Mesdames, votre fertilité rend les hommes éloquents

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Que vous disiez « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » ou « Eh, mademoiselle, j’aime beaucoup les poumons que vous portez ce soir ! », vous ne serez pas le même dragueur. Le choix des mots et des tournures n’est pas innocent, y compris pour séduire. Le langage nous identifie, marque notre appartenance sociale tout en indiquant dans quelles dispositions nous nous trouvons vis-à-vis de notre interlocuteur.

Même dans une conversation banale, on peut détecter les signes d’affinité entre les personnes à la manière dont elles « alignent » leur langage l’une sur l’autre : même vitesse d’élocution, mêmes choix syntaxiques et lexicaux. Une sorte d’« effet caméléon » bien identifié tant par les psychologues que par ceux qui donnent des conseils aux demandeurs d’emploi se préparant à un entretien d’embauche : imitez les postures corporelles et les phrases de celui ou celle qui vous recrute, histoire de montrer que vous êtes sur la même longueur d’onde… On a également mesuré cet effet dans un cadre plus sentimental, celui des « speed datings », ces rencontres minutées entre célibataires où, pendant la même soirée, chacun est présenté à plusieurs personnes en un temps très bref pour multiplier les chances de détecter l’âme-sœur. Selon une étude publiée en 2010, dans ces flirts express, les « duos » dont les styles de langage se correspondent ou se copient le plus sont aussi ceux qui ont le plus de chances de se transformer durablement en couples…

A l’inverse, des recherches « évolutionnistes » sur le choix du partenaire vont à l’encontre de cette idée d’un alignement linguistique. Elles disent notamment que, dans la phase de séduction, à l’instar de bien d’autres espèces animales où le mâle fait son « beau », son intéressant, l’homme a naturellement tendance à faire preuve de verve, de créativité en tout genre, à adopter des comportements non conformistes voire risqués : « Regarde, bébé, je peux faire de la mobylette sans les mains, sans les pieds » (et bientôt sans les dents…). Cela se traduit aussi à via le langage. Une expérience de psychologie de 2008 a ainsi montré que les hommes chez qui on avait « déclenché » l’idée de séduction choisissaient des mots plus rares que ceux à qui on avait fait miroiter l’idée d’une relation amicale.

Les deux théories (alignement linguistique et créativité) ne s’excluent pas forcément. L’une peut l’emporter sur l’autre suivant les circonstances. Deux chercheurs américains viennent donc d’émettre l’hypothèse suivante : et si les hommes en quête de partenaire devenaient plus éloquents ou changeaient leur manière de parler en fonction de la fécondabilité de leur « cible » ? Pour le savoir, ils ont mis au point une expérience dont les résultats viennent d’être publiés par PLoS ONE. Ils ont tout d’abord recruté cinq complices, cinq femmes ne prenant pas la pilule et donc susceptibles d’être fertilisées à un moment de leur cycle menstruel. Puis, quelque cent vingt cobayes masculins hétérosexuels ont été invités à les rencontrer, non pas pour un speed dating géant organisé par l’université mais pour un test anodin de linguistique. Chaque homme se retrouvait dans la même salle qu’une des cinq complices, en croyant qu’elle était, au même titre que lui, une des personnes participant à l’étude. Ils faisaient brièvement connaissance, le temps de remplir un formulaire, mais aussi, selon les concepteurs de l’expérience, le temps pour l’homme de repérer inconsciemment les indices de fertilité (ou de non-fertilité) de la dame. Même s’il est difficile de dire exactement en quoi ces indices consistent (parmi les pistes, on cite régulièrement des modifications dans la silhouette, dans l’odeur corporelle, l’attractivité du visage, la volubilité…), de nombreuses études prouvent que le mâle d’Homo sapiens est capable de détecter la phase de « chaleurs » de la femelle : j’ai parlé dans ma première chronique Improbablologie d’une étude célèbre réalisée dans un club masculin, laquelle a montré que les strip-teaseuses ne prenant pas de contraception hormonale gagnaient très sensiblement plus de pourboires pendant leur pic de fertilité (les jours précédant l’ovulation) que lors de leur phase lutéale ou de leurs règles.

Une fois leur formulaire rempli, les deux participants se retrouvaient à deux tables différentes séparées par une cloison, munis chacun de deux jeux d’images : un paquet de cartes contenant des images à décrire avec un verbe indiqué et un paquet où retrouver les images décrites par l’autre. L’ordre des candidats et les verbes choisis étaient évidemment truqués : la femme parlait toujours en premier en utilisant une structure syntaxique particulière, de façon à inciter l’homme à la reproduire. Même si la traduction française est délicate, voici l’exemple donné par l’article : la phrase « Meghan gave Michael a toy » (Meghan a donné un jouet à Michael) incite à produire la même construction, avec un verbe différent – « The captain sent the first mate a message » (le capitaine a envoyé un message à son second) – plutôt que d’employer une construction avec une préposition – « The captain sent a message to the first mate » (le capitaine a envoyé à son second un message). Au cours du test, la femme utilisait quatre fois chacune des deux structures, avec huit verbes différents, et les chercheurs regardaient quel était le taux d’alignement linguistique du cobaye masculin et, surtout, si ce taux variait suivant la période du cycle menstruel dans laquelle se trouvait la complice.

Si celle-ci était dans une phase non fécondable, ce taux de réplication approchait les deux-tiers. En revanche, si la femme était dans une période fertile, ce taux tombait sous la barre des 50 %, comme si les hommes tenaient à se faire remarquer d’elle par leur divergence linguistique. Pour être sûr de leur résultat, les chercheurs ont répliqué leur expérience en ne prenant comme cobayes que des femmes hétérosexuelles : il n’y a plus eu aucune différence significative suivant les phases du cycle menstruel.

On pourra trouver que l’effet n’est pas très marqué et les auteurs de l’étude en conviennent. C’est sans doute dû au fait qu’une fraction des participants… ne se sentaient pas obligés de se démarquer pour séduire ! Les chercheurs le savent car les hommes devaient, dans un questionnaire, évaluer leur partenaire (intelligence, attractivité, etc.). Un de ces critères était l' »attitude dragueuse » supposée de la femme. Or plus cette caractéristique était jugée élevée, plus les hommes recopiaient les structures de langage de leur partenaire, se contentant du rôle de caméléon. Pourquoi en effet se fatiguer à jouer aux beaux parleurs, à faire des phrases compliquées, à puiser dans son stock lexical quand l’affaire est déjà dans le sac ?

Pierre Barthélémy

Source  :  passeurdesciences.blog.lemonde.fr via Le Monde le 21/02/2012

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