Des centaines d’opposants syriens sont réunis à Antalya, en Turquie, pour réclamer le départ du président Bachar al-Assad. La conférence doit se clôturer vendredi par l’adoption d’une feuille de route pour une transition démocratique en Syrie.
La station balnéaire turque d’Antalya connaît une agitation inhabituelle. Le quartier entourant l’hôtel cinq étoiles d’Old Kamak est bouclé par les policiers. Une réunion sous haute tension s’y tient pendant trois jours : un peu plus de 300 opposants syriens, toutes factions confondues, se sont réunis ce mercredi pour tenter de rassembler l’opposition autour d’une feuille de route fixant les étapes censées conduire la Syrie sur la voie d’une transition démocratique.
« Une majorité de participants sont des Syriens établis à l’étranger, témoigne Assia Shihab, envoyée spéciale de FRANCE 24 à Antalya. Ils sont venus de France, des Etats-Unis, d’Arabie saoudite. Une cinquantaine de ‘Syriens de l’intérieur’ [résidant en Syrie, NDLR] s’y sont déplacés à leurs risques et périls. La force de la réunion tient essentiellement dans la très large représentation des mouvements d’opposition ». Une grande partie des mouvements d’opposition syriens sont en effet présents : signataires de la Déclaration de Damas lire encadré), Kurdes, Frères musulmans, chefs tribaux… Et quelques activistes venus du front syrien.
Pour Amar Abdelhamid, un activiste syrien des droits de l’Homme résidant aux Etats-Unis venu participer à la réunion, les ‘Syriens de l’intérieur’ approuvent – et appuient – la conférence. « Ils y contribuent comme ils peuvent : ils nous ont envoyé énormément de déclarations et de messages par satellite et par email », affirme-t-il à FRANCE 24.
Unifier l’opposition
L’objectif, à Antalya, n’est pas de prendre les rênes du mouvement révolutionnaire. « Ici, nous voulons seulement soutenir la révolution, être ses ambassadeurs dans le monde, poursuit-il. Nous ne voulons pas former un gouvernement en exil. Ce sont les Syriens de l’intérieur qui doivent créer un gouvernement, pas nous ». Selon cet opposant, pas question de « voler la révolution aux Syriens qui se battent sur le terrain ».
Ces trois jours de conférence visent avant tout à présenter une opposition crédible et unie au régime de Bachar al-Assad. L’opposition, jusqu’alors extrêmement divisée, va tenter d’adopter une ligne de front commune contre le régime syrien. « L’opposition est composée, d’une part, de ces jeunes qui se battent depuis maintenant deux mois et demi, et d’autre part, des organisations politiques qui ont du mal à accompagner ce mouvement », explique Burham Ghalioun, écrivain, membre de l’opposition démocratique en Syrie et professeur de sociologie politique à Paris sur l’antenne de FRANCE 24. « Aujourd’hui, je pense que ces deux oppositions vont se rencontrer et être capables de déloger le régime », poursuit-il.
Pour l’heure, l’ensemble des participants semble s’accorder sur plusieurs points : la mise en place d’un État laïc et démocratique, le départ de Bachar al-Assad et le jugement des pontes du régime pour la répression meurtrière exercée par le pouvoir contre les manifestants. Selon l’opposition, plus d’un millier de personnes ont été tuées depuis mi-mars, date du début de la contestation contre le régime dans le pays. L’organisation de défense des droits de l’Homme, Human Rights Watch, vient de publier un rapport intitulé « Nous n’avons jamais vu une telle horreur » accusant le régime syrien de crimes contre l’humanité.
Conférence sous haute tension
Mardi, à la veille de la réunion, les autorités syriennes ont fait savoir qu’elles amnistiaient tous les prisonniers politiques, dont les membres des Frères musulmans. Cette déclaration n’a pas soulevé l’enthousiasme des opposants. « Tout cela ne nous intéresse pas », commente Amar Abdelhamid. « C’est juste une manière de tenter de saborder notre travail. Le pouvoir a perdu toute crédibilité, les membres du gouvernement se sont rendus coupables de crimes. Bachar al-Assad doit quitter le pouvoir, nous n’accepterons aucun compromis sur ce point », assène l’activiste.
À Antalya, une rumeur court : des partisans du régime auraient été envoyés ici pour perturber la réunion. D’ailleurs, dans l’hôtel Old Kamak, l’ambiance n’est pas franchement sereine. Ce mercredi matin, une bagarre a éclaté à l’entrée de l’établissement entre des opposants et un groupe suspecté un temps d’appartenir aux services renseignements syriens. « Il n’en était rien, mais l’incident n’est que l’expression de la tension qui règne ici », témoigne Assia Shihab, envoyée spéciale de FRANCE 24 à Antalya.
La veille, un groupe de manifestants favorables à Bachar al-Assad, brandissant des portraits du leader syrien, ont accueilli les dissidents syriens par des cris lors de leur arrivée à l’aéroport. Et depuis mardi, selon Amar Abdelhamid, « plusieurs opposants ont reçu des insultes et des menaces par téléphone ». Mais l’opposant de relativiser : « Nous sommes bien protégés par la police turque et mis à part la bagarre, la journée s’est plutôt bien passée ».
Pourquoi avoir choisi d’organiser la conférence en Turquie ?
Le fait que les opposants syriens décident de tenir cette conférence hautement symbolique en Turquie reflète le respect que ce pays a acquis au sein du monde arabe, selon le correspondant de FRANCE 24 en Turquie Jasper Mortimer.
La Turquie, géant économique et seul membre de l’Otan appartenant au monde musulman, partage 822 kilomètres de frontière avec la Syrie. Bien que le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan n’ait pas caché son irritation quant à l’incapacité de Bachar al-Assad de mener des réformes depuis le début de la révolte, Ankara tente de conserver une position de stricte neutralité concernant les affaires internes de son voisin. « Je crois que la Turquie souhaite montrer qu’elle est du côté de la démocratie et des réformes dans le monde arabe, poursuit le journaliste. Accueillir cette conférence va exactement dans ce sens ».
Les organisateurs de la conférence ont également préféré la Turquie à la France ou au Royaume-Uni, où résident pourtant nombre d’exilés syriens, pour éviter que les Syriens de l’intérieur ne suspectent une manipulation de la part des gouvernements occidentaux. Objectif sous-jacent : ne pas risquer de donner des arguments au régime de Damas pour décrédibiliser le mouvement.
Source: France24