Le chanteur Youssou N’Dour arrive à Paris. Cette fois, pas de concert mais une tournée des médias et des officines politiques pour essayer de conforter sa candidature à l’élection présidentielle. Là-bas, le président Wade a réussi à la faire invalider. Et la rue gronde. Quatre morts lors de la dernière manifestation.
Une campagne au Sénégal passe également par une visite incontournable aux confréries traditionnelles. Youssou N’Dour en pélerin… difficile de manquer le spectacle. La journée de reportage au Sénégal, jour de Mouloud, commence d’abord par un interminable embouteillage. Cinq heures pour faire les 80 km qui séparent la capitale de Tiaouane, ville religieuse et lieu de pélerinage pour les fidèles de la confrérie Tidiane. Après, sur place, cela ressemble à Lourdes en période de soldes. Avec une foi inébranlable dans l’islam paisible des Soufis.
Quelques notes et images du voyage…
Marcher dans la ville de Tiaouane, à l’heure du pèlerinage, c’est progresser dans un magma humain et mécanique, une fête musulmane en Afrique, un grand chaos religieux. Le prophète est né aujourd’hui ! C’est jour de Mouloud au Sénégal, le « Gamou », la grande fièvre des confréries soufies.
Un million et demi de fidèles dans une ville de 100.000 habitants, la foule épaisse, coagulée, compacte, les autobus de pénitents bloqués dans les ruelles, l’embouteillage monstre de 4X4 et de carrioles menées par le fouet des cochers, l’œil écarquillé des chevaux, leurs naseaux affolés, les handicapés en fauteuil, les mendiants à plat ventre, les djellabas blanches des pèlerins et les voiles verts des femmes qui claquent comme des étendards religieux… tout baigne dans un somptueux nuage de poussière sacrée.
Et au-dessus du vacarme de la rue, le hurlement puissant des haut-parleurs déglingués des mosquées, qui scandent qu’il n’y a de Dieu que Dieu.
Où est-il ? Pas Dieu, ni son prophète, mais le célèbre musicien qui voudrait être l’élu. Ce jour-là, pour retrouver Youssou N’Dour, il faut fendre la foule jusqu’à la « Maison de Maoodo Sy », demeure d’un très grand marabout. La grande maison blanche émerge comme une ancienne citadelle du désert, entourée de vastes cours bâchées, encombrées de tapis, de marmites géantes posées sur des troncs d’arbres enflammés, cuisinant des repas de semoule, de légumes et de viande rôtie pour des milliers de pauvres affamés. Le marabout régale.
Au premier étage, une petite montagne de chaussures sur le pas de la porte signale le lieu de l’audience. La sainteté a ses règles et Youssou N’Dour attend son tour depuis plus d’une heure, assis dans un grand fauteuil, immobile et silencieux, drapé dans une djellaba de l’Afrique profonde.
Extraordinaire métamorphose. Prononcez son nom à Dakar, à Paris ou à New York et les connaisseurs commencent à agiter frénétiquement leurs hanches au rythme du Mbalax et de la « danse du ventilateur » qu’il a inventés. Des millions de disques, de tournées et de concerts, un tube mondial « 7 seconds », un génie de la musique porté par une voix d’or et l’image d’un Sénégal urbain et moderne… Youssou N’Dour est une star planétaire.
Sauf qu’il n’est pas venu à Tiaouane pour chanter. À l’heure des élections présidentielles, l’artiste est candidat à l’élection présidentielle du 26 février prochain. Ou plutôt était candidat, avant le mauvais coup d’un Conseil suprême, inspiré par l’actuel président Wade, qui lui a refusé l’investiture.
Le Sénégal est terre de puissantes confréries, les Mourides, les Tidianes, les Quadiriya, les Layennes… Leur autorité morale et religieuse est incontournable et, à l’heure des élections, tous les candidats courtisent les marabouts, dans l’espoir d’être adoubés.
En homme politique avisé, Youssou N’Dour a fait le voyage pour se faire reconnaître. Il a même amené avec lui son communicateur traditionnel qui rappelle en langue Wolof les origines du griot chanteur, Mouride par son père, Tidiane par sa mère et « les liens qui unissent le père de son grand-père avec le cousin » du marabout. Au Sénégal, on est toujours un peu « famille ».
Tout le monde se tait, c’est l’heure du verdict. Assis sur le divan, son calot rouge sur la tête, les yeux invisibles derrière d’épaisses lunettes noires, le saint homme parle, longues phrases murmurées qu’un héraut à côté de lui répète d’une voix forte, mot pour mot. Il est question d’un fils pieux et honnête, d’un musicien visionnaire qui a autrefois composé une chanson dénonçant la « Combine » et se retrouve victime de vilaines manœuvres politiques. Puis le sage prend la main du candidat, s’abîme en prières et souffle sur sa paume. Youssou Ndour sourit, satisfait.
L’esprit des marabouts Tidianes est avec lui.
Jean-Paul Mari
Source : carnetsdungrandreporter.blogs.nouvelobs.com via Le Nouvel Observateur le 15/02/2012
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