Déclaration commune des organisations de la société civile mauritanienne d’Europe

A l’attention de Madame Catherine Ashton,

Haute représentante de l’Union pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité et Vice-Présidente de la Commission Européenne.

Bruxelles, le 12 octobre 2011

Madame,

Le 12 octobre 2011, la délégation des organisations de la société civile mauritanienne ci-dessous nommées a rencontré Monsieur Filiberto Ceriani Sebregondi, le Chef de Division du Département Afrique, Direction Afrique occidentale & centrale, Division : Afrique occidentale et Monsieur Vincent Ringenberg, responsable géographique de la Mauritanie du Service Européen pour l’Action Extérieure. Suite à cette rencontre, nous vous présentons la déclaration suivante.

Déclaration commune des organisations de la société civile mauritanienne d’Europe

 Nous, organisations regroupant les Mauritaniens résidant dans divers pays européens, œuvrons pour l’intégration de nos membres dans tous les rouages de la vie civile européenne. Nous militons pour le respect des droits de l’homme dans tous les pays du monde. Nous agissons particulièrement pour le respect scrupuleux des droits fondamentaux de l’homme dans ce pays ouest-africain et maghrébin qu’est la Mauritanie.

Ces dernières années, la Mauritanie se retrouve dans un tourbillon politique, économique et social assez dangereux et sans précédent.

Sur le plan politique, le pays demeure l’une des cibles préférées des islamistes qui opèrent des expéditions répétées pour déstabiliser le pays et commettent des attentats contre les intérêts occidentaux. Le régime, coincé entre le marteau en l’enclume, prend des mesures impulsives répressives tantôt contre des groupes sociaux, politiques ou religieux, tantôt contre des individus jugés trop turbulents, sans jamais respecter les dispositions législatives du pays. C’est ainsi que des militants des droits de l’homme qui s’opposent à l’esclavage sont fréquemment torturés et détenus sans procès et que des islamistes sont arrêtés et jetés en prison sans jouir du droit élémentaire de visite de leurs proches parents.

Sur le plan économique, l’économie nationale est accaparée par une infime partie de la population qui ne cesse de s’enrichir au détriment de la majorité de la population. Les prix flambent de façon incontrôlée et des denrées alimentaires de base sont quasi-introuvables dans les marchés locaux et inabordables pour la masse populaire.

Sur le plan social, la quasi-absence de pluies, est un facteur exacerbant la situation lamentable des agriculteurs et éleveurs qui constituent toujours le secteur le plus fragile de l’économie nationale.

Actuellement, les autorités de Nouakchott s’attèlent à l’indemnisation des victimes des violations des droits de l’homme des années 80 à 90, mais persistent dans leur refus de reconnaissance des déportés mauritaniens vivant au Mali. Alors que sans cette reconnaissance accompagnée d’une politique volontariste de retour de ces déportés au bercail, toute idée de réconciliation nationale et de stabilité du pays ne serait qu’un leurre et vouée à l’échec.

Depuis quelques jours, les jeunes négro-africains, manifestant pacifiquement pour l’annulation des mesures et des pratiques discriminatoires découlant de l’enrôlement de la population, sont arrêtés, maltraités et reçoivent des balles réelles de la part des forces de sécurité. Cette répression aveugle et disproportionnée a déjà coûté la vie à Lamine Mangane au cours d’une manifestation pacifique organisée par les populations de Maghama. Il serait utile de signaler que l’auteur du meurtre est toujours libre et qu’il vit en toute quiétude, ce qui est inacceptable.

Nous signalons au passage que, malgré une absence totale de communication sur le sujet, aucun Mauritanien ne s’oppose à l’opportunité de l’enrôlement en question dans le pays. Toutefois, dans la pratique, plusieurs types de manquements institutionnels ont été montrés du doigt par les observateurs épris de justice et force est de constater que les victimes de ces actes délibérés du pouvoir en place ne sont autres que les populations négro-mauritaniennes. Ces manquements se traduisent comme suit :  

  • la composition de la Commission Nationale chargée de superviser les opérations d’enrôlement ne reflète pas la diversité ethnique du pays. Ses membres sont majoritairement Arabes. Toutes les autres communautés y sont volontairement sous-représentées par les autorités.
  • dans l’exercice de la pratique de l’enrôlement, des actes discriminatoires qui offrent à des décideurs mal intentionnés de poursuivre des objectifs inavouables ont refait surface avec pour unique cible les populations négro-mauritaniennes. Nous rappelons à cet égard que, durant les évènements de 1989, beaucoup d’archives et de pièces d’état civil ont été sciemment détruites par certains représentants de l’autorité et qu’en cherchant des Sénégalais ce sont des Mauritaniens qu’on a trouvés pour les déporter. Il faudrait surtout condamner la récurrence de certaines questions humiliantes, honteuses, trop souvent racistes, et surtout susceptibles de porter atteinte à l’unité nationale et exclusivement posées aux négros-mauritaniens , du genre : « Etes-vous haalpulaar, soninke ou wolof ? Parlez-vous arabe? Connaissez-vous tel ou tel notable? Pouvez-vous réciter tel verset de Coran? Connaissez-vous l’hymne national? Par contre, le concitoyen Arabe est exempté de l’humiliation. Au mépris des règles élémentaires du droit mauritanien (articles 8 à 12 de la Loi relative au code de la nationalité qui garantissent la mauritanité à tous ceux qui sont nés dans ce pays ou dont les parents y ont vu le jour), l’agent de l’Etat se permet de décider de la nationalité ou non du citoyen qui se présente devant lui alors que cette prérogative est dévolue, en principe, aux institutions officielles de la justice. Les agissements discriminatoires, la vexation et la provocation de ces agents enrôleurs zélés n’épargnent pas non plus les Négro-africains de Mauritanie se présentant avec un document officiel, pourtant établi par les autorités;
  • le fait d’exiger, pour certains, des pièces qu’il leur serait impossible de fournir. Les exemples les plus éloquents concernent les certificats de mariage et de décès. En particulier, ce sont surtout les ressortissants des zones rurales et les personnes âgées qui sont principalement victimes de telles manœuvres.
  • le manque de sensibilisation des citoyens sur les quant aux objectifs et les procédures de l’opération d’enrôlement;
  • ·         l’exigence de la présence physique de leurs parents, parfois trop âgés et malades, pour des individus qui eux-mêmes dépassent la cinquantaine, faute de quoi leur enrôlement se voit refusé;

 

Pour apporter les correctifs nécessaires à la réussite d’une opération si importante pour le devenir du pays, nous exigeons:

 

  • la révision de la composition de la Commission Nationale chargée de superviser les opérations d’enrôlement pour qu’elle soit représentative de toutes nos composantes nationales;
  • la révision des commissions départementales, dans le même esprit que la commission nationale;
  • la décentralisation des commissions pour qu’elles soient plus proches des populations, particulièrement dans les zones rurales;
  • le recrutement, pour chaque centre, d’interprètes dans toutes les langues nationales pour pallier les problèmes de communication;
  • la poursuite et l’approfondissement de la sensibilisation dans toutes les langues nationales, dans les médias et sur le terrain, en vue de corriger les imperfections, les erreurs et les maladresses constatées;
  • la formation des agents recenseurs pour les amener à bien jouer leur rôle;
  • l’interdiction formelle aux agents recenseurs de poser des questions de nature à porter atteinte à la dignité des personnes et leur renvoi en cas de récidive;
  • le déplacement des agents recenseurs vers les populations les plus vulnérables telles les personnes âgées, les handicapés moteurs et les malades;
  • l’augmentation des moyens techniques et humains qui permettront de pallier la lenteur des opérations d’enrôlement.

 

En tant qu’organisations mauritaniennes, nous jugeons inacceptable qu’un simple décret pris par le gouvernement pour réaliser, a priori, un recensement de la population, viole aussi grossièrement les dispositions d’une loi fondamentale et de très nombreux traités internationaux pourtant ratifiés par la Mauritanie.

Les résidents européens originaires de la Mauritanie sont aussi victimes de cette situation discriminatoire dans la mesure où les autorités de ce pays refusent leur enrôlement alors que l’écrasante majorité de ces résidents a été forcée de quitter la Mauritanie à cause des violations des droits de l’homme qui sévissaient dans ce pays.

Nous demandons à l’Union Européenne d’intervenir très urgemment auprès du gouvernement mauritanien pour mettre fin à cette pratique honteuse et indigne d’un autre siècle, portant atteinte de façon flagrante aux droits élémentaires de l’homme et qui engendre des émeutes et une instabilité politique et sociale dont les conséquences sont imprévisibles et incalculables. L’enrôlement s’avère, qu’on le veille ou non, une procédure et un moyen pernicieux pour nier la nationalité d’une frange importante de la population noire de Mauritanie, reproduisant ainsi les macabres évènements de 1989 à 1991 par lesquels le système a tenté de dénégrifier notre pays en déportant des centaines de milliers de négro-mauritaniens vers le Sénégal et le Mali. En outre, le gouvernement refuse toujours de reconnaître la déportation vers le Mali de ces citoyens mauritaniens alors que la plupart de ces déportés sont revenus habiter à proximité de leurs anciens villages, toujours occupés actuellement par des Arabo-berbères qui s’étaient indûment installés, après l’expulsion des autochtones, sur les terres de leurs ancêtres.

Nous tenons par ailleurs à attirer votre attention sur le fait que ces atteintes graves aux droits et aux libertés des populations, toutes communautés confondues, de la part de l’autorité, sont à l’une des causes de la naissance ou du développement de plusieurs d’organisations de refus et de résistance dont certaines excellent dans le terrorisme comme l’Aqmi.

Conscients du risque de déstabilisation de toute la sous-région que peut engendrer l’instabilité politique, sociale et ethnique en Mauritanie, nous, organisations des Mauritaniens de la diaspora signataires de cette déclaration, demandons solennellement à l’Union Européenne et autres pays amis de la Mauritanie, ainsi qu’à toute organisation internationale éprise de paix et de justice, de bien vouloir intervenir auprès des autorités de Nouakchott afin que cessent les actes de violation des droits de l’homme que constituent la discrimination raciale, l’esclavagisme, la répression des manifestations pacifiques, les séquestrations et détentions sans jugement de citoyens, ainsi que les contrôles ciblés d’une partie de la population.  Nous plaçons en vous notre confiance, convaincus qu’aucun pouvoir exclusiviste ne saura s’imposer et régner dans ce pays au détriment de certaines composantes ethniques et sociales, sous le regard de la communauté internationale.

 

Veuillez agréer l’expression de notre haute considération.

 

Les organisations signataires

 

  • Communauté Mauritanienne de Belgique (CMB asbl),
  • (Association des Ressortissants Mauritaniens en Europe) REME
  • Section AJD/MR Belgique
  • Section AJD/MR France

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