Une opération à plusieurs inconnues selon Lalla Aicha Sy.
Dans le cadre des réactions faites par des personnalités réputées dans leur lutte pour le devoir de mémoire et pour l’unité nationale, suite à la décision des autorités d’organiser la sépulture des disparus depuis 1960, nous avons recueilli dans l’entretien suivant, le point de vue de la présidente du Comité de Solidarité avec les Victimes des Violations des Droits de l’Homme en Mauritanie (Csvvdh). Mme Lalla Aicha Sy.
Le Rénovateur : Les pouvoirs publics viennent de procéder à l’identification des victimes des exécutions extrajudiciaires, depuis 1960 à nos jours. Considérez-vous cela comme un début de règlement du passif humanitaire?
Mme Lalla Aicha Sy : L’opération de marquage des tombes des victimes civiles et militaires, d’exécutions extrajudiciaires a toujours été une des revendications des ayants droit et des associations de défense des droits humains. Nous avons toujours revendiqué que la lumière soit faite sur les disparitions et avons souhaité que les tombes des victimes soient identifiées et restituées à leurs familles ; pour qu’enfin elles puissent faire leur deuil et ce conformément aux recommandations de la religion islamique. Cependant, nous ne comprenons pas pourquoi, l’Etat refuse toute concertation avec les ayant droits et les organisations de défense des droits humains, qui se sont toujours mobilisées par rapport à cette épineuse question, pour trouver des solutions justes et équitables, de nature à assurer la paix, la justice sociale et ainsi, consolider l’unité nationale. La question essentielle que se pose plus d’un mauritanien aujourd’hui est celle de savoir comment concrètement cette opération va se dérouler. En tant qu’association ayant accompagné les familles des victimes et le collectif des rescapés, nous sommes depuis que la nouvelle est tombée, interpellées par les interrogations suivantes: Qui sait où se trouve ces tombes ? Qui va se charger de cette opération, pour assurer sa transparence ? Ceux qui connaissent les emplacements de ces tombes savent-ils qui en sont les responsables ? N’est-il pas nécessaire pour l’histoire de connaître les auteurs de ces tueries et leurs demander au moins de reconnaître leur erreur et de demander pardon?
Le Rénovateur : Pour régler le passif humanitaire, que faut-il faire selon vous ?
L.A.S. : A l’instar de plusieurs autres pays avec lesquels la Mauritanie partage les mêmes réalités ; (je pense au Maroc, à l’Algérie, l’Afrique du sud et j’en passe…), il faudra nécessairement mettre en place une commission vérité réconciliation qui implique nécessairement l’abrogation de la loi scélérate d’amnistie, N°91025 du 29 juillet1991. Cela constitue à notre avis un préalable incontournable si l’on veut véritablement venir à bout de cette épineuse question. Le marquage des tombes ne serait alors qu’une étape inclusive de ce processus. Cette commission vérité réconciliation, doit être constituée de représentants des victimes, des ONG de défense des droits humains, du haut commissariat aux droits humains en Mauritanie, des personnalités reconnues pour leur probité et leur honnêteté, mais aussi de l’état. Elle aura pour objectif essentiel de « Faire la lumière sur ce qui s’est passé et rétablir les liens d’unité, d’entente et de solidarité entre toutes les franges du peuple mauritanien. » Elle doit pouvoir poser les jalons d’une réelle démocratie et d’une justice sociale, seul gage d’une paix durable. A partir de cet instant, l’opération visant à localiser les tombes de ces victimes serait une étape du processus qui peut être considéré comme justice rendu à toutes les victimes et à leurs familles. Cependant, nous pensons que cette décision constitue une forme de reconnaissance de ces exactions commises à l’endroit des citoyens mauritaniens qui n’ont commis que « le tors d’être noirs ». Elle est à saluer certes, mais soulignons qu’elle ne suffit pas pour clôturer le dossier, surtout que les conditions assurant la transparence de cette opération ne sont pas encore garanties.
Le Rénovateur : Comptez-vous prendre part à la commémoration des dates du 27 et 28 novembre, sur le site d’Inal, annoncée par l’IRA?
L.A.S. : Pour répondre à cette question, je tiens à rappeler que notre organisation, le CSVVDH est l’une des organisations de droits humains pionnières dans la défense des droits des victimes d’exécutions extrajudiciaires. A cet effet depuis 1992 nous avons toujours accompagné et commémoré avec le collectif des veuves et celui des rescapés militaires la date du 28 novembre ; normalement fête de l’indépendance nationale, dénaturée et salie par l’exécution de 28 soldats négro-africains assassinés sommairement par leur frères d’arme à Inal. Donc, si notre calendrier le permet, il n’est pas exclu, que l’on assiste à une autre forme de commémoration de cette journée telle que prévu, par nos frères d’IRA.
Propos recueillis par Camara Samba
Source : Le Rénovateur le 28/05/2011