Chronique : Autour d’un thé du 25/04/2012

(Sneïba. Crédit photo : Le Calame)

La « visitation », comme aimait à le dire feu Habib Ould Mahfoudh, du Président au Brakna et au Gorgol est toujours d’actualité. Partout où va le Président, la Mauritanie va.

Les mauritaniens de toute la Mauritanie « utile » c’est-à-dire de la grande majorité, les nationaux et les nationalistes ont effectué les déplacements de Nouadhibou, pour écouter le discours « historique » de son Excellence ; de Rosso, pour l’accompagner à mettre un trait, définitif, sur cette histoire de passif humanitaire ; et à Aleg et Kaédi, pour redonner l’espoir aux dizaines de milliers du « Triangle de la pauvreté » qu’un certain commissaire aux droits de l’Homme a abusé en « volant » (l’expression est du Président) leur argent. Sincèrement et pour dire la vérité, cette visitation version Aziz n’a rien de plus spécifique que celles qu’entreprenait Ould Taya. Ni en amont, ni en aval. Les mêmes réunions préliminaires des cadres des wilayas visitées. La même mobilisation des tribus et des tendances politiques locales. La même mise à contribution des cadres et des hommes d’affaires ressortissants des régions, pour la collecte d’un argent dont ne profitent, généralement, que cette minable commission d’organisation de la visite, présidée, cette année, par des directeurs centraux venus directement de Nouakchott. La visitation focalise tout. Pas d’école pendant deux ou trois jours. La petite ville d’Aleg devient le centre de la Mauritanie. Des scènes ridicules de montage, pour tromper le Président. Distribution, la veille de son arrivée, des manuels scolaires à tous les élèves du secondaire, alors que nous sommes à un mois de la fermeture des classes. Equipement soudain de l’hôpital régional en moyens humains et matériels, alors que cet établissement est si délabré que pour le moindre traitement, les patients sont envoyés à l’hôpital départemental de Boutilimit. De grotesques mises en scène pour faire croire au Président que tout va très bien, alors que rien ne va. Inaugurations, discours et « grande satisfaction », selon les termes du dernier conseil des ministres. Bravo, ministres, directeurs de projets, commissaires des droits de l’Homme et à la sécurité alimentaire, généraux, hauts-cadres du Brakna et responsables de l’UPR, pour avoir, une fois de plus, roulé dans la farine le Président. La plus belle phrase, selon moi, a été prononcée à Boghé. Le Président a dit : « Si vous voyez, à côté de moi, un moufssid (gabegiste ou prévaricateur), ne me soutenez pas ! » Quel culot ! Commentaire d’un ami – de l’opposition, il est vrai : Mais le gabegiste n’est pas à côté de lui, il est en lui ! » Cela dit, le propos du Président n’est pas totalement faux. Beaucoup de prévaricateurs n’étaient pas à côté de lui, au moment où il parlait. Ils sont restés à Nouakchott, à la Présidence, dans les ministères, au Conseil Constitutionnel, à la Médiation de la République, à la Commission nationale des droits de l’Homme, dans les nombreuses directions centrales, aux secrétariats généraux des ministères, aux cabinets, dans les ambassades, les consulats, les représentations internationales, les états-majors des armées, dans les chambres parlementaires, à l’UPR, dans les nombreuses autres institutions et démembrements de l’Etat. J’en oublie sûrement.
Si la Mauritanie souffre de sous-développement, c’est à cause de la littérature et de la poésie. Attention ! Ça, ce n’est pas moi qui le dit, c’est le Président qui en a fait le constat. Selon ses statistiques, 86% de l’élite est inutile : des littéraires et des poètes, tfou ! Alors que beaucoup bombaient fièrement la poitrine d’être du pays du million de poètes, voilà que le Président les déchante, en mettant en cause cette virtuosité à son sens très préjudiciable. Toujours selon ses statistiques, la Mauritanie ne compte qu’un seul chômeur électromécanicien et un seul en électronique. Tous les autres, les centaines qui bravent, quotidiennement, le soleil, le vent et les baïonnettes des gens du BASEP ne sont que des littéraires et des poètes rétrogrades qui ne valent et ne méritent rien. Auraient mieux fait, tiens, d’être des militaires, officiers subalternes puis supérieurs puis généraux ; après, on verra : on ne sait jamais, le destin pourrait bien leur donner l’occasion de devenir, même, Président. C’est, quand même, autre chose que de la littérature et de la poésie. Moins cultivé, peut-être, mais sacrément plus rentable ! Il faut croire le Président : non seulement le chef a toujours raison mais, pour une fois, il parle en toute connaissance de cause…

Sneïba

Source  :  Le Calame le 25/04/2012

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