Duel entre deux marchands du désert. L’enlèvement, cette semaine, d’un gendarme mauritanien à Adel Begrou par un groupe armé ressuscite le débat autour de la question de la lutte contre le terrorisme engagée par Ould Abdel Aziz depuis plus de deux ans.
La complexité du dossier sécuritaire dans la zone sahélo-saharienne englobe des enjeux et des intérêts, souvent antagoniques, des acteurs.
Il y a, d’abord, les intérêts des groupes armés sur le terrain (djihadistes, trafiquants en tous genres, vendeurs d’otages etc). Il y a, ensuite, ceux des Etats de la sous-région. Il y a aussi ceux des « négociateurs », genre Moustapaha Chafi et Jean Marc Gadoulet, devenus presque incontournables pour la libération des otages et travaillant directement avec les services secrets occidentaux. Et enfin, il y a les intérêts des puissances, notamment la France et les Etats-Unis qui, pour des raisons géostratégiques, portent un regard assez visible sur la région.
A son investiture, en 2009, Ould Abdel Aziz n’a pas caché ses intentions : la lutte contre le terrorisme sera la priorité des priorités. Il l’a répété à l’infini, parfois avec un élan belliciste, pour marquer sa détermination, en disant que ce « combat est irréversible quel qu’en soit le prix ».
Contre un ennemi invisible, Aziz va utiliser ses propres armes : les GSI, unités spéciales mobiles bien équipées, création d’une zone militaire interdite de 160 000 kilomètres carrés et un ratissage aérien pour orienter les unités spéciales vers des cibles potentielles ou déclarées.
La riposte ne tarde pas à venir. Trois humanitaires espagnols sont enlevés entre Nouakchott et Nouadhibou et acheminés vers les camps d’Aqmi, en traversant le territoire mauritanien d’est en ouest (en aller et retour). Mais, Aziz a de la baraka, en quelque sorte, puisque les services secrets mauritaniens réussissent à enlever, pour leur part, le principal auteur du rapt qui a livré les otages aux terroristes, Oumar Sahraoui.
Mais, lorsque les marchandages commencent, Moustapha Ould Limam Chafi, opposant mauritanien faisant office de Conseiller du Président du Faso, fait son intrusion. Et là, les choses se gâtent. Un peu pour tout le monde. Pour les Occidentaux qui n’ont pas la même approche ainsi que pour les Etats de la sous-région.
En effet, si les Américains, les Français, les Algériens, les Mauritaniens sont hostiles au principe du paiement des rançons, ce n’est pas le cas de l’Espagne, pays dont les otages sont ressortissants. Le Mali dont le territoire est le théâtre de ces marchandages du désert adopte une attitude subtile. Au final, c’est Ould Chafi qui remporte ce manche contre Aziz puisque, car c’est à lui que sera confiée la libération des espagnols enlevés.
La passe d’armes entre les deux hommes ne finira plus de finir. Derniers actes en date, les sorties véhémentes, cette semaine, du conseiller lobbyiste de Balise Compaoré contre le président mauritanien. Samedi, l’épouse et les enfants de Moustapha Chafi, venus pour rester au chevet de leur grand-père hospitalisé à Nouakchott, ont été bloqués à Dakar par les autorités mauritaniennes.
Cependant, il faut situer le duel auquel se livrent les deux hommes dans leur volonté de gagner l’appui, chacun pour sa part, des deux concurrents occidentaux dans la zone : Américains et Français. Si Ould Abdel Aziz veut apparaitre, aux yeux, de l’Occident comme le Calife du désert, Ould Chafi se plait bien d’en être l’Emir.
En privé, les diplomates américains ne se cachent pas de faire l’éloge d’Ould Abdel Aziz, « ce militaire, déterminé dans sa lutte antiterroriste ». D’ailleurs, c’est ce qui explique, entre autres raisons, le rapprochement entre la Mauritanie et l’Algérie, cette dernière abritant le Quartier Général du comité des états-majors opérationnels conjoints (Cemoc), qui regroupe les armées d’Algérie, du Mali, de Mauritanie et du Niger et qui a l’appui des Etats-Unis.
Ce n’est pas pour rien que la réunion de ce groupe, prévue à Nouakchott, début décembre, a été déplacée à Bruxelles, un peu pour ne pas froisser les Européens, mais sous le regard attentif des officiers Américains à l’Otan.
Aujourd’hui, si Ould Chafi saute sur l’enlèvement du gendarme d’Adel Begrou, c’est qu’il sait qu’il trouve là un moyen de mettre à nu les faiblesses de son adversaire dans sa lutte antiterroriste, lequel avait toujours argué que les attaques contre les militaires mauritaniens à Lemghaity (2005), Ghallaouiya (2007) et Tourine (2008) résultaient de la faiblesse des moyens militaires et humains de l’armée mauritanienne. Ould Chafi sait également que la guerre préventive que mène d’Aziz contre Aqmi est efficace, mais couteuse. L’usure du temps, le manque de visibilité (alertes et fausses alertes incessantes qui risquent d’épuiser les unités) sont autant de facteurs qui alourdissent la tâche d’Aziz.
D’ailleurs, un reportage de France 24 diffusé il y a quelques semaines, et qui n’est qu’une opération de « communication de la Présidence mauritanienne » selon les propos de son auteur, indiquait que malgré la création d’une zone militaire tampon des attaques ont toujours lieu sur le sol mauritanien.
A cela s’ajoute, la menace formulée par les services de renseignement mauritaniens affirmant qu’une partie des armes « perdues » lors de la révolution libyenne sont aujourd’hui entre les mains d’Aqmi. Ils parlent de missiles sol-air de type Sam7 capable d’abattre un avion de ligne dans les phases de décollage et d’atterrissage. De quoi donner des sueurs froides aux responsables de la région. Menace qui pèse également sur l’aviation mauritanienne dont la couverture a été jusqu’ici indispensable aux troupes au sol.
Mohamed Ould Khayar
La Presse du 26/12/2011 via canalrim
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