Redonner une identité à des millions d’Africains déportés lors de la traite négrière au XIXe siècle : c’est le défi du site African Origins.
En pariant sur la collaboration du public, le projet de l’université Emory, aux États-Unis, espère reconstituer le chaînon manquant dans la généalogie des anciens esclaves déportés vers les Amériques au XIXe siècle.
Au moment où le Sénégal célébrait, le 26 avril, la fin de l’esclavage, un hommage d’un genre un peu différent était rendu aux victimes de la traite négrière, de l’autre côté de l’Atlantique. G. Ugo Nwokeji et David Eltis, deux chercheurs américains de l’université Emory (Atlanta, États-Unis), ont lancé un site Internet interactif pour tenter de retrouver le nom originel et l’ethnie de plusieurs dizaines de milliers d’Africains déportés vers les Amériques au XIXe siècle, alors que la traite était interdite. Grâce à cette recherche, ils espèrent retracer l’histoire de millions d’esclaves restés anonymes.
Appelé « African Origins », le site met en avant une devise simple : « Votre savoir aide à écrire l’histoire ». Le principe est le suivant : chaque internaute est invité à faire partager ses connaissances en matière de patronymes africains sur une base de donnée contenant des informations sur près de 9 500 Africains réduits en esclavage.
Retranscriptions phonétiques
Les noms de ces derniers ont été recueillis par des Cours de commission mixte composées de juges de plusieurs nationalités. Établies entre 1819 et 1867 à Freetown (Sierra Leone), Nassau (Bahamas), La Havane (Cuba), Paramaribo (Surinam), Luanda (Angola), New York (États-Unis) et Rio de Janeiro (Brésil), ces juridictions avaient pour rôle de fournir des documents officiels d’hommes libres à des esclaves en partance pour les Amériques dont les navires avaient été arraisonnés par les marines britannique ou américaine. Car la Grande Bretagne et les États-Unis avaient interdit la traite négrière au début du XIXe siècle.
Au fil des pages, les greffiers consignaient le nom, l’âge, le sexe et dans certains cas, le lieu d’origine de chaque « affranchi ». Mais leurs relevés se limitaient généralement à des retranscriptions phonétiques. Ce qui pose des problèmes pour déterminer l’origine ethnolinguistique des patronymes de ces hommes et femmes qui ont souvent émigré aux États-Unis par la suite.
Pour surmonter cette difficulté; G. Ugo Nwokeji et David Eltis ont eu l’idée de réaliser des enregistrements sonores des noms tirés des registres, prononcés par des personnes parlant la même langue que les greffiers. Un hispanophone à l’accent cubain a ainsi été chargé de lire à voix haute un nom consigné dans le registre de la commission mixte de la Havane. Objectif : tenter de corriger les éventuelles erreurs orthographiques des greffiers pour déterminer l’origine ethnique de l’ancien esclave.
Chercheur en herbe
Les bandes sonores recueillies ont été envoyées à des spécialistes aux quatre coins de l’Afrique, pour établir un lien entre le nom consigné dans des registres et le nom réel de l’ancien esclave. Mais seulement quelques noms sur les plusieurs milliers listés ont pu être identifiés. D’où l’idée d’étendre la base de données à tous les internautes africains et de la diaspora.
Chaque chercheur en herbe peut saisir un nom au hasard et trouver ceux de la base qui ont une prononciation similaire ou écouter des patronymes enregistrés, puis suggérer des liens avec des dialectes voire des groupes ethniques auxquels ils peuvent appartenir. Chaque collaboration est ensuite analysée par les chercheurs et, si elle est jugée pertinente, ajoutée à la base de données.
Que sont devenus ces esclaves émancipés ? Où se sont-ils installés ? Quelles analogies tirer de ces résultats pour d’autres esclaves dont les noms n’ont pas été enregistrés mais dont on connaît certains détails du parcours (lieu d’embarquement et de débarquement, marchand, « propriétaires »…) ? À terme, les concepteurs du site espèrent avoir suffisamment d’informations pour mettre en ligne des cartes retraçant les migrations historiques des esclaves affranchis et de leurs descendants ainsi qu’un moteur de recherche par groupe ethno-linguistique. L’occasion peut-être, pour ceux qui ont déjà entrepris des travaux généalogiques, de reconstituer précisément leur ascendance… jusqu’en Afrique.
Anne-Laure Jean
Source : Jeune Afrique le 30/04/2011