Trois questions à Kane Mamadou, nouveau président de COVIRE

(2008, convoi de rapatriés. Crédit photo : DR)

‘’La gestion unilatérale du passif humanitaire par celui qui est chargé de ce dossier sans concertation ni implication des ayant-droits, n’a fait que fragiliser les acquis’’

Le Calame : Vous venez d’être élu nouveau président de COVIRE. Quelles sont les priorités de ce nouveau bureau ?

Kane Mamadou : Le nouveau bureau de COVIRE, élu le 18 Février 2012, a trouvé, devant lui, un certain nombre de dossiers en suspens. Les indemnisations de soutien pour les veuves n’ont touché que celles des martyrs des corps constitués (armée, gendarmerie, garde et douane), celles des martyrs civils restent encore à assurer.
La réintégration de 144 fonctionnaires et agents du Ministère de l’Education nationale, en octobre 2009, a été prise, mais sans reconstitution de leur carrière. Les fonctionnaires et agents de l’Etat victimes des évènements de 1989, recensés depuis janvier 2010, et ceux recensés en septembre 2011, sont en attente pour la liquidation. La décision du Ministère des affaires islamiques (avril 2011) de cartographier les sépultures n’a pas été appliquée.
Quant à la mesure d’indemnisation, prise en Conseil des Ministres, le 02 juin 2011, sur plus de mille sept cent victimes inscrites sur les registres du Collectif des Rescapés Militaires (COREMI), il n’y avait que quatre cent quatre-vingt-dix bénéficiaires de la première liste .Des réclamations sur les omissions ont été envoyées au Ministère de la Défense nationale. Les déportés qui ont volontairement regagné le pays, dans le cadre du Programme Spécial d’Insertion Rapide (PSIR), sont exclus de la mission de l’ANAIR (Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés) ; ceux qui sont revenus dans le cadre de l’accord tripartite Mauritanie-HCR-Sénégal sont en difficulté de concertation, avec l’Agence, pour la prise en compte correcte de leurs doléances. La mise en œuvre de l’accord tripartite sus-indiqué a connu des défaillances, à savoir l’obtention de l’Etat de jugements supplétifs de naissance, pour les enfants nés au Sénégal ; le rapatriement des fonctionnaires qui étaient installés dans les villes et les cas des déportés non enrôlés en juillet 2007, pour lesquels HCR-Sénégal avait promis une opération supplémentaire qui n’a jamais eu lieu.
Les réfugiés au Mali n’ont pas encore trouvé de cadre juridique pour leur rapatriement. La réinsertion socioéconomique des déportés, de 1992 à ce jour, en plus des questions de déficit de développement des zones d’accueil, constitue des problèmes à étudier. Ce panorama de dossiers représente la charpente des priorités du nouveau bureau.

– Le bureau sortant conteste votre élection et vous accuse, même, d’avoir orchestré un forcing. Que s’est-il passé, au juste ?

– Le bureau sortant a tenu deux mandats successifs sans renouvellement, du 30 Mai 2007 au 30 Mai 2011. Il lui a été accordé sept mois supplémentaires pour présenter le rapport d’activités. Ce rapport a été validé par l’Assemblée Générale du 29 janvier 2012 qui a fixé la date du renouvellement des instances, le 18 février 2012. Le président sortant a envoyé le président de la commission du présidium des présidents de collectifs, appelée Commission Centrale de Suivi du Passif Humanitaire (CCSPH), pour présenter sa démission et celle du bureau. Ensuite, un bureau de séance fut désigné pour présider la réunion. Puis, une commission de désignation, composée de deux délégués par collectif, sauf REVE qui a choisi trois délégués, a été élue. Cette commission de désignation s’est retirée pour ramener une proposition de bureau qui a été passée au vote dont le décompte fut clair : 37 voix pour, dix-sept voix contre qui se sont retirées de la réunion.
Si ces derniers pensent que, sans la reconduction de Sy Abou Bocar à la présidence, ils ne peuvent pas accepter le nouveau bureau et sont en mesure de saper nos rangs, avec l’appui du général Dia Adama, ils doivent se raviser et rejoindre le nouveau bureau, pour garder notre cohésion et notre force. Le récépissé du Ministère de l’Intérieur n’offre pas la légitimité quand elle est perdue à la base.

– Le 25 mars marque la date de la prière de Kaédi et, donc, le début du processus dit de réconciliation, à travers le règlement du douloureux dossier du passif humanitaire. Quelle évaluation faites-vous de ce processus ? La réconciliation est-elle en bonne voie ? Sinon, que faudrait-il faire, à votre avis, pour extirper cette épine des pieds de la Mauritanie ?

– La prière aux absents, organisée, à Kaédi, le 25 Mars 2009, a été un acte fort dans la reconnaissance des violations massives, individuelles et collectives, commises les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, à l’encontre de la communauté négro-mauritanienne.
Le courage politique du Président Mohamed Ould Abdel Aziz à entamer ce règlement du passif humanitaire est à féliciter. Malheureusement, la gestion, unilatérale, du dossier par le chargé du passif humanitaire, avec un groupe qui a tenté de prendre en otage les victimes organisées dans le COVIRE et de décider de mesures, sans concertation ni implication des ayant-droits, n’a fait que fragiliser les acquis. L’évaluation de ce processus de règlement est un échec. La réconciliation ne se décrète pas et doit venir d’un ensemble d’actions qui concourent à l’apaisement des cœurs, à la lutte contre l’oubli et l’impunité, pour que les victimes recouvrent leur dignité.
Le Commissariat aux Droits de l’Homme à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile (CDHAHRSC), la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), avaient engagé, sans succès, des concertations pour la mise en place d’une structure de gestion du passif humanitaire.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  Le Calame le 04/04/2012

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