’acceptent ».
Le « communiqué final de la Ligue sera probablement le document initial sur lequel se fonderont les salafistes de Mauritanie pour créer leur nouveau parti, mais ce dernier sera basé sur des principes contraires aux valeurs humaines et à l’égalité », a expliqué le journaliste Mohamed Ould Sid al-Mokhtar.
Pour se faire une idée du soutien dont pourrait bénéficier ce parti, des membres de l’association El-Bir ont frappé aux portes de salafistes à Nouakchott et dans les villes de l’intérieur du pays, et constaté que seuls quatorze pour cent des personnes interrogées étaient favorables à cette initiative.
Malgré ce faible résultat, le leader salafiste Mahfouz Ould Adoum a expliqué que tout dépendra de la manière dont ce parti se présentera.
« Les salafistes affichent une profonde aversion envers le terme de « politique », parce que pour beaucoup, il est désormais synonyme de démocratie. Mais lorsque ce terme désigne « une politique sanctionnée par la sharia », je ne pense pas que quiconque s’y oppose », a indiqué Ould Adoum sur le site web mauritanien al-akhbar.info le 10 juin.
« Quant aux objections concernant l’autorisation des partis islamiques, elles ne sont que des tentatives déployées par les partisans de la laïcité et par ceux qui embrassent des idées étrangères à cette oumma d’écarter les intellectuels, les prêcheurs et les réformateurs des affaires publiques », affirme Ould Adoum.
Pour l’analyste Hamdi Ould Dah, la création d’un parti politique salafiste entraînera des résultats divers.
« Il intégrera les salafistes comme un courant du jeu politique et entraînera de ce fait une plus grande participation politique à la société mauritanienne conservatrice », estime-t-il. Parallèlement, il fera apparaître « des divergences profondes susceptibles d’agiter un courant resté jusqu’ici à l’abri des projecteurs ». L’entrée dans l’arène politique pourrait également conduire à la perte de « nombre de ses partisans favorables à une vision conservatrice et étroite des choses, qui considèrent que la démocratie est contraire à la religion », poursuit-il.
Le mouvement se trouve aujourd’hui dans une position délicate, selon Ould Dah. Les leaders salafistes qui souhaitent la création d’un parti politique « sont les mêmes que ceux qui affirmaient dans leur discours que la démocratie est interdite et relève de la fitna« , explique-t-il. Et bien que le courant salafiste risque de perdre son unité s’il s’engage en politique, il « perdra sa place s’il reste éloigné de la mobilité politique entraînée par le Printemps arabe », a ajouté Ould Dah.
« Le courant salafiste en Mauritanie traverse une période critique et importante », a-t-il conclu.
Raby Ould Idoumou
Source : Magharebia le 15/06/2012
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