«Chaque jour on est confronté à de faux actes, comme le cas de ces jumeaux dont l’un est né dans une ville du Gorgol, et l’autre à Nouakchott!»
Les conditions d’entrée dans l’espace Schengen se sont nettement durcies ces dernières années. Derrière l’aspect politique, il y a l’aspect pratique que le commun des demandeurs de visas vivent, et qui ne comprennent pas les raisons concrètes qui justifient le déluge de nouvelles mesures dans la procédure de demande de visas. Le Consul de France en Mauritanie, Daniel Jimenez explique dans cet entretien les tenants et aboutissants administratifs du «monde du visa Schengen».
Quelle est l’évolution de la demande de visas en Mauritanie ces dernières années?
On a une demande constante, comprise entre 4500 et 5000 demandes par an.
Comment expliquer le long délai d’attente de 10 jours pour une réponse à la demande de visa?
Nous accordons deux types de visas : le visa long séjour pour les regroupements familiaux, ou pour les études ; ce sont des demandes relevant de la compétence exclusive de la France. Et nous accordons les visas de court séjour, qui sont valables pour tout l’espace Schengen ; ces derniers peuvent être limités par certains pays de la zone Euro. Dans la plupart des pays, certains partenaires demandent à être consultés ; en Mauritanie, c’est l’Allemagne, qui donne sa réponse après un délai en moyenne de sept jours. On est donc liés par ces consultations même si on essaie au maximum de réduire ce délai.
Mais comme des cas de force majeure, par exemple une grave urgence sanitaire ou diplomatique, le législateur a prévu le visa territorialement limité (VTL) de court séjour, mais national.
De nouveaux éléments ont été ajoutés à la procédure d’obtention du visa, notamment l’obligation d’acheter le billet et prendre assurance sans être certain d’avoir le visa. Quelle est leur importance?
Ces mesures ne sont pas nouvelles, elles ont simplement été rappelées. D’abord on ne demande pas l’achat du billet, mais sa réservation, ensuite concernant l’assurance-voyage, certaines structures d’assurance remboursent la prise en charge de celle-ci sur justificatif du refus du visa.
Et pour les prises de rendez-vous externalisées et étalées sur deux mois en moyenne?
Les conditions d’accès au service des visas étaient de plus en plus difficile pour les usagers. Des files à l’extérieur se formaient avec tous les travers supposés, liés à la corruption et aux tensions. C’était indigne. C’est de là qu’on a décidé d’externaliser la gestion des rendez-vous. Maintenant certes, il y a toujours un engorgement du fait l’insuffisance des ressources humaines, d’autant que les membres du gouvernement et de l’administration, bénéficient dans le cadre de leurs fonctions, d’un accès et d’un traitement prioritaire.
Au début il y avait des délais raisonnables, mais avec le temps et le succès de la procédure, il y a eu engorgement. J’ai mis en place face à ces défauts, un système de rapprochement de dates : dix rendez-vous d’urgence sont accordés chaque semaine. Dans un premier temps, l’usager sollicite de la société Africatel un rendez-vous, il l’accepte et, dans un deuxième temps, il sollicite de cette même société, par voie de messagerie, un rapprochement de date.
L’ambassade d’Espagne a externalisé aussi l’enregistrement des dossiers de demande de visa, ainsi que la saisie des données de biométrie à une société. À terme on pense y avoir recours pour nous consacrer essentiellement à l’analyse des dossiers.
Les étudiants mauritaniens se plaignent annuellement des difficultés d’obtenir un visa d’études d’autant que leurs inscriptions seraient acquises…
En Mauritanie on ne va pas au-delà du Master 1. Après ce cycle les étudiants se tournent vers le Maroc, la France ou le Sénégal. Pour ce genre de visa, on s’appuie sur des avis techniques. Un étudiant présente un dossier à l’action culturelle qui analyse celui-ci, notamment sur l’aspect linguistique et académique. On a des cas de titulaires de Master 1 avec d’énormes lacunes linguistiques et même d’écriture. C’est un avis technique qui contribue à la prise de décision du service des visas. C’est un travail fait le plus sérieusement du monde. Ensuite, on analyse la situation économique de l’étudiant et ses capacités financières à vivre dignement en France.
Quand on a un avis favorable et une bonne situation économique on accorde le visa. Et selon la balance entre ces deux éléments on pousse plus loin ou non les recherches sur le demandeur. Une bonne situation économique, pareillement, ne permet pas à elle seule, d’obtenir le visa.
Après ce qui est très frustrant, et que je peux comprendre comme déclencheur de colère, c’est que le refus de visa étudiant n’est pas motivé. Certes un recours gracieux peut être introduit ici, mais effectivement il est difficile pour l’étudiant d’argumenter en sa faveur pour un accord, quand il ne connaît pas les raisons du refus préalable.
Le 11 octobre 2011, les états membres Schengen ont introduit le Système d’information sur les visas (VIS). Dans le VIS sont recueillies les données biométriques du demandeur. Au-delà des raisons de sécurité évidentes, à qui d’autre s’adresse ce VIS?
Le vis permet de lutter, entre autres, contre le « visa shopping ». C’est-à-dire aller d’ambassade en ambassade pour tenter d’obtenir un visa quand on n’a pas réussi dans l’une de ces ambassades. Ça nous permet d’avoir en direct toutes les informations sur les demandeurs. Et en Europe les contrôles seront plus faciles.
Un autre point important dans l’élaboration du VIS, et qui est vrai pour la Mauritanie, c’est qu’il y a beaucoup de fraudes à l’état-civil. Donc pour le regroupement familial on s’assure que les actes de parenté soient bons, or ce n’est pas toujours le cas. Chaque jour on est confronté à de faux actes, comme le cas de ces jumeaux dont l’un est né dans une ville du Gorgol, et l’autre à Nouakchott!
En outre, nous sommes régulièrement confrontés à des problèmes de créances hospitalières, ou de triches qui permettent de bénéficier de l’aide médicale de l’état. Car sous certaines conditions, les étrangers en situation irrégulière en France bénéficient de l’accès aux soins. C’est une des règles de la République. Et paradoxalement, on constate que des personnes qui n’ont pas forcément de difficultés économiques trichent sur leur situation pour bénéficier de cet accès gratuit aux structures sanitaires. Toutes ces personnes seront plus facilement identifiables.
Propos recueillis par Karim Kabage et Mamoudou Lamine Kane
Source : Noor Info le 23/01/2012
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