La communication bâclée du recensement

Ibrahima AthieDe nos jours, savoir communiquer est indispensable. Ne pas en tenir  compte brouille le message qu’on veut délivrer et peut constituer une source d’incompréhension, de suspicion et de tension comme c’est le cas du recensement en cours en Mauritanie.

Cette opération, vu son importance et sa sensibilité, aurait dû être précédée et accompagnée  par  une  intense campagne de communication. Inutile de solliciter l’expertise dans ce domaine des « mercenaires »  occidentaux dont les méthodes controversées ont été mises à nu dans «  Les sorciers blancs »,  le livre de Vincent  Hugeux, journaliste du magazine français L’Express.  Les compétences locales, si elles existent,  peuvent bien faire l’affaire pour peu qu’on leur fasse confiance et qu’on les rémunère en conséquence. L’avantage est qu’elles sont moins coûteuses et qu’elles connaissent mieux la culture et la situation du pays, des éléments déterminants  qui permettent d’éviter certains obstacles.

Pour bien communiquer, c’est-à-dire pour que le message atteigne sa cible, en l’occurrence le public,  le choix du support et du langage, pour ne citer que ces deux aspects, est primordial. Pour le premier, les autorités mauritaniennes auraient  pu, entre autres, mettre en place une campagne d’affichage en plus d’une caravane d’information qui sillonne de long en large le territoire et toucher  des localités reculées et  parfois difficiles d’accès.  Faire de  la publicité dans les journaux papiers  et électroniques aurait également été bénéfique. En plus, une telle démarche  aurait permis en même temps d’aider, en particulier,  la presse écrite  confrontée à d’énormes problèmes  financiers. Par ailleurs des émissions dans les médias publics et dans les langues nationales  sont  incontournables. Mais il aurait été plus judicieux  et symbolique d’attendre la création des radios et télévisions privées  pour  communiquer autour  de cette opération.

Rafistolage communicationnel

Actuellement on essaie de rectifier le tir, hélas il y a eu déjà de gros dégâts à cause de l’amateurisme de l’Etat en matière de communication. On le voit clairement à travers les termes inadéquats utilisés lors de cette opération le discours des autorités face aux manifestations.

Déjà le mot « enrôlement » n’est pas le plus convenable car si  on consulte le dictionnaire il signifie «conscription »,  «  embrigadement », « engagement », etc. Pourquoi ne pas avoir choisi  « recensement »  qui, lui, veut dire « compte », « dénombrement », « évaluation », « inventaire »…? Il  est  plus approprié, plus compréhensible et plus familier du public.

Quant à l’appellation  même  de l’organisme chargée de la mise œuvre de l’opération, elle en rebute plus d’un. Inspirez  profondément car vous aurez besoin de souffle pour  le prononcer : l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés. Ouf ! Trop long et complexe ! « Agence nationale de  recensement (ou de l’état-civil)»  aurait été plus facile à retenir. Pourquoi  vouloir compliquer les choses alors qu’il y a plus simple ?

Lorsque les jeunes du mouvement Touche pas à ma nationalité ont organisé des marches pour protester contre le recensement,   la réponse de l’Etat  a été de  les réprimer, un verbe qu’il maîtrise à merveille et qu’il a conjugué à tous les temps. En plus il a rapidement  activé  la machine judiciaire et mis  l’accent sur des étrangers qui auraient pris part aux manifestations et qu’il utilise pour décrédibiliser et déstabiliser les contestataires. Bilan de toutes ces actions : un mort, des blessés et des arrestations. Des faits  qui intéressent  beaucoup plus les médias qui se bousculent pour interviewer la famille de la victime et les manifestants. Ces derniers  en profitent  pour  dire à l’opinion nationale et internationale « voilà ce qui se passe en Mauritanie, si tu fais valoir tes droits on peut te rouer de coups, t’arrêter, te traiter d’étranger ou même te tuer ». Et lorsqu’ ils ont sollicité les forces de l’ordre pour leur  manifestation à Nouakchott, ils voulaient montrer  qu’ils étaient capables  d’organiser une marche pacifique. Du coup les forces de sécurité ont dû s’ennuyer ce jour-là, elles qui sont habituées aux courses-poursuites et au tabassage.

Les manifestants, conscients de l’importance des nouvelles technologies et du poids de la communication à travers  l’internet,  s’empressent  de  poster  vidéos  et photos chocs sur les réseaux sociaux qui  instantanément  relaient l’information à une audience de plus en plus large. Et du coup leurs voix couvrent celles des autorités et relèguent ainsi au second plan le recensement lui-même.

Discours anachronique

Quant au pouvoir,  n’a pas cherché à jouer  la carte de l’apaisement et du dialogue face à la polémique et à la crise qu’a  suscité  le recensement.  Pour preuve, suite à la mort du  jeune Lamine  Mangane, le ministre de l’intérieur, Ould Boilil, répond aux manifestants par  un discours va-t-en-guerre. Une sortie anachronique alors qu’une personne est décédée, sa famille est en deuil, etc.

La communication  n’est décidément pas son fort. Récemment il disait qu’il avait au début refusé de soutenir Aziz parce qu’il était putschiste avant de le rejoindre lorsque celui-ci a été adoubé par les urnes. Et ces derniers jours il affirmait qu’il n’y avait pas de réfugiés mauritaniens  au Mali, un mensonge qui malheureusement en rappelle un autre. En effet lors des sanglants évènements de 1989, Ould Taya avait dit en public qu’il n’y avait aucun réfugié au Sénégal. Le ridicule ne tue pas dans ce pays, sinon ce serait une hécatombe de victimes.

Autre incohérence de l’Etat,  l’annonce d’un recensement général de la population et de l’habitat  l’année prochaine alors que l’opération actuelle est décriée. Certains diront que ce projet est différent puisqu’il n’a pas vocation d’état-civil  mais il a tout de même été rendu public à un moment où  la situation ne s’y prête guère.  C’est  une lamentable  erreur de timing, un aspect important en matière de communication.

Pourtant,  beaucoup de personnes dans le cercle du pouvoir, à commencer par le président Aziz qui a fait état de « peut-être quelques erreurs de communication », reconnaissent  des manquements au niveau de la communication. Mais ils le font du bout des lèvres car pour les autorités mauritaniennes, et ça ne date pas d’aujourd’hui, reconnaître ses erreurs constitue  une faiblesse.  Alors que les minimiser  et les ignorer ne fait que les amplifier avec des conséquences dramatiques que nul ne peut prévoir.

Absence de clarté, de simplicité, de timing ou encore d’anticipation,  les carences de l’Etat en matière de communication  sont nombreuses. Et  tout  porte  à  croire  que  ces lacunes  sont  dues  tout simplement à un manque de compétences.

Ibrahima  Athie

Journaliste, France

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