Question orale adressée au Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation par la députée Kadiata Malick Diallo à propos du recensement administratif de 2011.

kadiata malik diallo

Intitulé de la question

Monsieur le Ministre,

Le jeudi 05 mai 2011, le Président de la République a donné le coup d’envoi à l’opération dite « enrôlement des citoyens », autrement dit le recensement administratif annoncé depuis plus d’un an maintenant.

Cette opération que vous présentiez comme un phénomène qui doit « révolutionner » notre état civil a l’air de se dérouler dans la semi-clandestinité à cause du manque d’explication, de sensibilisation et d’implication de l’ensemble des acteurs. Tout le monde se pose la question : « Qu’est-ce-qui est entrain de se faire là ? » Que répondez-vous à cette question Monsieur le Ministre ? La députée Kadiata Malick Diallo

Développement de la question

1. Rappel de l’organisation du Recensement Administratif à Vocation d’Etat-civil de 1998 (RANVEC).

Son objectif : assainissement de la gestion de l’Etat-civil au niveau national.
Le RANVEC a été ouvert et clos par un décret pris en conseil des ministres avec institution d’une méthodologie claire.

Le recensement a été précédé d’une campagne de sensibilisation large et diversifiée.
Ce sont des équipes qui ont été envoyées sur toute l’entendue du territoire national (wilayas, Moughataas, communes, villages, campements et groupes transhumants : c’est donc un porte à porte systématique qui a été organisé. Toutes les représentations consulaires et diplomatiques ont été couvertes par des équipes formées à cet effet.

Toutes les opérations du RANVEC étaient supervisées, suivies et contrôlées par des fonctionnaires et agents de l’Etat.

Toutes les données du RANVEC, documents à l’appui (registres) ont été centralisées et saisies à l’ordinateur sous la supervision et le contrôle du Secrétariat d’Etat chargé de l’Etat-civil.

Le RANVEC de 1998 a été suivi de quatre autres recensements complémentaires.
Malgré toutes ces dispositions on estime que 20 à 25% des mauritaniens n’ont pas été recensés et il y avait bien entendu beaucoup d’erreurs.

2. Le recensement de 2011 ou enrôlement des populations dans le registre national des populations (RNP).

Annoncé depuis janvier 2010, il n’a pu démarrer qu’en mai 2011 par un simple arrêté ministériel (sa clôture est aussi prévue par arrêté ministériel).

2.1. Une absence de sensibilisation :

En dehors du lancement officiel fait par le président de la République le 05 mai 2011, on ne voit aucune sensibilisation : pas d’émissions radiotélévisées, pas d’affiches (panneaux ou banderoles), pas de sketches ; rien n’indique qu’on est dans une campagne de recensement, c’est comme si on voulait le faire en cachette.

2.2. Une centralisation extrême rendant l’opération impossible :

Une commission par Moughataa et installé au chef lieu de la Moughataa et vers lequel il faut déplacer tout le monde (personnes âgées, handicapées, enfants…) Vous imaginez ce que cela demande (transport, hébergement, perte de temps etc.)

Prenons par exemple le village de Warganguet situé à 620km de la Moughataa de Oualata dont il relève, il faut un voyage de sept (7) jours à dos de chameau pour aller du village au chef lieu de la Moughataa. Vous pensez que les populations de ce village vont voir l’intérêt de cette opération qu’on n’a même pas pris le soin de leur expliquer pour faire tant de sacrifices pour aller se faire recenser. Un cas concret vient d’ailleurs de se passer à Kiffa où un chef traditionnel qui est déjà assez âgé est venu se faire recenser et lorsqu’on lui a dit d’aller d’abord chercher sa mère qui est vivante pour la faire enregistrer avant lui, il a répondu que sa mère vu son état ne sera jamais déplacée de son village pour un recensement ! Que faire alors ? Les Mauritaniens résidents à l’extérieur, eux ne semblent pas être concernés par ce recensement.

2.3. Absence de procédures préalablement établies

Le recensement se fait par une commission de sept (7) membres ayant un droit de vote et deux personnalités sans droit de vote. La présence des forces de l’ordre (un gendarme, un garde et un policier) est plus un signal d’intimidation et de répression.

En l’absence d’une note méthodologique et d’un manuel de procédures clairs, chaque commission agit comme bon lui semble ; la seule référence étant une personne qui semble aujourd’hui être le maître de la Mauritanie ou du moins la main du maître. Je veux bien entendu parler du superpuissant administrateur directeur général de l’Agence National du Registre des populations et des Titres sécurisés dont il faut rappeler la disqualification pour diriger ce département (un non fonctionnaire qui de tout temps a travaillé dans le business et politiquement marqué).

2.4. Dispositions humiliantes et dégradantes pour les citoyens et comportement provocateur de la commission de recensement :

Les citoyens (toutes catégories confondues et quel que soit votre âge, votre statut, votre état physique ou état de santé, que vous soyez jeunes, vieux, hommes, femmes, handicapés, malades etc.) doivent venir à 5heures du matin ou même passer la nuit au lieu du recensement, ensuite passer la journée dans les rangs et si on a beaucoup de chance on trouve un numéro d’ordre pour se faire recenser, sinon il faudra reprendre le parcours un autre jour.

Ensuite les citoyens sont soumis aux questions provocatrices de la commission.

Quelques exemples : quelqu’un qui est né à Boghé on lui demande est ce que tu connais Bâ Silèye [NDLR: cadre de cette ville du sud de la Mauritanie] ? Est-ce que tu connais son épouse ? Il y a un hôtel à l’entrée de Boghé à gauche, comment il s’appelle ?
Un autre né à M’Bagne, on lui demande y-a-t-il des soninkés à M’Bagne ? A un soninké on a demandé sais-tu réciter le coran ?

Dans une Moughataa on vérifie si vous avez un bon accent maure (le fait de dire ya’nii, ou keyfa, khalas [NDRL: variantes supposées non locales de la langue arabe] vous met en doute).

Sur la base des réponses la commission délibère et décide si la personne doit être recensée. En d’autres termes elle décide si la personne en face est mauritanienne ou pas. Dites-moi Monsieur le Ministre, qu’est ce qui donne à cette commission que vous sortez d’on ne sait où, la prérogative de statuer sur la nationalité de quelqu’un ? On ne sait plus si c’est un recensement ou une vérification d’identité et s’il s’agit du dernier cas il n’y a que la justice qui a cette compétence ! Ce comportement est d’autant plus curieux que vous prévoyiez même le recensement des étrangers vivants en Mauritaniens.

2.5. Une opération opaque

On ne recense pas pour l’instant les moins de 45 ans, pourquoi ?

On ne recense pas les personnes nés à l’étranger ;

On ne vous recense pas avant de recenser vos parents s’ils sont vivants. Si votre père n’est plus vivant vous devez apporter un certificat de décès et pour obtenir un tel certificat il faut que le défunt ait eu un acte de naissance du RANVEC même s’il est décédé avant 1998 ! Mon droit de me faire recenser ne doit pas être lié à la volonté de mon parent de se faire recenser.

2.6. Comportements contrastés des citoyens et échec garanti :

Les négro-africains ont le sentiment que ce recensement est destiné à les exclure et le pouvoir ne fait rien pour les rassurer. Pire, l’attitude des commissions à leur égard justifie leurs craintes.

Les arabes, à cause des obstacles et difficultés et du fait du manque de sensibilisation pour montrer l’importance de l’opération ne seront certainement pas nombreux à venir au lieu de recensement.

Il s’ajoute à cela le faible effectif pris par jour et par centre (en moyenne 40 personnes par jour et par centre).
A Nouakchott par exemple et à ce rythme, les 9 Moughataa recenseront par jour 360 personnes en moyenne et donc 10800 personnes par mois. La population de Nouakchott étant proche de 1.000.000 d’habitants, il faudra alors 92 mois c’est-à-dire 7 ans et demi pour terminer le recensement et cela en y incluant même les week-ends. Si on exclut les week-ends il faudra 11ans pour finir. C’est donc une opération sans fin.

Si l’objectif est de recenser tous les Mauritaniens, l’échec est certain parce que programmé.

2.7. Un recensement avec exclusion

Il existe des personnes qui ont leur copie intégrale du RANVEC et dont les noms ne sont pas dans la machine. Ce qui confirme la destruction de fichiers d’état civil que vous avez nié.

Si les actes du RANVEC sont l’unique base du recensement, beaucoup ne se feront pas recenser parce qu’il y a bel et bien des zones (entre le Tagant et l’Assaba [NDLR: Régions du sud-est de la Mauritanie]) qui n’ont pas été couvertes par ce recensement. En plus, pour les anciens refugiés, il y a eu d’abord près de 15000 personnes qui sont rentrés de manière spontanée et ensuite 34000 autres sont rentrés dans le cadre du « Programme Spécial d’Insertion des Rapatriés » pour lesquels il n’y a pas eu restitution officielle des pièces d’état civil et donc bon nombre d’entre eux sont sans papiers. Pour les rapatriés de novembre 2007 à décembre 2010, selon le HCR 50% seulement ont reçu leurs papiers d’état civil.

Que deviendront alors tous ces mauritaniens ?

Le code d’identification qui était clair et logique dans le RANVEC (basé sur la wilaya, la Moughataa et la commune) est désormais à la discrétion d’une seule personne. Cette personne a donc le droit de faire la sélection comme elle veut. C’est dire que nous nous acheminons vers un recensement de population taillé sur mesure où on va exclure les communautés qu’on veut, les tribus qu’on veut, les clans qu’on veut et n’est mauritanien que celui que cette personne aura décidé. Mais soyez sûr, Monsieur le Ministre que les gens ne se laisseront pas faire.

2.8. Autres difficultés :

En cas d’erreurs il n’y a pas de correction ou du moins pas maintenant. Voila un enfant né en 2009 et dont les parents se sont mariés en 2008 et ont établi un certificat de mariage le 1er décembre 2008 et le nouvel acte de naissance de l’enfant établi le 10 mai 2011 dit qu’il est né en 2007. Le père de l’enfant a tout fait pour corriger, on lui a dit que seul un tel doit corriger; et ce dernier contacté a fait savoir qu’il n’y a pas de corrections.

Les natifs des deux Hodhs n’ont pas de noms de parents sur leurs actes de naissances comment les recenser ?

2.9. Conclusions :

Dans l’opération actuelle, beaucoup de moyens ont été dégagés et elle a déjà coûté dit-on 13.000.000.000 UM pour un résultat qui va être un fiasco.

Comment appeler ça si ce n’est pas la gabegie ?

On a détruit l’ancien état civil et le nouveau ne risque pas de voir le jour.

Vous-mêmes vous ne croyez certainement pas à cette opération mais vous faites semblant. Je crois Monsieur le Ministre que vous n’avez pas le droit de vous jouer comme ça de la Mauritanie, parce que ce qui est en train de se faire est un crime contre l’Etat mauritanien et les responsables un jour devront rendre des comptes.

Il faut mieux signer l’échec et repartir d’un bon pied en :

. Révisant tout l’arsenal juridique de l’Etat civil en particulier la loi 2011-003 portant code de l’Etat civil et ses décrets et arrêtés d’application ;

. Vous débarrassant du logiciel actuel ;

. Désignant des fonctionnaires compétents et neutres la tête du département en charge de l’Etat civil ;
. Arrêtant des procédures claires, transparentes et applicables tant au niveau des structures que de la méthodologie. Le recensement est un service de proximité et on peut le faire sans déployer des équipes mobiles vers les domiciles des citoyens.

Je vous remercie

 

Source: Baba Maréga

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