Reportage: Aux confins de l’Est

Une providentielle mission de plus d’une semaine m’a permis de sillonner les régions de l’est de la Mauritanie et d’emprunter, pour la énième fois, les tortueux et très délabrés chemins de la principale route nationale de l’Espoir qui s’étend sur plus de mille kilomètres et traverse six des wilayas du pays: Trarza, Brakna, Tagant, Assaba, Hodh El Gharbi et Hodh Chargui.

De Nouakchott à Bassiknou, à quelques dizaines de kilomètres des frontières avec le Mali, rien ne distingue les villes, les hameaux et les hommes. Ici et là, les mêmes paysages, les mêmes préoccupations, les mêmes incertitudes. Les séquelles de la mauvaise pluviométrie sont visibles sur les pâturages et les animaux. Dans ces régions, la vie est infernale. Les villes ressemblent à de gros hameaux où les superflus de la vie moderne, cybers Internet, cabines téléphoniques, salles de jeux et autres services publics côtoient, dans une symbiose admirable, les choses de la tradition, maisons en banco, attelages d’ânes et de chevaux, sur fond de standards assourdissants et de cris tapageurs des revendeurs de cartes de recharge et d’«envoyer crédit» dont la capitale Nouakchott ne semble pas avoir l’apanage. De Nouakchott à Néma, il faut, au moins, une quinzaine d’heures de voyage sans répit. Le tronçon Kiffa-Tintane constitue, sur quelque cent quarante kilomètres, une véritable hantise pour ses usagers. En 2008, les travaux de sa réhabilitation ont commencé. Mais, au jour d’aujourd’hui, à peine quelques dizaines de kilomètres sont réalisés. La ville de Tintane, ravagée par de fortes inondations, n’en finit pas de renaître, les stigmates des pluies qui l’ont détruite sont encore nettement visibles, sur ses terres et sa batha. Les tapages médiatiques et les campagnes politico-démagogiques, épisodiquement menées, sur sa reconstruction, ne sont guère proportionnels aux travaux qui y ont été, réellement, entrepris. Quelques superbes villas d’anciens dignitaires du régime d’Ould Taya jonchent la route. Quelques-uns de mes compagnons de voyage poussent des gémissements de nostalgie, assortis de commentaires sulfureux, sur l’époque de l’ancien président, déchu en 2005. Sur les chantiers, une équipe de la TVM filme les travaux, illustration probable d’une prochaine mission gouvernementale en Assaba.

Insécurité
La ville d’Aïoun somnole, entre ses beaux petits monticules de Tembemba, sa grotte d’El Makhrougatt et ses divines eaux d’Aïoun-source. Des lieux de prédilection pour le tourisme, encore inexplorés. Une affaire d’esclavage, à Agharghar, dans l’arrondissement d’Aïn Farba, défraie la chronique. Comme à Kiffa, la vie y est simple. Le marché grouille de monde. Boutiques, pharmacies et bâtiments administratifs longent l’avenue principale qui traverse la ville. A sa sortie, deux postes de police et de gendarmerie régulent les flux de voitures en direction de Timbedra, à 170 kilomètres à l’Est, en passant par Oum Lahbal, Aoueïnatt Zbil et Oum Laouam. A Timbedra, à quelques encablures du marché, une partie de la célèbre école des fils de chefs, dont la construction remonte à 1922, est visible de loin. C’est là que les maîtres des grandes tentes envoyaient, malgré eux, leurs fils à l’école coloniale. Le département constitue un important nœud de trafic, entre tous les marchés forains de la zone, au point de disputer la notoriété à Néma, capitale du Hodh Chargui, sise à 107 kilomètres, encore plus à l’Est. C’est dans cette région, précisément dans l’arrondissement d’Adel Bagrou, que le gendarme Ely Ould El Moktar, ressortissant de Timbedra, a été enlevé par AQMI. Aujourd’hui, au Hodh Chargui, la consigne de sécurité est claire: tenue civile recommandée, pour les militaires, histoire de passer inaperçu, et circulation en voiture banalisée, pour les responsables administratifs et de sécurité, afin de paraître citoyens ordinaires. Il y a quelques jours, sur la route du Kouch, entre Amourj et Néma, une voiture a été attaquée par des bandits armés qui ont délesté les passagers de tous leurs biens et blessé par balle un d’entre eux, qui tentait de fuir. De Nbeiket Lahwach, dans le Dhar, vers Bassiknou et Fassala, à quelque sept kilomètres du Mali, un véritable no man’s land où pullulent voleurs de bétail, trafiquants de tout acabit, chasseurs de primes et bandits armés: totale insécurité garantie. Brigades de gendarmerie et commissariats de police semblent manquer de logistique et d’hommes pour faire face à ce danger qui menace la stabilité de toute la région. Cette carence explique, sans autre commentaire, les récurrentes intrusions d’Al Qaïda et la perpétuation du banditisme en ces localités. Dans les régions de l’Est, il reste beaucoup à faire. Comme, probablement mais à des degrés divers, dans toutes les autres régions du pays. Les prisons des capitales régionales, Aïoun, Kiffa et Néma – à l’exception, notoire, d’Aleg – sont des maisons de particuliers, louées, à prix d’or, pour arranger un proche, un ami ou un allié politique. En Assaba, où les travaux d’érection du palais de justice ne sont pas encore achevés, les tribunaux se tiennent dans des maisons délabrées. A Nouakchott comme partout dans le pays, des institutions officielles sont abritées dans des locaux loués à des prix surestimés, afin de détourner, indirectement, l’argent public. Vous avez dit lutte contre la gabegie? Vous en voulez, vous en voilà. Et, ce n’est, hélas, que la partie apparente d’un iceberg de vols, malversations et dilapidation organisés.

Sneïba El Kory

Source  :  lecalame.info le 01/02/2012

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