Dans un entretien exhaustif avec « Errayalmostenir », Monsieur Ahmed Ould Daddah, Président de Teketoul (RFD), leader de l’opposition démocratique, a évoqué des questions relatives aux élections, aux modifications apportées à la loi sur le leadership de cette institution, aux moyens du régime,
à la montée des mouvances islamiques à suite au printemps arabe, à l’éventualité d’un changement de la politique de la France envers la Mauritanie après l’arrivée au pouvoir d’un Président socialiste, aux événements du Mali, à l’alternance à la direction du Parti et à d’autres sujets importants.
Texte de l’interview.
Question : Allez-vous participer aux prochaines élections législatives ?
Réponse : C’est une question prématurée car personne ne sait avec précision quand ni comment ces élections seront organisées et parler de quelque chose qui n’existe pas est une perte de temps. La Mauritanie vit un blocage politique sans précédent. Cela est illustré par le vide législatif et réglementaire, par le rejet de la pratique de la concertation, par la gestion solitaire catastrophique de la chose publique…La Mauritanie est dirigée par un pouvoir putschiste totalitaire peu préoccupé par l’alternance et la concertation. Il a fusionné les trois pouvoirs en une seule autorité exécutive qu’il utilise pour l’exploitation du pays, des gens et des ressources aux fins de l’accomplissement de ses caprices dictatoriaux. Convenez que des élections organisées par un régime illégal et illégitime- c’est ce qui le caractérise- sont une comédie sans intérêt. Des élections dignes de ce nom ne se font qu’après concertation et une gestion partagée d’un processus électoral nouveau avec la participation des acteurs politiques à toutes ses étapes commençant par l’élaboration des textes juridiques, l’établissement des listes électorales, l’organisation des opérations électorales jusqu’au dépouillement avec la participation d’une commission électorale indépendante, et d’autres mesures d’accompagnement dont la rupture définitive du lien de l’opération électorale avec l’administration et les finances publiques. Convenez aussi que la confiance est absente, que la volonté politique du pouvoir en place n’existe pas et qu’il n’y a aucune indication d’élections transparentes et honnêtes ; il en découle que le niveau de la consultation populaire n’est pas atteint et l’arrogance du régime a dépassé le niveau acceptable. Dans des conditions telles que celles-ci, c’est une absurdité politique que de perdre le temps à parler d’une farce électorale.
Pour l’essentiel, nous au RFD sommes partie à la Coordination de l’Opposition Démocratique et nous sommes engagés par ses décisions et ses analyses du cours de la situation politique.
Q—Quel est votre point de vue sur les dernières modifications apportées au leadership de l’institution de l’opposition démocratique ?
R— Le problème n’est pas dans les textes mais dans l’incapacité de celui qui les applique et qui ne peut pas les traduire dans les faits. Celui qui ne respecte pas la Constitution ne respectera pas des textes organiques. Celui qui a mis le pays dans une situation de vide législatif et gouverne par ordonnances est capable de tout. Croyez-moi, le problème n’est pas dans la qualification du leader de l’opposition, qu’il soit élu ou pas. La présidence de l’institution de l’opposition ne m’intéresse nullement et ne me préoccupe pas tant. Mais transformer le leadership de l’opposition démocratique en récompense (pourboire) et le tailler à la mesure d’un pouvoir solitaire lui ferait perdre son sens, sa symbolique et sa signification pluraliste. Et c’est un autre pas que fait le pouvoir pour tout contrôler mais l’histoire établit que la tentation de tout contrôler fait perdre tout à celui qui la pratique.
Q—Vous envisagez de faire chuter le pouvoir. De quels moyens disposez-vous pour cela ?
R— Ce pouvoir arbitraire porte les germes de sa mort dans sa nature populiste. Sa chute est une demande populaire venant de mauritaniennes et de mauritaniens de toutes les catégories et de toutes les régions. L’opposition fait partie de cette mouvance contestataire démocratique en augmentation et dont l’objectif est la chute du régime, la réalisation du changement et l’ouverture d’horizons nouveaux devant le pays. La réclamation de la chute du régime ne vient du néant ni n’est un slogan furtif, mais est une étape nouvelle de la lutte du peuple mauritanien pour mettre fin à l’accumulation de promesses insensées, injustes. Les mauritaniens sont déterminés à faire chuter le régime et l’opposition est déterminée à accroitre la lutte. Tous les choix sont ouverts et la volonté du peuple vaincra en dernier.
Q—Comment voyez-vous la montée des orientations islamiques en pleines révolutions arabes ?
R— La montée des (partis) islamiques est une bonne nouvelle. L’islam a toujours constitué l’âme de la nation, sa profondeur spirituelle, civilisationnelle. Les mouvements islamiques ont toujours lutté avec courage, avec foi et endurance. Ils ont consenti des sacrifices énormes pour vaincre les régimes d’oppression et de l’arbitraire. Ils se sont soudés avec le peuple et ont traduit leurs souffrances dans des programmes sérieux qui laissent des traces sur le terrain. Ils sont acteurs du changement, porteurs d’une pensée réformiste nationale éclairée et d’un projet moderniste. Moi, je les considère comme un acteur important parmi les acteurs du changement que nous voulons tous et qu’attend le peuple. Ils sont dignes de confiance et nous et eux sommes capables et en passe de faire évoluer les moyens d’actions communes pour arriver à une rupture qualitative avec la succession de régimes d’injustice, de despotisme et d’embrasement.
Q— Vous attendez-vous à ce que la victoire du candidat socialiste provoque un changement de la politique mauritanienne de la France ?
R— Les politiques des Etats sont dictées davantage par leurs intérêts que par les principes. Tout gouvernement français se préoccupe de la défense des intérêts de la France et est satisfait lorsque la partie adverse est faible, incompétente et prête à faire les concessions qu’on lui demande contre leur maintien (au pouvoir). Alors, je ne m’attends pas à un changement fondamental et personnellement, je vois comme positive l’arrivée d’un Président socialiste à l’Elysée. Les socialistes sont plus proches de notre ligne politique et ne sont pas impliqués dans ce que se sont impliqués d’autres dans leur soutien de systèmes dictatoriaux honnis par leur peuple.
Q—Comment voyez-vous les événements du Mali ?
R— Le poids de la Mauritanie lui commande d’être une terre de rencontre, de communication et d’interaction constructive entre des composantes arabes, africaines musulmanes, de pencher pour la paix et la coopération dans sa région et de s’abstenir d’intervenir dans les affaires intérieures des autres. C’est cela la logique de l’Histoire. C’est cela la logique de la Géographie politique. C’est cela la logique de la préservation des intérêts vitaux de la Mauritanie. Parmi les nombreux pêchés du régime actuel, la destruction du fruit des relations régionales fraternelles de la Mauritanie qu’il a transformées en base et point de lancement de guerres par procuration qui ne la concernent en rien. Par sottise, il s’est entêté et vanté de combattre Al Qaida qui est une organisation terroriste internationale dont les guerres ont éreinté les grandes puissances. Comment la Mauritanie pourrait-elle la combattre ? Malheureusement, la sottise et la témérité ont atteint un niveau de manifestation qui a conduit à intervenir au nord du Mali au motif de poursuivre l’ennemi par des opérations préventives qui ont absorbé les ressources du pays et sacrifié la vie de ses fils innocents à l’extérieur de ses frontières. Vous observez aujourd’hui l’importance des mesures sécuritaires en faveur de ces politiques hasardeuses. Les relations mauritano-maliennes sont tendues et les frontières ne sont pas sécurisées sur toutes leur longueur et le danger terroriste que le pouvoir prétend avoir combattu pour l’éradiquer est plus que jamais présent. Je répète que la sécurité de la Mauritanie est liée à la sécurité du Mali, à la sécurité du Sénégal et à la sécurité des autres pays du voisinage. Le respect des frontières de ces pays et leur unité territoriale, la non ingérence dans leurs affaires intérieures, le développement de la coopération et la coordination avec eux sont le seul garant de la sécurité de la Mauritanie.
Je résume et dis que la sécurisation des frontières du pays implique un front intérieur solidaire et une coordination régionale intense. Les rêveries irréfléchies du régime le conduisent dans un isolement préoccupant. Les relations sont tendues avec le Mali, tièdes avec le Sénégal, en dents de scie avec le Maroc, l’Algérie et les autres voisins.
Q—Certains vous accusent de n’avoir pas réalisé l’alternance à la tête de votre parti. Que leur répondez-vous ?
R— Le Rassemblement des Forces Démocratiques est un parti démocratique. Ses décisions et ses choix émanent des instances dirigeantes et dans le respect des règles du parti. Dans le contexte militant, les fonctions sont des charges et non des honneurs. Les récompenses peuvent ne pas exister et la responsabilité liée à la persévérance, aux sacrifices et à la disponibilité. C’est pourquoi le manque de loyauté militante peut quelques fois être compris comme une absence à l’appel au combat militant. En ce qui concerne l’alternance, elle ne pose aucun problème dans son principe. La situation est différente chez ceux d’en face. Les dirigeants et ceux qui gravitent autour d’eux lient l’autorité et la responsabilité au profit et s’attachent à y rester pour préserver ces profits pour une durée plus longue ; et ils ont d’autres logiques et d’autres motivations. L’alternance est un slogan qui a été soulevée pour de mauvaises raisons, une réduction du sujet à une acception arriviste. L’opposition, dans ses différentes composantes est loin de cette acception.
Q– Une dernière question ?
R—J’espère que les mauritaniens parviendront enfin à un changement démocratique réel et mettront fin aux systèmes militaires dictatoriaux et populistes qui ont accablé les gens et ont ramené le pays à la case de départ. Le peuple veut le changement, veut la chute du régime, veut une bonne gouvernance politique et économique pour la Mauritanie. Nous avons essayé, des décennies durant, d’obtenir le changement par des voies démocratiques, civilisées, apaisées. Nous en avons payé le prix par la torture, l’éloignement et la diabolisation injuste. Aujourd’hui, je considère, comme nombre d’autres appartenant à toutes les composantes du peuple mauritanien, que l’heure du changement a sonné et que la Mauritanie a besoin d’un autre choix. Le choix de la démocratie, du développement, du progrès. Ce grand peuple, endurant, militant, combattant pour la défense de son honneur, mérite une vie heureuse qu’il veut de toutes ses forces. La volonté du peuple ne peut être vaincue et elle vaincra avec l’aide d’ALLAH.
Traduit par www.kassataya.com
Source : errayalmostenir
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