Diplomatie mauritanienne: D’un pragmatisme éclairé à une idéologie complexée

Sous le feu des critiques de l’opposition et de la diaspora, jamais la diplomatie mauritanienne aux dires de ses détracteurs n’a été aussi faible et illogique. Les nostalgiques regrettent l’époque d’une diplomatie mauritanienne vive et respectée partout dans le monde…

 

 

 

La diplomatie c’est «l’action multiforme, systématique et méthodique qui permet de mettre en œuvre la politique extérieure d’une nation. Cette politique en soi est un aspect de la conception que cette nation a d’elle-même, et de la place qu’elle ambitionne d’occuper parmi les nations.» rappelait Mohamed Lemine Ould El Ketab, ancien ambassadeur. Il s’agit donc d’un moyen d’action ayant pour finalité ultime de servir la nation et ses intérêts. «Et ce moyen d’action doit être décidé par rapport à une analyse approfondie, stratégique et multidimensionnelle des intérêts économiques, moraux, politiques, sociaux, géopolitiques d’un pays.» explique-t-il aujourd’hui.
Or, «Vous ne retrouvez aucun de ces éléments dans la «stratégie diplomatique» mauritanienne depuis trente ans. Car en réalité il n’y en a pas; on avance à vue.» continue-t-il.

L’âge d’or de la diplomatie mauritanienne

«Un pragmatique, un travailleur acharné et un homme courtois». C’est le portrait succincte que dresse un ancien haut fonctionnaire de l’administration mauritanienne, de Hamdi Ould Mouknass, qui a eu à le côtoyer plusieurs fois dans les années 70 lorsqu’il était ministre des affaires étrangères du gouvernement de Moktar Ould Daddah.
«Un réalisme politique qui refusait de se bercer d’illusions sur les réalités de l’ordre international sans verser dans un machiavélisme de bas étage.» continue-t-il.
Les mêmes propos reviennent s’agissant de la personne de Moulaye El Hacen, dont le club des diplomates mauritaniens a rendu un vibrant hommage ce week-end passé à Nouakchott. Ou encore quand on évoque Mohamed Diagana. Des professionnels cultivés et raffinés. Des gens conscients de la place géographique stratégique qu’occupe la Mauritanie, et qui ont su en tirer profit pour le rayonnement du pays. Qui ne se souvient pas de l’unique conseil de sécurité de l’ONU présenté hors de New-York, à Nouakchott? Ou des négociations intenses effectuées par Moulaye El Hacen qui ont abouti à la délimitation des frontières avec le Mali? «Des étapes importantes, des jalons de ce qui aurait pu aider à construire une diplomatie mauritanienne respectée dans le monde entier aujourd’hui, mais cet héritage a été dilapidé.» soutient un ancien ambassadeur, membre du club des diplomates de Nouakchott. «La voix de la Mauritanie ne compte plus, ni dans le monde, ni dans la sous-région; c’est un faire-valoir pour certains régimes désespérés, comme actuellement la Syrie, tenu par des complexés d’une pseudo cause pan-arabe qui n’existe plus.» continue-t-il. Plus de pragmatiques donc mais des idéologues forcenés.

Un complexe arabe?

Cette realpolitik mauritanienne saluée à l’époque par l’Afrique et le monde a laissé la place à une politique basée essentiellement sur les intérêts personnels et surtout sur une idéologie qui a poussé sur les terreaux baathistes et nasséristes dans les années 80.
« Cette révolution diplomatique initiée par l’imprégnation d’une frange de la classe politique par ces deux mouvements pan-arabes dont l’un (le baathisme) est profondément raciste, a commencé à entamer la crédibilité de notre diplomatie, à travers des diplomates «bas de gamme» » commente un député de l’opposition.
«Des ambassadeurs en France dans les années 1990 qui parlaient à peine français, et qui ne savaient rien de la géopolitique; des ambassadrices de la même trempe. Une politique étrangère ces dernières années décidée à Tripoli ou en Iran; ou conditionnée par les intérêts de quelques-uns.» s’enflamme un ancien diplomate retraité qui a requis l’anonymat.

Pour Mohamed Lemine Ould El Kettab, il ne s’agirait même pas de cela, ou en tout cas pas directement. «Les gens qui ont notre destin entre les mains sont des petits soldats avec une vision inexistante du passé qui peut servir de ressort pour l’avenir. Ce n’est pas un problème idéologique.» estime-t-il.
La diplomatie se prépare aussi en fonction de sa position géographique; la Mauritanie est un pays charnière du Sahel et du Maghreb mais notre diplomatie ne reflèterait pas cela.
«Du temps de Mokhtar Ould Daddah nous étions un pays arabe en même temps sahélien, un pays non-aligné; on combattait pour le mouvement de libération en Afrique du Sud, en Palestine, en Guinée-Bissau… Notre politique tenait compte de notre philosophie affichée que tout peuple décidait de son sort. Ce fut la seule période où ce pays eut une vraie vision géopolitique.» explique l’ancien ambassadeur.
Comment expliquer sinon selon lui que les autorités actuelles par exemple, soutiennent des régimes massacrant leurs propres populations, comme en Syrie, au Yémen, ou même au Soudan? La visite de Ould Laghdaf a été perçue comme un important soutien moral au régime syrien isolé sur la scène internationale. Quels intérêts la Mauritanie peut-elle tirer d’un tel régime? «Idéologie forcenée, aveugle», «incurie intellectuelle tout simplement» reviennent dans certaines bouches.

Une diplomatie «clochardisée»

Saleck Ould Mahmoud, député Tawassoul et rapporteur du budget à l’assemblée nationale estime que «la dégradation de cette diplomatie est due à une gabegie indescriptible et un clientélisme hors-norme dans ce domaine. Aux oubliettes l’intérêt supérieur de la nation. L’immense majorité des diplomates actuels sont ceux qui ont échoué dans leur carrière administrative et qui faisant partie de l’ancien régime sont éloignés du pays par cette voie. La lutte contre la gabegie est ainsi contournée, vue qu’elle concerne essentiellement des proches des autorités.»
C’est ce qu’évoque aussi le député Boudahiya Ould Sbaï de l’APP, lorsqu’il estime que «le succès de la diplomatie mauritanienne remonte à Feu Hamdi Ould Mouknass,ministre des Affaires étrangères sous le régime de Feu Me Moktar Ould Daddah.» Au-delà des personnes de Hamdi Ould Mouknass, Moulaye El Hacen, ou encore d’autres comme Mohamed Diagana, c’est toute une époque, une élite raffinée et un système administratif compétent qui ont été enterrés; où un minimum de méritocratie existait encore dans ce pays et où donc, forcément les compétences étaient utilisées un minimum.

«Il y a aussi la complaisance des grandes familles notables qui ont l’oreille du chef de l’état. Tous leurs fils ont la part du lion de tous les premiers postes diplomatiques (premier conseiller surtout) dans nos chancelleries.» évoque le député de Tawassoul.

Des planques à sous donc. Pour enfoncer le clou, un diplomate français a souligné par exemple le problème des visas mauritaniens délivrés sans timbre à Paris. «Ceci est un indice probant de l’argent détourné dans nos ambassades laissées à la merci financière de «fils de» ou «proches de»» martèle le député de Tawassoul.
La diplomatie mauritanienne est donc perçue aujourd’hui comme un refuge clientéliste et d’incompétences notoires, où ses cadres ne se soucieraient plus que «du commerce des lunettes, des chaussures et des devises, que de l’image du pays».

Un problème intellectuel aussi

«Nous n’avons pas d’envergures intellectuelles à la tête de l’État; et là est le drame. Un gouvernement, un individu ne peut pas gérer une stratégie globale d’un pays, surtout concernant la diplomatie! Il faut comme partout créer des instituts d’études, de prospectives qui réfléchissent à tout cela; mais on n’a même pas la conscience de l’importance de cela.
Or c’est absolument indispensable: les décideurs ont besoin d’indicateurs qui leur balisent le chemin, qui les guident dans une réflexion qui dépasse le quotidien, dans un cadre de projet de société; et cela doit déterminer les politiques à adopter. Mais nous on navigue à vue.» se désole Mohamed Lemine Ould El Ketab.
Contrairement à la plupart des pays maghrébins et africains, comme le rappelle un attaché économique d’une ambassade maghrébine à Nouakchott: «La Tunisie, l’Algérie, le Maroc ont des institutions qui réfléchissent à des problématiques données (problème d’eau, énergie, immigration etc…) et livrent leurs réflexions aux autorités qui peuvent esquisser une stratégie d’action par rapport aux prospectives et études des compétences spécialisées.»

Cette décadence de la diplomatie mauritanienne serait notable depuis que «les militaires ont pris le pouvoir. Car leur plus grande faiblesse et incurie est qu’ils n’ont pas conscience de leurs faiblesses. Et cela c’est très grave, car on ne gère pas un pays sans un minimum de stratégie, de prospective, en suggérant simplement que les comités inter-ministériels régleraient tous les problèmes. Mais un comité de zéros égale toujours zéro. C’est la théorie de Saad Zagroub» résume un membre du club des diplomates mauritaniens.

Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 09/07/2011

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page