Les Espagnols votent, la contestation continue

Les Espagnols ont commencé dimanche 22 mai à voter pour les élections régionales et municipales, au moment où une vague de rébellion sociale inédite contre le chômage et la crise secoue le pays. Des dizaines de milliers de manifestants ont à nouveau envahi samedi soir et dans la nuit les rues et les places à travers l’Espagne.

 

 

A Madrid, une foule immense s’était rassemblée sur la Puerta del Sol, où le campement de bâches et de tentes des jeunes « indignés » est devenu le coeur de la contestation. Craignant de violents affrontements, le gouvernement socialiste n’a pas fait appliquer par la force l’interdiction de manifester, qui est entrée en vigueur vendredi à minuit et rend illégales les rassemblements politiques une veille d’élections.

Dans ce contexte troublé, à dix mois des élections législatives de mars 2012, toutes les communes d’Espagne élisent leurs conseils municipaux et 13 des 17 régions autonomes leurs Parlements. La Catalogne, le Pays Basque, la Galice et l’Andalousie votent à d’autres dates.

L’annonce le 2 avril par le chef du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero qu’il ne se présenterait pas pour un troisième mandat en 2012 semble être restée sans effet sur la chute de popularité des socialistes. A partir de lundi, ils pourraient ne plus contrôler qu’une seule des 17 régions espagnoles, l’Andalousie, et devraient perdre des fiefs historiques comme la région de Castille-la Manche et l’Estrémadure.

Des centaines de lecteurs du Monde.fr, pour la plupart des Espagnols ou des Français vivant en Espagne, ont témoigné de la situation dans le pays alors que le mouvement du 15-mai (le « 15-M ») prend de l’ampleur. Si les perspectives économiques maussades ont fédéré une partie de ces « indignés », leurs revendications sont plus larges. Ils fustigent le système électoral qui voit s’affronter le PP et le PSOE, sans que les partis de gouvernement ne les représentent. Ils déplorent également un système qui ne donne au citoyen qu’une « valeur de consommateur ».

  • Caractère altruiste, par Victoire P.

Ce qui frappe dans les revendications des manifestants c’est leur caractère altruiste. Le peuple espagnol a compris que la crise était trop profonde pour pouvoir y remédier à coup d’actes individualistes. (…) Les espagnols veulent s’en sortir, ensemble. Il me semble qu’on va même plus loin qu’une simple revendication économique d’accès au travail et d’augmentation du pouvoir d’achat. Non, ce qui est remis en question c’est la place même de l’être humain dans sa société.

Ce qui m’a aussi surpris fut l’incroyable pacifisme de la manifestation. Il n’y eu aucun incident avec la police. Extrêmement surprenant quand on sait qu’il était théoriquement interdit de manifester et que bien souvent, pour une simple victoire du FC Barcelone, la police sort l’artillerie lourde pour disciper les attroupements festifs sur les places de la ville.

  • Un fossé entre la classe politique et la population par Clémente N.

Il est important de remarquer que le surnom des manifestants « los indignados » s’est directement inspiré du livre de Stéphane Hessel Indignez-vous, publié très récemment ici.

Depuis que ce mouvement a pris de l’ampleur, tous les journaux espagnols publient des interviews de l’homme politique où il affirme notamment être « très agréablement surpris par les mouvements de contestations et d’indignations pacifistes et respectueux en Espagne ». Etudiant actuellement à Madrid, j’ai pu voir l’expansion impressionnante de ce mouvement.

Les manifestants cherchent principalement à dénoncer l’énorme fossé entre toute la classe politique et la population – comme en France ? – et une de leurs principales revendications est de pouvoir tout simplement avoir des outils afin de montrer l’ampleur de ce fossé (en comptant les votes blancs lors des élections par exemple).

Les Espagnols en ont assez des mensonges, du manque d’initiatives concrètes face à la crise et de l’immobilisme face à la montée du chômage. Et les réactions des politiques, qui cherchent par tous les moyens à stopper ce mouvement, sont tout simplement suicidaires et ne font qu’attiser le mouvement. Je pense sincèrement que la police ne délogera pas les manifestants car le risque de débordement violent serait trop important. Est-ce-que ce mouvement continuera après les élections régionales et municipales de dimanche? C’est une question que tous les Espagnols se posent

  • On a trop tiré de la corde, elle a fini par casser, par Jenni

Je suis Espagnole et j’habite a València. (…) Ce n’est pas seulement une révolution de jeunes qui n’ont pas de travail… Dans les manifestations, on peut voir des gens de tous âges trahis par nos politiciens, qui n’hésitent pas à présenter dans leurs listes des politiques accusés de voler l’argent du peuple. Des gens qui voient ses salaires descendre sans explication, des gens qui s’indignent quand de voir les aides sociales diminuer alors que les banques perçoivent de grosses sommes. On a trop tiré de la corde, elle a fini par casser. Vive le 15-M !

  • Le réveil de la jeunesse espagnole, par Hugo A.

Etant étudiant à Madrid, j’ai pu voir à l’université les affiches invitant la jeunesse « sin futuro » à se mobiliser le 15 mai. C’est cette courte manifestation d’un kilomètre seulement, qui s’est finalement transformée en un sit-in dont la durée reste la grande inconnue. Bien que le message officiel est de tenir jusqu’aux élections, certains envisagent de prolonger le mouvement en espérant qu’il se propage en Europe, et que l’Espagne serve de pont entre le l’Afrique du nord et le vieux continent. Des drapeaux grecs et islandais flottent d’ailleurs aux cotés de la banderole égyptienne.

Etonnamment pacifiste pour un Français habitué à voir des fins de manifestations dégénérer, la mobilisation peut paraître numériquement faible, mais elle s’organise, dure, et prend de l’ampleur. Tandis que sur la toile l’évènement a engendré le plus grand nombre de tweets à l’échelle mondiale, la Plaza del Sol commence à être trop petite pour accueillir les « indignés » qui débordaient vendredi sur les rues adjacentes.

Contrairement à la France, où l’on entend certains médire sur l’excès de contestations, ici, l’immobilisme règne et par temps de crise, exaspère. Pour preuve, cette pancarte sur laquelle on pouvait lire : « les Français et les Grecs luttent pendant que les espagnols gagnent au foot ». Si les conséquences de ce mouvement ne s’avèrent pas à la hauteur des espoirs suscités, il aura au moins le mérite de réveiller une jeunesse espagnole qui subit un chômage de près de 50%.

  • Manque de respect de la classe politique, par Eugenia Q.

Je suis Espagnole. J’habite à Gérone. J’ai 52 ans et je suis professeur. Je suis tout à fait pour ce mouvement de protestation en Espagne. Le motif de mon indignation est le manque de respect de la classe politique espagnole envers les citoyens. Ces hommes politiques ne voient que leur petit monde, sans écouter, même pendant ces jours-ci, le cri des milliers de personnes qui protestent contre la perte de notre pouvoir d’achat, des droits sociaux, contre le chômage de près de 5 millions de personnes, contre la corruption des hommes politiques. (…)

Les Espagnols réclament un vrai système démocratique qui donne voix réelle aux citoyens. Ni les partis politiques, ni les syndicats ne nous représentent. On est déçus d’un système pour lequel nous ne sommes qu’une marchandise. Nous avons une valeur qu’en tant que consommateurs.

J’espère que ce mouvement ne s’arrêtera pas après les élections. On a besoin d’un changement de modèle social et politique, et cela ne sera pas possible dans le cadre du système actuel qui donne de plus en plus de privilèges aux privilégiés et fait augmenter les inégalités sociales.

  • Une leçon pour la France, par François R.

Même si beaucoup de jeunes participent aux manifestations, c’est plus un mouvement intergénérationnel, mélange des catégories sociales. (…) On est très loin d’une révolte étudiante à proprement parler, mais bien dans une contestation de fond de la société espagnole dans son ensemble et dans sa diversité.

Je confirme l’aspect particulièrement sérieux de ce mouvement. En effet la « village » de la Puerta del sol est un espace organisé et on n’assiste pas à des scènes d’alcoolisation comme on pourrait en voir en France dans un contexte similaire. Je pense donc que la France, si fière de sa culture de la manifestation, a des leçons à prendre pour ne pas que ses contestations soient classées par catégories socio-culturelles et pour que les manifestants gagnent en sérieux, tout cela pourra redonner un peu d’impact à ces manifestations.

  • Un souffle d’air frais dans un quotidien étouffant, par Jean-François A.

Les campements qui se multiplient aujourd’hui à la vitesse du Web sont un souffle d’air frais dans l’ambiance sociale et économique étouffante qui règne en Espagne. Ils sont la réponse logique à une crise structurelle dont ni le PP, ni le PSOE n’ont su apporter ne serait-ce qu’une idée pour améliorer la situation, bien trop occupés à se jouer la guéguerre ou a gérer leur petites magouilles et corruptions qui enfoncent encore plus ce pays. Ce mouvement va vite…  et je crois qu’il a déjà plusieurs longueurs d’avance.

  • Democracia real, par Baptiste R.

A Bilbao, le mouvement du 15-M évolue à une vitesse surprenante. Ils n’étaient que 20 le 15 mai à protester devant l’ayuntamiento (la mairie) par solidarité avec les Madrilènes de la puerta. Ils sont aujourd’hui plus de 1 000 à avoir passé cette nuit du vendredi 20 mai devant le théâtre de l’Arriaga. Une cantine est installée, un écran de cinéma aussi. Sur la façade du majestueux théâtre surplombant le Nervion (le fleuve local) sont diffusés les tweets venus de toute l’Espagne pour appeler au cri muet de demain soir.

Partout les mêmes revendications et la même indignation, celle de jeunes sans emplois mais aussi de retraités, de chômeurs, de ces « indignés » qui refusent le bipartisme et en appellent à un système plus transparent, à davantage de démocratie participative à travers les associations de voisinage, l’extension du référendum ou encore au vote des immigrés : « Ils partagent nos douleurs, ils partagent nos devoirs, mais ils n’ont pas nos droits », scandait ainsi un manifestant par le biais du micro et des enceintes, prêtées pour l’occasion.

  • Valeurs humaines, par Anaïs A.

Il ne s’agit pas uniquement d’une réaction contre la crise économique. C’est surtout une réaction à la crise éthique, au manque d’honnêteté, à la manipulation des valeurs humaines, à leur négation face aux valeurs économiques. (…)

  • Je suis ému, par Joan A.

Une affichette collée hier Place de la Catalogne a Barcelone peut résumer l’ambiance : « J’etais à Paris em mai 68 et je suis ému. J’ai 72 ans. »

Source  :  Le Monde le 21/05/2011

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