Le poids des évènements de 1989 sur la Mauritanie

(PRemier convoi de rapatriés de retour en Mauritanie en 2008. Crédit photo : anonyme)

L’année 1989 est considérée par les historiens comme le terminus a quo des terribles événements sanglants qui ont éclaté entre le Sénégal et la Mauritanie.

Nés d’un différend banal, comme à l’accoutumée, entre éleveurs et bergers cohabitant et commerçant au bord du même Fleuve Sénégal qui les séparent et qu’ils partagent comme frontières naturelles. Malheureusement pour les acteurs impliqués que sont éleveurs et bergers, ce jour, le fatal a pris la place du banal avec l’intrusion insidieuse de l’Etat-monstre qui, depuis belle lurette, attendait le moment propice pour déchaîner les démons de la destruction programmée et ainsi faire croire à la vox populi et à l’opinion publique internationale l’évidence d’ un conflit entre deux pays voisins.

Ainsi, les voeux de l’Etat mauritanien furent exaucés et le conflit s’intensifia en provoquant brimades, lynchages et surtout assassinats de plus de 500 négro-mauritaniens, dont 28 militaires, un jour du 28 novembre 1990, jour d’indépendance en plein mois de Ramadan, et ce, au vu et au su de tous les chefs religieux qui, dans leur quasi-totalité ont préféré ne pas se prononcer sur l’épuration éthnique, parce que c’est de cela qu’il s’agissait, dont les populations négro-africaines[1] étaient en train de subir.

Dans l’exécution du drame programmé, les haratines, composante noire de la communauté arabo-berbère, ont été utilisés systématiquement pour les actes de pillage, de déportations et d’assassinat. Ils ont collaboré à l’élaboration, à la préparation et à l’exécution de la solution finale”, parce qu’ils avaient été endoctrinés par les beydanes( Maures blancs), leur faisant croire qu’ils étaient eux aussi Arabes et qu’ils étaient originaires du Soudan. A l’instar du mythe Hamite qui avait divisé Tutsis et Hutus au Rwanda, le concept de mythe Arabe allait être instrumentalisé pour galvaniser les Haratines, majoritairement illettrés, à écrire, avec le sang d’innocents, la plus sombre page de l’Histoire de la Mauritanie.

La banalisation du mal

Après un tel drame, le bon sens et la raison voudraient que l’Etat prenne ses responsabilités en condamnant les bourreaux et en dédommageant les victimes pour au moins panser les plaies encore ouvertes. Mais la question semblait beaucoup plus complexe qu’elle ne paraissait parce que l’Etat se confondait avec le bourreau. Et il était clair que l’Etat/bourreau n’était même pas prêt à faire son mea culpa à fortiori demander pardon aux familles de victimes pour le repos des morts. Les bourreaux, après de longues tergiversations, votèrent entre eux une amnistie en juin 1993, considérée comme une loi les lavant des crimes passés. Excluant par ce fait même les vraies victimes, celles qui ont perdu un père, une mère, un frère, une sœur tout en provoquant délibérément ou non d’autres iniquités à celles déjà vécues dans leur chair par cette partie de la population meurtrie au plus profond d’elle-même.

Ce qui n’a fait qu’attiser les haines et dissensions entre différentes composantes de la sociète mauritanienne. Les populations négro-africaines, victimes d’aussi graves crimes contre l’humanité et qui gardent dans leur for intérieur la banalisation de leurs souffrances et le fait que leurs morts soient considérés comme des victimes collatérales, ont affecté de manière viscérale la mémoire collective des Négro-mauritaniens.

Les Mauritaniens, aujourd’hui, entre Guerre et Paix

La lecture de la titraille nous ferait ipso facto penser à une fresque tolstoienne, loin s’en faut. Il s’agit des relations quotidiennes, marquées par le passé douloureux, que les Mauritaniens vivent au jour le jour entre eux. Des relations empreintes ,dans la plupart du temps, d’hypocrisie et du faire semblant pour faire apparaître ,en trompe-l’oeil, cette harmonie et cette stabilité qui guident les nations sérieuses. Parce qu’il est clair que les Mauritaniens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, essaient de montrer que la vie est rose entre les communautés et que tous les citoyens sont traités au même pied d’égalité. Il suffit juste d’interviewer quelques personnes parmi les composantes arabe et négro-mauritanienne pour se rendre compte du grand fossé qui sépare les citoyens d’un pays qui sont condamnés à vivre ensemble et que tout divise. Face à la gravité de la situation, il nous incombe à nous tous d’interpeller l’Etat et d’essayer de nous rassembler autour des idéaux fondamentaux de la nation au lieu de continuer de se regarder en chiens de faïence.

Ndeye Khady Lo

[1] Il s’agit des Pulaar,Soninkés,Ouolofs et Bambaras

Source  :  Slate Afrique via Le Calame le 26/04/2012

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page