‘Qu’est-ce qui se trame derrière le recensement ?’, s’interroge Aminétou Mint El Moktar.

aminetou_mint_el_moctarPrésidente de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), militante des droits de l’Homme, actrice de l’unité nationale et de la cohésion sociale, Aminétou Mint El Moktar réagit au recensement. Elle exprime ses inquiétudes, dénonce les mauvaises conditions d’enrôlement et met en garde les pouvoirs publics.

Quelle lecture faites-vous du recensement ?

Tout d’abord, la mise ne place des commissions chargées du recensement ne répond à aucun critère de transparence et d’équité. Elles ne sont pas plurielles. Nous sommes dans un pays multiculturel et il faut tenir compte de cette diversité. Il y’a des gens qui ne parlent pas l’Arabe ni le Français mais qui parlent leurs langues maternelles.

On ne peut pas identifier quelqu’un sans savoir parler sa langue. Il fallait qu’il y’ait une représentativité de toutes les communautés du pays au niveau des commissions de recensement afin de faciliter l’accès aux informations et l’enregistrement à l’Etat-civil.

Il y’a, deuxièmement, un manque de compétences. Ceux qui ont été chargés de faire le recensement n’ont aucune compétence en matière de recensement. Certes, le recensement est très utile pour la Mauritanie. Nous savons que le dernier recensement était entaché d’erreurs et qu’il n’y avait pas un véritable travail de fond. Au vu des échecs de ce recensement, il serait judicieux par exemple de mettre au niveau de chaque moughataa des comités techniques pour faire le suivi, l’orientation, l’accompagnement des équipes chargées de recenser.

Les questions ne sont pas harmonisées. Chacun a sa façon de demander, de s’exprimer devant les citoyens, de renvoyer des citoyens, de prononcer des mots déplacés.

Troisièmement, la question de la résonance patronymique est à enlever du langage des équipes de recensement. Il ne faut pas voir la résonance patronymique sous un angle racial. Il n’y a pas que les mauritaniens qui ont des patronymes à résonance étrangère. Les arabo-berbères en ont aussi. Si, on rentre dans la question des résonances patronymiques, on ne saurait pas qui est mauritanien et qui ne l’est pas. Cela veut dire qu’on va mettre en cause l’existence de la Mauritanie en tant que pays.

Quelles sont vos craintes ?

Nous avons un tissu social très fragile. Nous avons une unité nationale très fragile. Ce genre de recensement ne fait que creuser le fossé entre les différentes composantes du pays. Il faut qu’on s’accepte dans notre diversité qui est notre richesse. L’Etat doit accepter cette diversité culturelle. Les mauritaniens doivent, eux aussi, l’accepter dans leur ensemble. Il faut un effort de tout le monde pour que cette diversité culturelle ne soit pas un vœu pieux. On ne peut pas être unis dans l’exclusion, la discrimination et la ségrégation.

Il est temps que les pouvoirs publics comprennent qu’il y’a des gens qui se sont installés en Mauritanie, au début de l’indépendance, qui ont des enfants nés en Mauritanie, qui ne connaissent que la Mauritanie, qui ont, à leur tour, des descendants qui ne connaissent que la Mauritanie. On ne peut pas dénier à ceux-là leur mauritanité, leur appartenance à la Mauritanie. Ceux-là sont des africains et des arabo-berbères.

Aujourd’hui, on ne peut pas leur dire que vous avez des patronymes qui ne sont pas mauritaniens et qu’en conséquence, on doit leur contester leur mauritanité. Aujourd’hui, on a, aussi, tendance à mettre en cause la nationalité des enfants de mauritaniennes qui se sont mariées à des étrangers ou de mauritaniens qui se sont mariés à des étrangères. La nationalité est un droit. Si, maintenant, le droit acquis est contesté par un Etat, la justice, où allons-nous.

On ne peut pas dire à des gens qui ont acquis la nationalité depuis des décennies dans la légalité qu’ils ne sont plus mauritaniens alors qu’il n’y a aucune explication valable. Il y’a beaucoup de mauritaniennes qui se sont mariées à des étrangers et beaucoup de mauritaniens qui se sont mariés à des étrangères. Alors, leurs enfants ont leur place en Mauritanie.

Ce recensement vous parait-il mal préparé, mal engagé ?

On ne comprend rien. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est quelque chose qu’aucun citoyen n’arrive à comprendre. Qu’est-ce qui se trame derrière le recensement ? On ne connaît même pas l’objectif d’un tel recensement. Ceux qui recensent la population n’ont pas le même discours, les mêmes comportements. La manière dont le recensement est fait laisse des doutes. Les comportements de certaines équipes de recensement donnent à penser qu’on s’achemine vers un processus d’épuration ethnique.

Ces mêmes équipes donnent aussi l’impression qu’elles ne maîtrisent pas ce qu’elles font. Le recensement est un véritable fourre-tout. On dirait qu’elles sont composées de chauvins qui cherchent à exclure d’autres. C’est très clair et c’est une volonté affichée.

Qu’est-ce que vous attendez des pouvoirs publics ?

Je remarque que personne n’a été associé à ce recensement. Le ministère de l’Intérieur et la direction de l’Etat-civil assurent qu’ils ont associé les notables et la Police. Tout le monde sait qu’ils sont tous des corrompus. Tout le monde sait que les notables ont toujours été les courroies de transmission des structures d’éducation de masse. Ils ont toujours vécu sur le dos des populations locales. C’est des gens qui sont, en réalité, manipulés par l’administration et le Parti au pouvoir.

Ils ont toujours été utilisés. Ils sont connus pour leur corruption et la discrimination qu’ils exercent sur les populations. Ils excluent ceux qui ne sont pas politiquement avec eux et ceux qui ne sont pas sous leur domination. Cela ne peut pas être le fondement d’un recensement. C’est pour cette raison que je demande l’implication des organisations de la société civile indépendante, les élus du peuple, l’administration locale.

On a confié le recensement à d’anciens membres des structures d’éducation de masse qui ont divisé ce pays, qui ont joué un rôle très déterminant dans les événements de 1989-91, dans l’appauvrissement des populations, dans le détournement des biens des populations. Ce sont, eux, qui ont vendu l’Etat-civil.

Tu pars voir un notable, il te procure un papier d’Etat-civil. Ce sont, eux, qui ont donné des pièces d’Etat-civil à des étrangers. J’estime qu’il faut mettre en place des commissions de suivi, de contrôle, d’orientation et d’accompagnement.

Propos recueillis par Babacar Baye Ndiaye
Pour Cridem

Source: cridem

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