Depuis plusieurs semaines, se déroule en Mauritanie une opération de recensement dite d’enrôlement des populations.
Malheureusement, à travers plusieurs témoignages et plusieurs articles de presse (Mauritanie-web, calame, le Rénovateur, etc.) et plusieurs déclarations d’associations (IRA) ou de partis politiques (AJD/MR), les nouvelles demeurent plus que préoccupantes dans la mesure où cette opération menacerait et l’unité nationale et la stabilité très fragile du pays.
Ainsi, à travers cette déclaration, l’Association des Ressortissants Mauritaniens en Europe – REME – tient à exprimer ses profondes préoccupations quant aux conditions de déroulement de cette opération.
D’abord, la composition de la commission dont le choix des membres ne reflète ni la diversité ni l’égalité entre les composantes nationales : la sous-représentativité d’éléments négro-africains (un seul membre) et surtout l’absence de haratines en son sein ne garantit certainement pas son impartialité et sa crédibilité. Il est donc légitime que les mauritaniens s’interrogent si des buts inavoués ne sont pas à l’origine de ces choix. Pour une opération d’une telle envergure et d’une telle importance pour l’avenir de notre pays, après les épreuves vécues durant les années de dictature, élire les membres d’une telle commission et l’ouvrir équitablement à l’ensemble des composantes de notre peuple auraient été des signaux forts dans le sens de l’unité nationale et de la cohésion sociale.
En même temps, il semblerait que les compétences de ladite commission demeureraient inconnues aussi bien par ses propres membres que par les populations. Ce qui semble évident, c’est que le droit et la déontologie nécessaire à une telle entreprise ne sont nullement appliqués dans le sens du respect des droits du citoyen. Le REME pense que les compétences des commissions de recensement devraient être circonscrites et vulgarisées pour permettre au citoyen de connaître les prérogatives et obligations de ses membres ainsi que ses propres droits afin d’exercer autant que de besoin son pouvoir de contrôle ou son droit de revendication face à d’éventuels abus ou excès de zèle.
Les conditions de déroulement du recensement lui même interrogent sur la volonté réelle de recenser certaines catégories de personnes. En effet, si l’opération s’adresse aux mauritaniens de plus de 45 ans, bon nombre de nos compatriotes à cet âge et au-delà, ont un rapport assez distant à l’Etat qui ne favorise pas leur déplacement naturel vers les lieux où celui-ci, via ses agents, se propose de les compter. Mieux encore, la dispersion de leur habitat, l’éloignement géographique de celui-ci avec les centres de recensement constitue un frein certain à la réussite de l’opération. En effet, on imagine mal des personnes âgées, parfois malades, se déplacer sous des températures extrêmes pour une opération dont ils peinent à identifier les enjeux et à mesurer l’importance. Alors que traditionnellement dans les recensements de populations, les agents recenseurs se rendent dans les carrés pour y recenser les occupants. C’est le sens du service public : l’Etat va vers ses administrés pour les recenser afin d’espérer les retrouver au moment où il les sollicitera, ou tout simplement pour une meilleure visibilité dans les programmations de nos enjeux économiques et sociaux. De plus, les premiers retours de presse sur le déroulement de l’opération mentionnent d’interminables questions posées aux mauritaniens en général, ceux de la communauté négro-africaine en particulier, montrant ainsi un Etat plutôt suspicieux et ses agents peu enclins à recenser certains citoyens comme tels. Sauf avis contraire de l’autorité compétente confirmant cela, tel n’est pas l’objectif de cette opération.
L’utilisation de certains items pour caractériser les populations est surprenante et choquante. En effet, en Mauritanie, il n’y a jamais eu de distinction entre les populations que l’opération d’enrôlement veut classifier en peul et haalpular, toutes locutrices d’une même et unique langue. L’opération en cours introduit là un précédant dangereux qui fait courir à notre pays les risques graves comme ceux qu’il a connus il n’y a pas si longtemps. Si cette distinction n’est motivée par aucune considération politique, elle ne doit ni ne peut être maintenue dans un registre de recensement.
Enfin, la contrainte qui serait imposée aux mauritaniens vivant à l ‘étranger de venir en Mauritanie pour se faire recenser. Cette condition est simplement irréelle et discriminatoire : notre pays dispose de services diplomatiques et consulaires dans plusieurs pays du monde. Les mauritaniens résidants dans chacun de ces pays devraient en toute logique pouvoir se faire recenser dans ces lieux, comme ils ont déjà pu le faire, notamment à l’occasion de la dernière présidentielle. L’Etat aurait-t-il à craindre du recensement de ses ressortissants à l’étranger ?
Au moment où le premier défi à relever par notre peuple est celui de l’unité nationale par une lutte sincère et sans merci contre l’esclavage et toute sorte de discrimination ethnique, raciale, tribale ou régionale, notre association, pour apolitique qu’elle soit, ne s’intéresse pas moins à la chose politique, surtout quand celle-ci détermine notre destin commun. S’affranchissant des chapelles partisanes qui composent le paysage politique de la Mauritanie, elle se fait le relais de ses militants pour attirer l’attention du Président de la république et du gouvernement, et au-delà, celle de la classe politique entière et des organisations de défense des droits humains de notre pays sur les dérives portées ou cachées derrière quelques côtés de cette opération d’enrôlement dont on s’interroge encore sur les finalités.
L’association REME soutiendra le recensement de la population nationale mauritanienne dès lors que celui-ci se passe dans des conditions de respect des droits inaliénables de nos concitoyens, exempt de toute tentative de discrimination et de division visant à classer nos populations dans des sous-catégories raciales et ethniques.
Pour cela, le REME demande que soient incessamment prises les mesures suivantes :
- Suspension immédiate des activités d’enrôlement des populations par la commission actuelle,
- Mise en place d’une nouvelle commission paritaire entre l’état et les organisations de la société civile, représentative de nos diversités ethniques et raciales,
- Définition de nouvelles règles de déontologie et de droit pour les agents de recensement,
- Suppression de la division ethnique entre « haalpulaar » et « peul »,
- Mise en place d’une campagne préalable de plusieurs semaines de sensibilisation et de vulgarisation sur les finalités et les modalités d’enrôlement,
- Suppression des bureaux de recensement en Mauritanie et déplacement des agents dans les familles, les villages et les adwabas,
- Mise en place de bureaux de recensement dans tous les pays étrangers à forte concentration d’émigrés mauritaniens ou dans lesquels existe une représentation diplomatique, à l’image du dernier recensement pour le fichier électoral avec toutes les améliorations possibles et exigibles.
Fait à Bruxelles, le 27 juin 2011,
Pour le Bureau Exécutif Européen
Le Président