Mohamed Ould Abdel Aziz au journal Le Monde:  » Le nord du Mali est une région laissée libre pour le terrorisme « 

Mohamed Ould Abdel AzizOuadane (Mauritanie) Envoyée spéciale. Dans un entretien au  » Monde « , le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, s’inquiète de l’offensive armée touareg et du rôle d’AQMI

Aucun avion ne s’était plus posé sur la piste d’Atar, capitale de la région de l’Adrar, depuis un an. L’arrivée, le 5 février, de 103 touristes français accompagnés d’une dizaine de tours opérateurs spécialisés, pour une visite de quatre jours financée par l’Etat mauritanien, a donc été un événement dans cette région où le tourisme, sous la menace d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) s’est effondré, passant de 10 000 visiteurs par an il y a quelques années à zéro aujourd’hui.

La région a été classée zone rouge par le Quai d’Orsay. Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, y est venu inaugurer le Festival des villes anciennes à Ouadane, en compagnie de plusieurs ambassadeurs, dont le Français Hervé Besancenot. En septembre, des manifestations ont éclaté à Atar. La proximité avec le Mali, aux prises avec une rébellion touareg, ajoute à l’inquiétude de la Mauritanie.

La venue de plusieurs ambassadeurs en zone rouge, c’est un événement ?

L’événement, c’est le festival de Ouadane qui se déroule dans un contexte assez difficile, avec cette insécurité qui touche toute la région du Sahel depuis une décennie, et la Mauritanie depuis 2005. Nous essayons de la combattre et la situation s’améliore sensiblement sur le plan sécuritaire. Pour nous, la Mauritanie n’est pas rouge mais verte ! K. Nous avons renforcé les frontières avec des postes de contrôle, des unités mobiles, et toute cette partie du territoire est devenue une zone militaire interdite d’activité. Nous avons commencé à nous équiper d’une aviation, pour la surveillance mais aussi pour des attaques au sol, ce que nous avons fait, y compris au-delà de nos frontières – au nord du Mali – .

Les bandes armées qui venaient et repartaient pour commettre des actions sur le sol mauritanien comme en 2005, 2008 ou 2009 ne le peuvent plus. Nous avons asséché certains trafics qui profitaient à ces bandes armées, même s’il n’est pas facile de contrôler un territoire si vaste.

Des forces militaires françaises sont présentes en Mauritanie ; vous accueillez, depuis peu, des Américains. Dans quel but ?

Nous coopérons avec la France et les Etats-Unis. Cela concerne essentiellement des instructeurs. Il n’a jamais été question de la création d’une base militaire américaine, cette idée n’existe que dans la tête de quelques personnes.

Le mouvement de rébellion touareg au Mali, votre voisin, vous menace-t-il ?

Bien sûr, c’est une source d’inquiétude. Chaque fois qu’un foyer s’allume dans cette zone, cela crée des problèmes à l’ensemble de la région. Les combats se banalisent, la mort elle-même se banalise.

Nous avons déjà accueilli 6 000 réfugiés. Nous en attendons encore. C’est une situation dangereuse et très complexe. Il n’y a pas un seul mouvement de rébellion qui s’étend au nord du Mali, mais deux, qui disent combattre pour le même objectif : le MNLA – Mouvement national de libération de l’Azawad – et celui de Iyad Ag Ghali – ancien diplomate malien – . Ce dernier, lié un temps au pouvoir malien, a noué des alliances avec les groupes terroristes, c’est lui qui servait d’émissaire pour le paiement des rançons.

Le nord du Mali est une zone pratiquement laissée pour compte et libre pour le terrorisme. C’est là qu’il séjourne et c’est à partir de là que les terroristes agissent et se font payer des rançons qui les renforcent. Ces terroristes se trouvent sur une bande désertique de 300 km et s’approvisionnent, en carburant et en vivres, à partir de trois ou quatre villes connues, dont Tombouctou et Gao. Ceux qui les approvisionnent sont connus, fichés. Nous avons même parfois leurs immatriculations.

Après le conflit libyen, redoutez-vous une prolifération des armes ?

Le stade de la peur est dépassé. Nous avons la certitude que les terroristes sont très bien équipés. Au mois d’août, à la frontière, notre aviation a détruit un véhicule équipé d’un missile sol-air.L’armement, en Libye, a été distribué de façon anarchique, entre les mains de n’importe qui. Les unités qui défendaient Kadhafi ont quitté la Libye pour le Niger ou le Mali, avec leurs armes. Mais nos frontières étaient déjà fermées.

Un centre opérationnel militaire commun avec l’Algérie, le Mali, le Niger, et la Mauritanie a été créé à Tamanrasset, en Algérie. Fonctionne-t-il ?

L’objectif de ce centre et la réglementation ont été mis en place. Il en est encore à ce stade. Nous attendons toujours de passer au concret. Nous pensons qu’il est de la responsabilité de ces Etats de juguler ce fléau. Il s’agit d’un ennemi, très limité, qui ne dépasse pas les 300 hommes. C’est à la portée de n’importe quel Etat. Je ne veux pas critiquer les autres, mais nous ne pourrons pas avoir la sécurité en Mauritanie sans une bonne coordination, et nous y tenons. Tant qu’il y a un foyer quelque part, les risques de débordements sont là. Si on laisse AQMI s’installer chez nous, tout ira avec. Le tourisme mais aussi la prospection et l’exploitation minières sont concernés.

Pourquoi les élections législatives et communales prévues en 2011 en Mauritanie ont-elles été repoussées au mois de mai ?

Elles ont été repoussées à la demande de l’opposition, pour les préparer sérieusement. Nous sommes en train d’achever la création d’un état-civil biométrique et nous allons constituer une commission électorale indépendante. Notre pays a beaucoup souffert en 2011 de la sécheresse. Nous avons conçu un plan pour subventionner des produits de première nécessité comme le sucre, le riz, l’huile et les pâtes alimentaires, à hauteur de 30 % à 40 %, et créé un circuit pour l’alimentation du bétail. Cela a représenté un coût de 150 millions d’euros.

Propos recueillis par Isabelle Mandraud

Source: © Le Monde

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