Sénégal: Les leçons d’un scrutin

Un électeur Sénégalais brandit le bulletin de M. Macky Sall. DR AFPAprès une campagne passionnante et passionnée, le Sénégal a choisi, le 25 mars, M. Macky Sall comme nouveau président. Selon les résultats provisoires, il totalise 65,80% des suffrages contre 34,20% pour son adversaire le sortant M. Abdoulaye Wade. Une victoire éclatante qui pousse à tirer quelques enseignements du scrutin dont le bon déroulement a été unanimement salué.

Diagnostic d’une défaite

Après 12 ans de règne, M. Wade quitte le pouvoir. Le vieux président vient de livrer et de perdre la bataille de trop, n’ayant pas eu la lucidité de partir à temps. Certes le fait d’avoir reconnu très tôt sa défaite et félicité son challenger est un geste symbolique mais il n’a pas l’élégance de celui que son prédécesseur M. Abdou Diouf avait fait à son égard en l’an 2000. Parce qu’il s’est entêté à briguer un troisième mandat malgré les manifestations populaires qui hélas ont fait des morts qui justement ternissent sa fin de règne.

En l’espace d’une décennie, le régime de M. Wade a multiplié les scandales, érigé en sacerdoce le  népotisme, le gaspillage des deniers publics… En plus, le désormais ex-chef  de l’Etat s’était trop tôt séparé d’une  partie de ceux qui l’avaient aidé à accéder au pouvoir. Il  était devenu par la suite une sorte de monarque avec une assemblée de courtisans et d’arrivistes sans convictions qui se sont enrichis en un temps record et dont les agissements ont miné son régime de l’intérieur.

Karim, un boulet pour Wade

Wade a imposé, contre vents et marées, son fils Karim jusqu’à lui confier des chantiers importants et un super ministère au lendemain d’une défaite mémorable lors des municipales de 2009. Une décision mal vécue par les Sénégalais qui d’ailleurs pensent, à tort ou à raison, qu’il aurait voulu orchestrer pour son rejeton une dévolution monarchique du pouvoir à laquelle ils sont farouchement opposés. Les dénégations du papa-président n’ont servi à rien surtout que celui-ci, et c’est sa plus grave erreur politique, avait tenté, l’an dernier, une énième modification de la constitution pour élire un président et un vice-président avec un quart bloquant. L’initiative avait suscité une levée de boucliers de la part du peuple qui était descendu en masse dans la rue et l’avait contraint à faire machine arrière. Mais le divorce était déjà consommé et on assiste à  la naissance du M23, une coalition de partis d’opposition et de la société civile qui s’est assigné pour seul objectif de mettre un terme à son régime. Par la rue d’abord, mais puisqu’il s’est obstiné, par les urnes…

Et ce ne sont pas ses nombreuses réalisations comme des écoles, des collèges et des infrastructures modernes à Dakar qui allaient sauver Wade. Et pour cause ! Celles-ci n’impressionnent guère les Sénégalais dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté. La priorité étant d’assurer la dépense quotidienne pour nourrir sa famille, les nouvelles autoroutes à péage et le Monument de la renaissance, entre autres, constituent pour beaucoup une aberration.

Et désormais seul contre tous, Wade abat ses dernières cartes lors de la campagne électorale. Le président sortant déjà aux abois a joué son va-tout avec des procédés peu orthodoxes : clientélisme, accusation de vote ethnique contre Macky  Sall, forcing auprès des grandes familles religieuses pour obtenir un « ndigueul », une consigne de vote désormais obsolète, etc. Autant dire que Ndiomboor, le lièvre,  surnom en wolof de Wade réputé pour ses ruses, n’avait plus de tour dans son sac.

Les raisons de la victoire de Macky Sall

De nombreux observateurs évoquent l’« ascension fulgurante » de Macky Sall, le nouveau président du Sénégal. Celui-ci a, en effet, créé son parti avant de devenir président en seulement 4 ans alors que son prédécesseur a attendu 26 ans avant d’accéder à la magistrature suprême. Mais ce parcours aussi impressionnant soit-il n’est pas le fruit du hasard et résulte de la combinaison de plusieurs facteurs dont on évoquera deux points saillants.

D’abord une dimension personnelle marquée par une constance au fil des ans. M. Sall a forgé sa stature d’homme d’Etat en adoptant une ligne de conduite immuable. Après s’être embrouillé avec Wade en 2008 et démissionné de tous ses mandats, Maky Sall avait définitivement coupé les ponts avec le pouvoir pour ne plus revenir. Mieux, il a préféré créer son propre  parti, l’APR (Alliance pour la république) et multiplié les déplacements à l’intérieur du pays et à l’étranger.  A l’inverse d’Idrissa Seck, un autre ancien Premier ministre de Wade qui, lui, manque de cohérence avec ses volte-face et ses hésitations à couper le cordon ombilical avec le régime en place.

Ensuite, Macky Sall, un géophysicien de formation peu charismatique, a énormément profité des erreurs de stratégie de ses adversaires politiques. A commencer par Wade, lui-même, qui le propulse indirectement  au devant de la scène. Lorsque, il y a quatre ans, le président sortant  a pesé de tout son poids pour le faire partir du perchoir de l’Assemblée nationale, il lui a rendu, sans le savoir, ni le vouloir, le plus grand service. En effet il lui a conféré le statut de victime qui devait bénéficier par la suite de la sympathie d’un nombre croissant de Sénégalais.

Et si Wade a permis à Macky Sall d’être sur le starting-block de la course vers la présidence, les autres leaders de l’opposition, eux, lui ont ouvert un grand boulevard vers le palais. En effet la guerre d’égos entre Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng a été fatale pour la coalition Benno Siggil Sénégal qui n’est pas parvenue à présenter une candidature unique à l’élection présidentielle à laquelle « Macky » n’adhérait d’ailleurs pas. Autre erreur de stratégie, les leaders de l’opposition n’ont pratiquement pas fait campagne privilégiant les manifestations à Dakar et la confrontation avec les forces de l’ordre. Pendant ce temps, M. Sall sillonnait le Sénégal de long en large, déroulant son programme à travers une campagne efficace. Aussi, lorsque ses adversaires ont décidé timidement d’aller sur le terrain, il était déjà très loin devant.

Une nouvelle génération de dirigeants

En élisant Macky Sall, les Sénégalais témoignent leur attachement au libéralisme et à l’alternance amorcée par Wade dont, et c’est la différence,  ils récusent les dérives de toutes sortes. Mais plus important encore avec l’arrivée d’un quinquagénaire au pouvoir, on assiste à une recomposition profonde du paysage politique sénégalais. La génération née après les indépendances va être aux affaires, un renouvellement de dirigeants nécessaire pour tout pays. Exit donc Wade mais également Niasse qui devra passer la main et aussi O. Tanor Dieng qui devra laisser la place à de jeunes loups aux dents longues tels qu’Abdoulaye Wilane, Me Aïssata Tall Sall et Khalifa Sall, le maire de Dakar.

Des défis à la pelle

Les défis qui attendent le nouveau président sont nombreux : chômage, cherté de la vie, problèmes dans l’éducation, etc. Mais s’il arrive à mettre en œuvre rapidement sa promesse de baisse des prix des denrées de première nécessité, la rue applaudira des deux mains et lui accordera un certain répit.

Par ailleurs le nouveau président doit s’attaquer à un exercice d’équilibriste et faire un dosage subtil dans la répartition des fonctions entre les  membres de l’APR, son propre parti, les coalitions Macky 2012 et Benno Bokk Yaakar qui l’on porté au pouvoir. Un partage qui doit être juste et judicieux d’autant plus qu’il a besoin des uns et des autres pour remporter la bataille des législatives de juin qui lui permettra de contrôler l’assemblée nationale et de mettre en œuvre son programme.

Mais l’enseignement le plus spectaculaire du scrutin présidentiel au Sénégal est que le pays a administré une grande leçon de démocratie au continent africain et même au-delà. En allant voter dans le calme lors d’un vote jugé transparent et salué par tous les observateurs, les Sénégalais ont joué leur partition dans la restauration de l’image de leur pays écorné par Wade et son régime. A Macky Sall de jouer la sienne en consolidant l’état de droit et surtout en faisant preuve de bonne gouvernance.

IBRAHIMA  ATHIE

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page