C’est peut être le seul constat sur lequel tout le monde s’accorde : nous vivons une situation politique des plus malsaines.
A qui la faute ? Les différents protagonistes se renvoient la responsabilité. En tout cas le discours politique est des plus acerbes, et les accusations les plus graves sont lancées par les uns et les autres avec une facilité étonnante. Il faut dire que les camps sont tranchés et que ceux qui veulent jouer les équilibristes entre les deux parties n’ont pas vraiment choisi la facilité.Le baromètre le plus éloquent de la situation politique aujourd’hui, c’est la rue, et il ne se passe pas de jour sans que les étudiants, les chômeurs, les travailleurs, ou simplement les militants de l’opposition ne manifestent dans la rue.
La Coordination de l’Opposition Démocratique composée de la majeure partie des forces de l’opposition s’est choisie un objectif très surprenant en ce moment précis de la vie politique : le départ du Président Aziz. Rien que cela. ! La COD qui a su organiser des manifestations énormes rejette dorénavant toute forme de dialogue avec le pouvoir. Mais on se demande tout de même véritablement comment cette coalition qui appelle à des marches et meetings, massifs il faut dire mais toujours pacifiques, espère conquérir le pouvoir. Car on ne voit point à l’horizon de prémices d’un « printemps mauritanien » et les forces de maintien de l’ordre n’ont à aucun moment été débordés par les manifestations, mieux ils ont su disperser sans mal le premier sit-in jugé illégal de l’opposition.
Cette opposition a clairement un fer de lance : Tawassoul, le parti islamiste « modéré ». Jemil Ould Mansour et les dirigeants de ce parti ont, sur leurs alliés, l’avantage de l’expérience politique, du nombre de militants, du sens de l’organisation, des moyens et aussi, et c’est très important aujourd’hui du capital de relations mondiales. Tawassoul est resté, dit-on, très lié avec les « partis frères » tunisiens, marocains, égyptiens, algériens ou turques aujourd’hui au pouvoir ou en passe de l’être.
Le parti islamiste qui a su se libérer de l’accusation de terrorisme, portée longtemps contre lui par Ould Taya, se présente aujourd’hui comme un parti comme les autres, désireux d’accéder au pouvoir par les urnes (ou la révolution populaire)et refuse même de se considérer comme le seul parti prônant les valeurs islamiques.
Le COD ne se résume pas cependant aux seuls islamistes. Le RFD d’Ahmed Ould Daddah bien que durement miné par la désaffectation des militants après deux défaites aux présidentielles reste malgré tout un parti structuré et regroupant des militants fidèles. L’UFP de Mohamed Ould Mouloud, de Bedredine et de Bocar Moussa (ils ne manquent pas de têtes pensantes) est peut être la formation politique la plus constante dans ses prises de position bien que ne disposant pas d’une véritable assise populaire. Le RDU d’Ahmed Ould Sidi Baba qui a souffert de son autodissolution essaye de relever la tête. HATEM de Saleh Ould Hannena, marqué par le charisme de son chef, ancien putschiste et par son idéologie volontariste nasséro-islamiste, n’est pas à négliger. Ajoutons à cet ingrédient la personnalité de Ely Ould Mohamed Vall, militaire, ancien Chef de l’Etat durant la transition de 2005-2008, unaniment saluée à l’intérieur et à l’extérieur.
Une opposition donc plurielle, très engagée contre le régime, bien qu’on ne puisse vraiment pas voir comment, dans l’immédiat, elle arriverait à le renverser.
Un seul homme…
A l’autre bord, face à cette levée de boucliers se tient en vérité un seul homme : Mohamed Ould Abdel Aziz. Le Président de la République bien qu’élu au premier tour en 2009 n’a point su effacer sa faute originelle : c’est un militaire parvenu au pouvoir d’abord, dans un premier temps, par la force.
Il dispose certes d’un parti politique qu’il a lui même créé et qui renferme en son sein tout l’appareil administratif et oligarchique : l’UPR. Mais cette formation manque terriblement de cohésion, de crédibilité et d’esprit d’engagement. Elle rassemble pourtant en elle tout ce qui a fait la force du défunt PRDS, mais elle n’en possède nullement la présence ni l’efficacité.
Mais Ould Abdel Aziz n’a justement pas véritablement besoin de cet appareil : il est lui-même le moteur de ses partisans et de son administration.
Accusé d’avoir personnalisé le pouvoir (ce qui est vrai en ce qui concerne la décision), il a pourtant fait plus que tout autre pour donner une image plus démocratique pour le pays : une presse plus libre, une meilleure présence à l’antenne de l’opposition ( bien qu’il y ait encore du chemin à faire), un dialogue avec une partie de l’opposition qui a abouti à des résultats, CENI, nouvelle HAPA…. Rien, n’y fait : l’opposition dite radicale refuse tout rapprochement avec lui et juge peu crédibles toutes ses tentatives d’ouverture.
Le Président a lancé son parti dans une campagne anti-opposition où celui-ci a piteusement échoué. L’UPR a usé de tous bois mais la mission était impossible, justement à cause de Ould Abdel Aziz : le seul représentant du pouvoir reste aux yeux de l’opinion le Président de la République lui-même, et non pas ce parti fourre-tout où peu de gens se reconnaissent vraiment.
Mais le Président possède tous les atouts nécessaires ici pour gouverner sans beaucoup se faire de soucis : une administration aux ordres et une armée jusqu’ici sous contrôle.
Une autre opposition ?
Il existe tout de même une troisième force se réclamant toujours de l’opposition, mais qui elle ne donne pas des insomnies à Ould Abdel Aziz : les partis se réclamant du dialogue.
Messaoud Ould Boulkheir le charismatique leader de l’APP, dirigeant historique de l’opposition, et Président de l’Assemblée Nationale, Boidiel Ould Houmeid ancien ministre et proche de Ould Taya, le parti Sawab, baathiste, se sont clairement désolidarisés de leurs anciens amis et refusé la voie de la confrontation. Après avoir prôné le dialogue et abouti à des résultats certes importants pour la crédibilisation des futures échéances, ils se lancent maintenant, solidaires dans une nouvelle alliance politique : Convention pour l’alternance pacifique. Ils refusent disent-ils à la fois la voie de la violence prônée par l’opposition et la politique menée par Ould Abdel Aziz. Le problème maintenant, c’est qu’ils réservent l’essentiel de leurs critiques à leurs anciens amis de l’opposition, et que leur discours devient de plus en plus inaudible dans une atmosphère politique gagnée par l’aveuglement de la bipolarité. La sortie des députés de l’opposition, dite radicale, de la salle de l’Assemblée Nationale pour protester contre le discours de Messaoud Ould Boulkheir est la preuve manifeste de la difficulté que trouve ce dernier à jouer l’équilibre entre les deux parties.
Disons, en définitive que la scène politique est traversée par des vents qui, si l’on y prend pas garde, risquent de se transformer en tempêtes. Il est clair que la Coordination de l’Opposition ne dédaigne pas la confrontation et que certains partisans de Aziz y poussent parfois ouvertement. Beaucoup d’observateurs pensent qu’avec la crise malienne qui frappe à notre porte, la fronde actuelle peut créer un véritable danger de déstabilisation du pouvoir. Reste un rendez-vous important, celui de l’hivernage : une autre année de sécheresse serait une catastrophe pour le pays et aussi pour le pouvoir en place…
Mohamed Mahmoud Ould Targui
Source : RMI Biladi le 17/05/2012
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