Un collectif de cadres expatriés s’adresse au président Ould Abdel Aziz

lettreouverteamoazbisKassataya, 4 septembre 11- Le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés CCME a adressé au président mauritanien M. Mohamed Ould Abdel Aziz une lettre pour lui soumettre « des observations et suggestions susceptibles de contribuer à satisfaire certaines doléances  en vue d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens ».

Parmi les points soulignés par le CCME figure le processus d’enrôlement/identification des populations qui se déroule dans des conditions qui «soulèvent … des inquiétudes  et pourraient comporter  des germes destructeurs de la cohésion sociale et de l’unité nationale. » Le Collectif pointe du doigt les modalités de déroulement du processus qu’il juge « humiliantes et injustes pour une partie des mauritaniens ». Le Collectif suggère une suspension du processus et la révision des conditions de son déroulement.

Autre point abordé, celui de l’esclavage avec « des cas avérés [qui] se sont multipliés et les plaintes contre des auteurs, parfois pris en flagrant délit, [qui] sont restées sans suite». Le Collectif suggère des mesures comme une campagne de sensibilisation, la refonte du système judiciaire, la nomination de juges intègres, la prévention et la répression des abus.

Le Collectif est en outre revenu sur la cession des terres agricoles à des investisseurs étrangers, phénomène assimilé à « une nouvelle forme de colonisation ». Le Collectif en appelle à un arrêt de la pratique et à la promotion d’une véritable politique agricole.

Enfin, la lettre revient sur un problème de gouvernance des ressources nationales avec la signature de la convention entre la Mauritanie et la société chinoise Poly HonDone Pelagic Fishery Co Ltd. qui bénéficie, aux termes de la clause 8 de la convention, « de la liberté d’exporter toute sa production suivant les circuits de son choix». Aux yeux du Collectif, «La Mauritanie renonce, ainsi, à des pans substantiels de sa souveraineté.»

Voici la lettre dans son intégralité.

Collectif des cadres mauritaniens expatriés

(CCME) 

 

25 Août 2011

A

Son Excellence Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz

Président de la République Islamique de Mauritanie

Nouakchott

Mauritanie

 

 

Excellence, Monsieur le Président,

 

Nous, membres du Collectif des Cadres mauritaniens expatriés (CCME), espace apolitique regroupant près de deux cents cadres travaillant dans la fonction publique internationale, l’enseignement universitaire, le secteur privé et la profession libérale, avons l’honneur de vous adresser la présente lettre pour  vous proposer nos humbles contributions sur certaines questions qui préoccupent les mauritaniens et de vous exprimer, ainsi, nos attentes sur la situation  du pays.

 

Notant et appréciant les efforts que votre gouvernement et vous-même déployez en ce sens, nous nous permettons de soumettre, à votre insigne attention, des observations et suggestions susceptibles de contribuer à satisfaire certaines doléances  en vue d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens, à savoir : (1) le processus d’enrôlement/identification de la population, (2) le statut et les conditions d’existence de nos compatriotes, descendants d’esclaves, (3) le régime foncier rural et les pratiques d’attribution des terres agricoles et (4) les conventions bilatérales sur l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles du pays.

 

  1. L’identification et l’enrôlement de la population constituent un processus utile et même nécessaire en Mauritanie. Les conditions dans lesquelles l’opération est exécutée soulèvent, cependant,  des inquiétudes  et pourraient comporter  des germes destructeurs de la cohésion sociale et de l’unité nationale. Les modalités de mise en œuvre des dispositions du décret définissant le cadre juridique de l’enrôlement s’avèrent, dans certains cas, humiliantes et injustes pour une catégorie de nos citoyens, voire inacceptables dans un état de droit. Elles sont perçues, par nombre de nos compatriotes, comme procédant d’une manœuvre destinée à dépouiller d’authentiques mauritaniens de leur citoyenneté.

 

Nous suggérons de suspendre l’exercice, de procéder à sa révision profonde en vue de permettre une consultation nationale devant définir des règles transparentes et consensuelles d’un recensement national inclusif et participatif.

 

  1. La décision prise par notre pays de qualifier et de pénaliser le crime d’esclavage nous rassure, après des décennies de déni. En revanche, et ceci à rebours de l’histoire, nous constatons qu’au cours des dernières années, des cas d’esclavage avérés se sont multipliés et les plaintes contre des auteurs, parfois pris en flagrant délit, sont restées sans suite.

 

Nous suggérons qu’une campagne de sensibilisation à large échelle soit menée, sur une période longue, pour vulgariser, y compris dans les programmes scolaires, l’application de la nouvelle loi. Nous recommandons, en outre, une refonte du système judicaire et un remaniement du corps des magistrats, alliant rigueur et souci des équilibres régionaux lors du recrutement des fonctionnaires de la justice. La nomination de juges intègres et la dotation matérielle conséquente des tribunaux contribueraient, également, à prévenir et à réprimer des abus d’un autre âge dont la perpétuation entrainerait l’échec de toute autorité légitime.

 

  1. Un des  défis qui se posent à nos gouvernements successifs, et dont la permanence est porteuse de frustrations, reste le problème de l’appropriation des terres. Malgré l’adoption de la réforme foncière et domaniale de 1983, les décrets d’application sont restés lettre morte, accentuant ainsi l’interprétation biaisée de l’ordonnance, par les pouvoirs successifs, en fonction de l’adversité du moment. Au fil des années de coercition à caractère ethnique, des mauritaniens, expulsés, ont perdu leurs champs, maisons et points d’eau ; les expropriations, opérées au nom du principe général « la terre appartient à qui l’exploite » continuent de prévaloir en dépit du retour des réfugiés, devenus déplacés intérieurs, quelquefois à proximité visuelle de chez eux.

 

Le constat, récent, de la facilité avec laquelle les maigres terres agricoles de notre pays sont cédées à des fermiers, métayers et sous-traitants étrangers, est plutôt alarmant. Ces pratiques d’accaparement par des Etats ou entreprises étrangères sont réprouvées à travers le monde ; d’aucuns les considèrent comme une nouvelle forme de colonisation. L’idée d’accaparement des terres dans les pays en voie de développement, surtout en Afrique, au profit des pays investisseurs pour assurer la sécurité alimentaire de leurs propres populations  au détriment des pays fournisseurs de terres,  est déjà rejetée par les institutions financières internationales et les Nations Unies. Il est difficile de justifier cette pratique au profit d’investisseurs étrangers quand le pays n’est pas encore en mesure d’assurer sa propre sécurité alimentaire. Source de conflits et de controverses, ces exploitations à moyenne ou à grande échelle conduisent, invariablement, à une dépossession des agriculteurs locaux qui se traduit par un risque de disparition des moyens familiaux et traditionnels de production et de subsistance. Nous vous recommandons de mettre un terme à ces pratiques, porteuses de conflits, et de promouvoir, en choix alternatif, une véritable politique agricole et environnementale, afin de mieux répondre aux besoins fondamentaux des mauritaniens.

 

  1. Nous sommes particulièrement préoccupés par le mode de gouvernance des ressources naturelles et de gestion des revenus perçus au titre de leur exploitation. A titre d’exemple,  la convention d’établissement signée par le gouvernement avec la société chinoise Poly HonDone Pelagic Fishery Co Ltd, illustre nos inquiétudes.  L’Accord – d’une durée de vingt-cinq ans – comporte d’importantes largesses fiscales et douanières, difficilement conciliables avec les intérêts de l’Etat, à savoir : (i) agrément foncier (à lui seul probablement équivalant à un manque à gagner de 100 millions de dollars des E.U.); (ii) importation de matériaux de construction, des machines, outils et équipements, de matières premières et de carburant.

 

En outre, la compagnie chinoise est exemptée de l’impôt minimum forfaitaire et se retrouve même autorisée à « déduire, annuellement du montant de ses bénéfices imposables, une réserve spéciale équivalente à 20 % des investissements pendant les cinq premières années d’exploitation ». A ce régime dérogatoire, s’ajoute également la réduction, de 50%, de la taxe de prestation de service sur les opérations contractées auprès de nos institutions financières.

La Mauritanie renonce, ainsi, à des pans substantiels de sa souveraineté.  La clause 8 de la convention accorde, à la société partenaire « la liberté d’exporter toute la production suivant les circuits de son choix».

Les appréhensions liées aux conséquences écologiques et à un éventuel épuisement des ressources, du fait du matériel et des techniques de pêche utilisés, ne sont guère apaisées par certaines déclarations officielles venues du Ministère de la Pêche.

Nous recommandons de réviser cette convention au mieux des intérêts de notre pays.

Nous vous prions de croire, Excellence Monsieur le Président, à l’expression de notre très haute considération.

Le Collectif

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