Note d’alerte : RACISME, ESCLAVAGE ET TENTATION TALIBANE EN MAURITANIE

    (Crédit photo : Al Akhbar)

De quoi s’agit-il ?

Le 28 avril 2012, Birame Dah Abedi, Président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (Ira), une association non reconnue, participait, en compagnie de quelques militants, à une prière collective du Vendredi, usage devenu fréquent, au titre de la défiance envers les lieux de culte officiels où le sujet l’esclavage reste taboue.

Au terme des deux prosternations rituelles, Birame procède, devant des sympathisants et quelques journalistes avertis, à l’incinération, de quelques livres de droit musulman où l’exploitation de l’homme alimente des considérations détaillées sur les droits du serviteur et les devoirs du maître. Avant de les brûler, sur une place publique de l’arrondissement de Riadh, quartier populaire à la périphérie de Nouakchott la capitale, le leader de l’Ira prend soin, pour ne pas heurter la sensibilité des fidèles, d’arracher toutes les pages comportant des passages du Coran ou des mentions des noms d’Allah et de son Prophète, Mohamed (Psl).

  1. Les acteurs

Les services de sécurité, quoiqu’avertis par des éléments infiltrés dans l’Ira, ne réagissent pas jusqu’au lendemain, laissant, à la presse le temps de préparer l’opinion à l’énormité de l’acte.

24 heures après, le Président de l’Ira est arrêté à son domicile, sans mandat par les unités de police, venues en surnombre et qui ont jeté des grenades lacrymogènes dans sa maison où étaient présents des dizaines de militants et de parents dont certains se défendent au corps-à-corps. Dans son répertoire téléphonique, la police récupère la liste des correspondants et identifie les derniers appels et procède à des interpellations :

1-Biram Dah ABEID : Président de IRA

2-Issa Ould Ali: Coordinateur à Nouakchott

3-Yacoub Diarra: Chef du comité de paix pour la sécurité de Biram Dah Abeid

4-Abidine Ould Maatala: Membre du bureau exécutif, Secrétaire Général du comité de paix

5-Ahmed Hamdy Ould Hamarvall: Membre du bureau exécutif, trésorier de IRA

6-Elid Ould Mbarek : Sympathisant de IRA

7-Bilal Ould Samba : Président du parti reconnu, l’Union des Forces Sociales de Mauritanie (UFSM)., sympathisant de IRA

8-Leid Ould Lemlih: Imam de IRA, handicapé moteur

9- Abdallahi Abou Diop : Photographe, réalisateur, sympathisant de IRA, libéré depuis.

10 – Oubeid Ould Imigiene : Journaliste, administrateur du portail d’information www.initi.net, Porte-parole de IRA

11-Boumédiane Ould Batta: Sympathisant de IRA – Mauritanie

12- Zeidane Ould Mouloud: Représentant de IRA à Mederdra, prévenu de ne pas quitter le département ; la veille, de Dakar, il appelait Birame, par téléphone.

13- Cheibani Ould Bilal: Parent de Ould Samba (no 7), membre de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), libéré après un jour de détention.

Jusqu’aujourd’hui, aucun ne reçoit de visite, de la famille ou des avocats. Suite à une audience par le Procureur de la République, les prisonniers sont remis, le 2 mai, à la Direction de la Sureté de l’Etat (DSE), la police politique, où siègent, impunément, des dizaines de tortionnaires, depuis le milieu des années 1980.

Le 2 mai 2012, finalement, Birame et ses amis, dans l’attente de leur inculpation, se voient signifier, des chefs d’accusations d’atteinte à la sécurité de l’état, une accusation dépourvue, ici, de pertinence. Avant de parvenir à une qualification plus spécifique, le magistrat instructeur et le Ministère public, manifestement embarrassés par le vide juridique, hésitent et attendent les instructions du Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, devenu le recours et le destinataire des doléances outrées de la Umma; en effet, il préside un Conseil du gouvernement, le lendemain; le communiqué promet la sévérité de la sanction aux auteurs de « l’acte ignoble » ; la sujétion de la justice à l’Exécutif semble consommée, en l’occurrence.

  1. La diversion

Le soir même et dès le lendemain, déferlent, dans les rues de plusieurs villes et villages du pays, des foules hystériques qui hurlent au blasphème et réclament le meurtre de Birame et de ses compagnons.  La télévision publique d’Etat (TVM), diffuse et rediffuse, en « boucle » les images des ouvrages brûlés, suivis de reportages exaltés sur l’« ampleur de la colère des masses ». Des appels à la haine et au meurtre fleurissent sur l’écran, repris, dans une surenchère d’indignation, par des chaines satellitaires arabes, un contexte qui réveille le souvenir des émeutes racistes de 1989. En quelques heures, créditant alors l’hypothèse d’un piège tendu à Birame, le gouvernement retourne l’opinion, alors que l’Opposition s’apprêtait à organiser, le 4 mai, une marche d’envergure pour réclamer la démission de Mohamed Ould Abdel Aziz.

En 48 heures, les autorités opèrent une privatisation, en règle, de l’Islam, réduisant le Message révolutionnaire du Prophète Mohamed (Psl) à un repli sur soi, d’essence liberticide et particulariste, à l’antithèse du magnifique sermon d’adieu, dit El Widaa ».

Quant il reçoit les délégations des marche7rs venus le conjurer « …d’infliger un châtiment exemplaire aux militants de l’Ira… », le Président de la République dément l’existence de l’esclavage en Mauritanie, s’improvise garant de la religion, exclut toute évolution vers la laïcité et – engagement inédit de sa part – promet l’application de la Chariaa, dans le pays. Du jour au lendemain, comme prémédités, éclosent des sections d’une initiative dénommée « Tous avec Aziz », sous l’égide de l’Union pour République (Upr), le parti au pouvoir. Pire, les autorités envoient des cars, devant les mosquées, pour transporter les manifestants ; de chaque imam, il est exigé de faire l’annonce aux ouailles, avant la dispersion : «  des véhicules vous attendent, dehors, si vous accepter de vous joindre à la marche vers la Présidence de la république, contre l’acte ignoble », etc.

Face à ses adversaires islamistes très actifs ces dernières semaines, le Président de la République s’installe dans la posture de l’Ayatollah défenseur de l’Islam contre l’impiété libertaire de Birame et de ses camardes. D’ailleurs, depuis la diffusion, par CNN, d’un documentaire en date du 18 mars 2012 sur la persistance de l’esclavage en Mauritanie, la thèse officieuse s’évertue, activement, à insinuer que Birame et ses amis servent, désormais, « le complot judéo-chrétien ». Les maîtres, honteux et discrets depuis la chute de la dictature de Ould Taya, se décomplexent soudain, cessent de s’exprimer en sourdine et s’exposent sur la place publique ; ils tiennent, enfin, leur revanche.

Suivant le réflexe à l’œuvre dès le moindre conflit dans le monde musulman, certains évoquent le financement de l’Ira par Israël. En dépit d’une Fatwa courageuse qui le lave de l’accusation de péché mortel, Birame devient « l’apostat », « l’infidèle », » le pourfendeur de la Foi, à éradiquer, physiquement ». Tous les Ultras et applaudisseurs de  tous bords abondent dans le sens de la coercition.

Réunis, dimanche 29 avril, autour du Ministre des affaires étrangères et de la coopération, les ambassadeurs des pays Arabes s’empressent de condamner « ce crime » et déclarent leur solidarité (sic) avec la Mauritanie, selon les termes de leur Doyen, le marocain Abderrahmane Ben Omar; les autres diplomates prennent acte de la campagne d’interpellations ; ceux des démocraties occidentales, disent « prendre acte » et se gardent bien de rappeler les principes élémentaires du droit à la liberté de l’expression

  1. Le fond du problème

Le thème de l’esclavage, récurrent dans des ouvrages de jurisconsultes – souvent vieux de quelques siècles – appartient à un passé aujourd’hui révolu au sein de la communauté islamique, à l’exception de la Mauritanie et d’autres groupes de peuplement au Sahara-Sahel ; ici, le phénomène n’a été aboli qu’en 1981 ; il aura fallu plus de deux décennies de lutte avant qu’une loi ne le pénalise, explicitement, en 2007 ; malgré l’avancée critique sur le chemin de l’émancipation, le texte demeure inappliqué et les plus hautes autorités de l’Etat, à commencer par le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz, ont adopté, sur les survivances de cette domination ethno-sociale, le discours du déni et la pratique de l’impunité. Le geste téméraire de Birame Dah Abeid intervient, ainsi, dans le contexte de banalisation du crime d’esclavage, malgré la multiplication des cas de plainte en justice, presque toutes classées sans suite ou sabotées en cours d’instruction. Aujourd’hui c’est Biram pour l’esclavage, demain ce sera une Fatimata ou une M’barka si l’une se risque à dénoncer l’infantilisation de la femme et la dynamique de sa soumission perpétuelle, suivant les prescriptions de tel rite, de telle école obédience théologique.

  1. La menace souterraine

Aujourd’hui, l’affaire Birame Dah Abeid, au-delà du scandale, révèle un processus de talibanisation rampante de la société mauritanienne, lui-même vecteur d’une fracture plus profonde : confrontée à la montée des contestations de son hégémonie, par les autres groupes socio-ethniques, la communauté maure subit, plus que le reste du peuplement, la pression ascendante d’un fondamentalisme de la rigueur morale, puritain sur les mœurs, misogyne, porteur d’une lecture littérale du Coran, arabiste de valeurs et d’horizon, sourd à la diversité culturelle du pays et exclusivement tourné vers le passé glorieux de la Umma. Au lieu de résister en lui objectant l’authenticité des cultures nationales et le modèle de religiosité Soufie – bien plus empreint de tolérance et de spiritualité – les segments les plus conscients des élites Bidhane versent dans le credo salafiste ; pire, la remise en question du projet de fondation de la cité de Dieu en Mauritanie, se traite, désormais, par les moyens de l’ostracisme, voire du chantage à la peine de mort. Bien évidemment, d’où son danger pour l’unité du pays, la dérive locale vers le Wahhabisme ignore les revendications de liberté et d’égalité des descendants d’esclaves et renvoie, davantage, l’inatteignable aspirations des négro-africains à une citoyenneté pleine, après les tueries, la déportation et la spoliation de terres. Le salafisme mauritanien achève la mutation paroxystique du nationalisme maure. Une nébuleuse de réseaux caritatifs, irriguée du lointain orient, prépare le lit de la prochaine tyrannie, parmi les populations déshéritées.

IV. Notre position

A. L’acte, maladroit et provocateur de Birame Dah Abeid procède, sur le fond, d’une ardente soif d’équité et de réparation; en cela, sa libération et celle de ses amis de captivité s’impose, d’urgence, à moins de leur garantir, dans les meilleurs délais, un procès selon les standards internationaux.

B. Sous peine de négliger l’insulte à la mémoire et au présent d’une majorité de mauritaniens, l’ensemble des publications religieuses qui comportent la référence à l’esclavage requièrent, de la part des pouvoirs publics et des autorités religieuses, un véritable effort de recherche, attentif afin de distinguer l’obsolète du constant ; il convient d’entamer, vite, une campagne permanente d’exégèse, y compris dans les écoles ou Mahadhra où se dispense l’enseignement civique et moral. Aussi, en bibliothèque et librairie, une notice explicative, voire des ouvrages critiques qui exposent la généalogie du propos, constitueraient, pour les générations de jeunes mauritaniens, un antidote à la discorde raciale.

C. Il est sujet constant de honte et brevet de faillite morale que tant de foules se mobilisent, spontanément, contre la mise à feu de livres de droit et fussent restées muettes, absentes, indifférentes aux nombreux cas d’esclavage et de racisme en Mauritanie, comme si la religion, dans leur entendement, devait protéger le fort et circonscrire l’opprimé.

D. Compte tenu de la globalité du risque, les organisations signataires de la présente notice appellent, les combattants de la démocratie et de la dignité de la personne, à l’intérieur du pays et ailleurs, à une vigilance quotidienne devant la tentative d’instauration d’un Etat théocratique en Mauritanie et dans la zone saharo-sahélienne. Le péril est imminent et à proximité immédiate.

Nouakchott, le 11 mai 2012

Signataires

  1. Association des Femmes Chefs de Familles (AFCF)

  2. Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH

  3. Association Mauritanienne de Solidarité et de Soutien des Détenus (AMSSD)

  4. Association des Maghrébins de France (AMF)

  5. Conscience et Résistance (CR)

  6. Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits de l’Homme (CSVVDH)

  7. Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA)

  8. La Ligue Mauritaniennes des Droits de l’Homme (LMDH)

  9. La Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH)

  10. La Ligue Marocaine de Défense des Droits de l’Homme (LMDDH)

  11. Observatoire Mauritanien des Droits de l’Homme (OMDH)

  12. SOS Esclaves

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