« Pour la reconstruction des victimes, la justice est nécessaire, pas la vengeance »

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, enseignant à l’université du Sud-Toulon-Var, a travaillé sur la psychologie du terrorisme, rencontrant notamment des hommes condamnés pour des actes terroristes en Algérie.

 

 

Il analyse les ressorts des réactions observées après l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden, tant du côté des victimes du terrorisme que du côté des recrues d’Al-Qaida.

Que représente la mort d’Oussama Ben Laden pour les familles des milliers de victimes des attentats perpétrés par Al-Qaida ? Cet évènement peut-il les aider à se reconstruire et aller de l’avant ?

Boris Cyrulnik : Pour les familles des victimes, c’est une victoire et il va y avoir quelques jours d’euphorie. Les Américains, notamment, ont l’impression d’avoir été vengés. Mais pour la reconstruction des victimes, la justice est nécessaire, pas la vengeance. Or on confond souvent les deux. Après le génocide au Rwanda, les Tutsis n’ont pas réclamé vengeance, ils ont réclamé justice. Ce n’est pas la punition infligée à leur bourreau qui les a apaisés, mais le processus judiciaire, le fait de déclarer une personne coupable d’un crime et de lui demander de payer. Et même lorsqu’il y a eu des remises de peine, les Tutsis n’ont pas protesté, dans la mesure où ils restaient reconnus comme victimes d’un génocide.

On peut comprendre la réaction des Américains et des proches de victimes : tuer Ben Laden est une punition qui soulage, mais justice n’a pas été faite. Il n’y a pas eu de procès. On n’a pas pu faire comprendre à Ben Laden qu’il avait commis un crime immense.

Des milliers d’Américains sont descendus dans les rues, à New York ou à Washington, après l’annonce de la mort de Ben Laden. Dix ans après le traumatisme du 11-Septembre, cet événement ne joue-t-il pas un rôle cathartique ?

Je ne crois pas au rôle cathartique, car le plaisir de la vengeance ne fait qu’entraîner un cycle de violence. Après la Seconde guerre mondiale, en France, très peu de survivants, de déportés, de prisonniers ont réclamé vengeance. La majorité, comme les Tutsis du Rwanda, ont surtout été apaisés après les procès, notamment après le procès Eichamnn en 1961. Adolf Eichmann a été pendu, mais même s’il n’avait pas été exécuté, je pense que les victimes du nazisme auraient quand même été apaisées à l’issue de ce procès. Dans le cas d’Oussama Ben Laden, il n’y a pas de justice, pas d’explication ; c’est une vendetta, un règlement de compte.

Cela pourrait d’ailleurs se retourner contre les Etats-Unis. On craint à présent des représailles…

Barack Obama vient de tuer le chef vénéré des terroristes. Cet acte risque d’appeler la vengeance des adorateurs d’Oussama Ben Laden. Ils vont se sentir galvanisés. Critiquer le gourou provoque l’hostilité ; tuer le gourou provoque le désespoir et la haine. Nous sommes entrés dans un cycle de violence qui empêche la résolution des problèmes.

Que vous ont appris les nombreux entretiens que vous avez menés avec des djihadistes sur leurs motivations ?

Quand on fait des expertises psychiatriques auprès de terroristes, quand on arrive à les attraper, on se rend compte que ce sont au départ des personnes équilibrées, bonnes élèves et éduquées, souvent diplômées, mais dont l’existence n’a pas de sens. Ils sont désespérés, ils s’ennuient et trouvent une passion dans le terrorisme, qui les entraîne dans un engrenage de violence. Ils tombent amoureux d’un gourou qu’ils vont adorer. Ils sont à la recherche d’une passion et une fois qu’ils sont engagés, ils se mettent à haïr et à détester. Ils voient certains de leurs amis blessés, tués, et le cycle de la violence est enclenché. Leur passion les pousse à l’acte et les empêche de penser. Très souvent, ce n’est qu’après s’être engagés dans la voie de la violence qu’ils apprennent la théorie qui légitime le terrorisme.

Propos recueillis par Mathilde Gér 

Des milliers d’Américains sont descendus dans les rues, à New York ou à Washington, après l’annonce de la mort de Ben Laden. Dix ans après le traumatisme du 11-Septembre, cet événement ne joue-t-il pas un rôle cathartique ?

Je ne crois pas au rôle cathartique, car le plaisir de la vengeance ne fait qu’entraîner un cycle de violence. Après la Seconde guerre mondiale, en France, très peu de survivants, de déportés, de prisonniers ont réclamé vengeance. La majorité, comme les Tutsis du Rwanda, ont surtout été apaisés après les procès, notamment après le procès Eichamnn en 1961. Adolf Eichmann a été pendu, mais même s’il n’avait pas été exécuté, je pense que les victimes du nazisme auraient quand même été apaisées à l’issue de ce procès. Dans le cas d’Oussama Ben Laden, il n’y a pas de justice, pas d’explication ; c’est une vendetta, un règlement de compte.

Cela pourrait d’ailleurs se retourner contre les Etats-Unis. On craint à présent des représailles…

Barack Obama vient de tuer le chef vénéré des terroristes. Cet acte risque d’appeler la vengeance des adorateurs d’Oussama Ben Laden. Ils vont se sentir galvanisés. Critiquer le gourou provoque l’hostilité ; tuer le gourou provoque le désespoir et la haine. Nous sommes entrés dans un cycle de violence qui empêche la résolution des problèmes.

Que vous ont appris les nombreux entretiens que vous avez menés avec des djihadistes sur leurs motivations ?

Quand on fait des expertises psychiatriques auprès de terroristes, quand on arrive à les attraper, on se rend compte que ce sont au départ des personnes équilibrées, bonnes élèves et éduquées, souvent diplômées, mais dont l’existence n’a pas de sens. Ils sont désespérés, ils s’ennuient et trouvent une passion dans le terrorisme, qui les entraîne dans un engrenage de violence. Ils tombent amoureux d’un gourou qu’ils vont adorer. Ils sont à la recherche d’une passion et une fois qu’ils sont engagés, ils se mettent à haïr et à détester. Ils voient certains de leurs amis blessés, tués, et le cycle de la violence est enclenché. Leur passion les pousse à l’acte et les empêche de penser. Très souvent, ce n’est qu’après s’être engagés dans la voie de la violence qu’ils apprennent la théorie qui légitime le terrorisme.

Propos recueillis par Mathilde Gérard

Source  :  Le Monde le 05/05/2011

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page