Le Calame: En dépit de l’organisation d’un dialogue, relativement limité, du reste, et de l’adoption d’une série de réformes constitutionnelles et réglementaires, la crise perdure en Mauritanie. Un constat qui va bien au-delà de l’aspect purement politique. Il embrase une économie fortement éprouvée par de tenaces pratiques de mauvaise gouvernance.
Des méthodes bien pires que naguère, jamais corrigées par les résolutions, plus verbales que réelles, d’un pouvoir héritier objectif d’un système militaire plus que trentenaire, qui s’entête à polluer la vie politique du pays. Du coup, nos partenaires, notamment européens, dont une délégation de parlementaires vient de séjourner en Mauritanie, du 20 au 23 février 2012, insistent, eux, à pousser dans le sens d’un élargissement de la concertation, pour la rendre plus inclusive.
Est-ce l’effet de cette pression ou la réalité du blocage politique, économique et social qui explique la démarche, au demeurant plutôt courageuse dans sa forme, du président de la République, lançant, en janvier dernier, un nouvel appel au dialogue dans le cadre d’un chantier toujours ouvert ? Alors que se radicalise la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD), qui rejette, désormais, toute forme de dialogue avec le pouvoir et prône le renversement d’un régime accusé de tous les maux. Une tendance nettement affichée, à l’occasion de la récente tournée de la COD dans le sud du pays.
Très peu reluisant tableau, assombri, de surcroît, par un début de fronde, au sein de la Coalition des Partis de la Majorité (CPM), dont certains n’hésitent plus à tirer, à boulets rouges, sur la gestion aventuriste du gouvernement. Laquelle est matérialisée par la crise de l’université, ponctuée de féroces répressions, la hausse continue des denrées de base et un chômage endémique, surtout parmi les jeunes.
Appel au consensus pour des élections à très court terme
C’est dans ce contexte qu’une délégation du Parlement européen pour les relations avec les pays du Maghreb, conduite par le député Pier Antonio Panzeri, du PE, comprenant ses homologues Christian Dan Preda (PPE, Roumanie), Inès Ayala Sender (SD, Espagne) et Malika Benarab-Atou (Verts, France), est arrivée en Mauritanie. Au menu, rencontres avec les autorités (président de la République et membres du gouvernement), la classe politique (majorité et opposition), la société civile, l’Ordre des avocats et déplacements sur le terrain (prison de Dar Naïm et camp de rapatriés, dans la région de Rosso).
Un voyage à l’issue duquel la délégation estime « urgente la mise en place d’une Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et permanente », afin de « fixer la date des prochaines élections et d’accélérer les réformes législatives », en assurant tous les outils nécessaires à l’organisation rapide des élections et leur bon déroulement, dans les plus brefs délais, « de manière consensuelle, libre, transparente et équitable ».
Par ailleurs, les députés européens estiment « fondamental que toutes les pratiques discriminatoires et répressives, dans la sphère politique, administrative et sociale, récemment mises en évidence avec la tension provoquée par le processus d’enrôlement, soient complètement éliminées ». En faveur « d’une gouvernance inclusive et transparente » de nature à « gagner la confiance de tous les segments de la société, vis-à-vis du gouvernement et des institutions ». La délégation parlementaire européenne a également plaidé en faveur d’un soutien accru à la société civile et à la presse, signe d’un véritable renforcement de la démocratie.
Seule éclaircie au tableau, le dialogue dont le député Panzeri apprécie les résultats, comme « une étape positive sur la voie de la démocratie, afin de poursuivre les réformes et de parvenir à un consensus. […] Mais celui-ci doit se poursuivre, avec une plus large participation, [notamment] des partis d’opposition, et répondant aux attentes de la société civile ».
Pouvoir sous pression
Autre nouvel pièce dans le puzzle politique national, l’annonce, samedi dernier, par la COD, d’une marche populaire à Nouakchott, le 12 mars prochain. Une manifestation de tous les dangers, pour le pouvoir, dans le cadre d’un vaste plan d’actions, débuté avec la tournée de l’opposition dans les régions. Il faut, cependant, nuancer le propos énoncé plus haut. La COD n’écarte pas, complètement, l’hypothèse d’un nouveau dialogue mais elle place la barre à un niveau élevé. Le collectif de l’opposition exige, désormais, « un nouvel accord politique » sur le même modèle que celui négocié à Dakar, le 2 juin 2009, pour mettre fin au coup d’Etat du 6 août 2008. La Mauritanie, plus que jamais en crise politique et institutionnelle, exige un nouvel accord pour en sortir. La fermeté pour une nouvelle formule de dialogue, combinée à l’occupation du terrain, montre, clairement, que le collectif de l’opposition est en train de faire monter la mayonnaise, mettant, ainsi, le pouvoir sous pression. Mais le régime d’Ould Abdel Aziz ne compte pas rester les bras croisés, face à la nouvelle donne et c’est en personne que le Président prépare ses propres visites de terrain (Nouadhibou et ailleurs), pour contrer le discours de ses adversaires. La campagne électorale est bien lancée, alors qu’on ignore, toujours, la date des élections.
Amadou Seck
Source : lecalame.info le 29/02/2012
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