Enfants-mendiants : Talibés, l’innocence calcinée

(Mamadou A., 11 ans, fait partie de ces centaines d'enfants de la rue, les talibés. Crédit photo : Fatimetou Boughaleb / Noor Info)

Leur nombre a explosé ces dernières années. Les enfants-talibés, sous couvert d’un enseignement coranique, arpentent les rues, délaissés par familles et marabouts.

Mamadou A. 11 ans, est originaire d’un village de la vallée du fleuve. Ses yeux jaunis par une alimentation déséquilibrée et irrégulière, ne voile pas le perpétuel sourire qui s’affiche sur son visage. Tout le temps posté au carrefour du ministère du pétrole, plus que la faim et les brimades des talibés plus âgés, il craint surtout de ne pas satisfaire le maitre coranique. «Notre maître coranique exige de nous un versement journalier de 150 ouguiyas. Quand l’un d’entre nous manque à cette obligation, il est bastonné, et souvent il ne mange pas au diner» témoigne le jeune garçon.

A côté de lui, pieds nus, récurant finement son nez et arborant un maillot Blaugrana déchiré de Messi, Ibrahima, 10 ans, un autre enfant du sud du pays, confié à un marabout depuis prés de 2 ans. Les mêmes yeux jaunes que Mamadou. Le même sourire aussi. Intéressé par la discussion, il s’y insère juste le temps de demander des chaussures, même des «tcharaaka» (sandales en plastique- ndlr). «Le soleil tape de plus en plus les après-midi, et ça fait mal aux pieds» se plaint-il, visiblement épuisé.

«Nous marchons des kilomètres et des kilomètres chaque jour. Nous faisons le tour de plusieurs maisons de Cinquième, avant de nous fixer à ce carrefour pour le reste de la journée» précise le garçon avec un ballon de foot à moitié gonflé posé sur son pot de quêtes. Le seul élément de ce décor qui rappelle le statut d’enfant de ces exploités des temps modernes, à Nouakchott.
«Le maître nous réveille tôt le matin pour une courte séance de récitation du Coran. Tout juste après, souvent sans déjeuner, on est obligé d’aller quêter en ville, à la recherche d’argent ou de vivres. Sinon c’est bastonnade et privation de nourriture» raconte Idi, 12 ans.

«Plusieurs enquêtes sur la situation de ces talibés en Mauritanie, font apparaître que leur niveau coranique en général est bas par rapport à leur âge, et rares sont ceux qui sont relativement avancés. Le temps qu’ils passent dans la rue ne laisse pas beaucoup de place pour l’apprentissage. Ce que ces enfants apprennent, ce n’est pas le Coran mais l’art d’attendrir les automobilistes au stop» rappelle pour sa part Khalilou Diagana, journaliste au Quotidien de Nouakchott.

 

Des enfants exploités

«Ces enfants sont des mendiants exploités. Ce ne sont pas des talibés comme les gens le répètent. Et ce mot doit être abandonné, car il occulte la dimension misérable de leur situation, et leurs droits fondamentaux d’enfants bafoués» s’emporte d’emblée le président de l’observatoire mauritanien des droits de l’homme (OMDH), Amar Mohamed Najem.

Ces petits enfants confiés en principe à un maître coranique itinérant, sont en réalité laissés à leur propre compte. «Allez vers minuit aux alentours du marché de la Capitale, et de la Médina R, vous les verrez dormir à même le sol, agglutinés les uns aux autres pour éviter de se faire agresser» témoigne le président de l’OMDH.

Les autorités ont bien tenté une réaction, mais celle-ci fut relativement timide dans le sens de la prévention au regard de l’ampleur du phénomène. Au contraire, ses premières actions au cours des dernières années furent d’opérer des rafles de talibés et autres mendiants. Une action aux effets plus que limités. Les raflés du jour réinvestissant immanquablement la rue le lendemain, parfois quelques heures plus tard.

Du côté de la prévention, le gouvernement par l’intermédiaire du Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action humanitaire et aux relations avec la Société Civile, lance une campagne de lutte contre le phénomène de la mendicité en novembre 2009, en dégageant une enveloppe de 300 millions d’ouguiyas. 1780 mendiants sont ainsi recensés et regroupés dans plusieurs sites situés notamment à Arafat et Dar Naim. Ils y reçoivent trois repas par jour et apprennent un métier.

Toutefois, la première et grande faiblesse de cette campagne, très largement critiquée par les ONG locales sur le terrain de la lutte contre l’exploitation des talibés, est d’avoir ignoré le cas de ces derniers, qui ne mendient pas, mais sont utilisés littéralement à l’enrichissement d’un maître.

Des acteurs investis mais livrés à eux mêmes

Si l’état ne fait pas grand-chose pour ces enfants, grands oubliés de la société mauritanienne, la société civile elle ne baisse pas les bras. Et des acteurs isolés notamment, à les moyens à leur disposition, tentent ce qu’ils peuvent, pour donner une lueur d’espoir à ces enfants.

Kane Abderhamane a été enfant talibé sur une période suffisamment courte pour lui donner la force de lutter contre ce phénomène. Engagé depuis 1999 dans cette cause, il est actuellement responsable du projet «Enfants Talibés», complètement pris en charge par une ONG nommé Doulos. Il existe maintenant deux centres dont le plus ancien accueille quotidiennement 60 talibés. Son action : nourrir les enfants, leur apprendre un métier et leur dispenser des enseignements linguistiques. Kane Abderhamane déplore le délaissement et l’inaction de l’Etat sur cette question, il désirerait faire plus mais les moyens manquent.

Il n’est d’ailleurs pas le seul à être freiné dans son action sociale. Mariame Diallo vit cet «abandon gouvernemental» depuis 40 ans. En effet, l’Institut Mariame Diallo (IMD) est un orphelinat qui se maintient grâce à cette femme dont il porte le nom. Avec courage. Avec générosité.

En le créant en 1968, Mariame Diallo était seule à mener de front l’accueil des orphelins et enfants abandonnés d’autant plus que son institut n’était pas reconnu par l’Etat. Ce n’est qu’en 1988 que ce sera le cas, après qu’elle se soit battue vingt ans durant. Actuellement, l’IMD accueille trente enfants qui sont tous scolarisés et vivent dans la maison de Mariame Diallo. Elle les nourrit, les envoie à l’école, les blanchit, sur ses finances propres. «Le gouvernement mauritanien a cessé de subventionner l’institut. Ils envoyaient 150 000 ouguiyas par an pour mes trente enfants. Jusqu’en 2007, om ils ont arrêté d’envoyer ces clopinettes. Cela couvre à peine les frais de vivres durant un mois» rapporte la dame.

MLK

Source  :  Noor Info le 15/05/2012

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