L’administration américaine réfléchirait à une issue diplomatique pour le conflit en Libye, selon le New York Times. L’hypothèse privilégiée serait un exil du dictateur vers un pays africain.
Problème: Kadhafi est susceptible d’être poursuivi par la Cour pénale internationale, notamment pour l’attentat contre le vol 103 de Pan Am, survenu en 1988 au-dessus de l’Ecosse, sans oublier les atrocités commises dans son pays. Il faut donc lui trouver un pays qui ne soit pas signataire du Statut de Rome de 1998, qui créa la CPI. Les Etats qui l’ont signé s’engagent en effet à participer aux enquêtes, arrêter et extrader les personnes poursuivies (consultez le PDF du statut de Rome ici, spécialement le Chapitre IX). Si jamais Kadhafi allait dans un pays signataire, il risquerait d’être arrêté et d’être expulsé vers La Haye pour être jugé à tout moment.
Sur le continent africain, 21 pays (et la Libye) n’ont pas signé cette convention. Parmi eux, certains peuvent sans doute être éliminés d’office, étant donné le contexte politique actuel. La Côte-d’Ivoire doit déjà se débrouiller avec Gbagbo. L’Égypte a toujours Moubarak en villégiature à Charm el-Cheikh. Même histoire pour la Tunisie. Pour René Otayek, enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de la Libye et des questions africaines, «la liste est extrêmement réduite. Toutes les pistes possibles il y a trois mois sont aujourd’hui sujettes à caution.Ces pays sont eux-mêmes confrontés à des mouvements de contestation.» Pour la Tunisie, par exemple, Kadhafi ayant soutenu publiquement Ben Ali, cela pourrait être très mal reçu par la population. «Accueillir Kadhafi en ce moment, au niveau du symbole, ce n’est pas bon du tout», estime René Otayek. Pour Said Haddad, enseignant-chercheur au Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan spécialiste du monde arabe, «l’exil de Kadhafi est une question piège. Il faut trouver des pays qui soient assez forts pour ne pas être destabilisés par son arrivée, ce n’est pas évident».
L’Algérie a ainsi sans doute trop fort à faire avec sa population en ce moment pour accueillir ce voisin encombrant et on imagine mal le dictateur être envoyé dans un pays aussi instable que la Somalie. Du côté du Maroc, Mohammed VI est engagé dans des grandes réformes et les relations ont souvent été excécrables entre la monarchie marocaine et le leader libyen. «Il arrivait à Kadhafi « pour ne pas se salir » de porter des gants avant de serrer la main du roi du Maroc», raconte Karim Bitar, chercheur associé à l’IRIS, l‘Institut de Relations Internationales et Stratégiques.
Le Soudan, la Mauritanie, le Zimbabwe
En retirant de la liste ces quelques pays, il reste encore 15 pays. Plusieurs facteurs sont ensuite à prendre en compte:
•Les bonnes relations de Kadhafi avec tel ou tel dirigeant – et c’est souvent très compliqué.
•Les différents moyens de pression possibles des Etats-Unis (le principe du «tu l’accueilles, on te donne des subventions, on oublie une dette», etc…).
•Le contexte politique interne du pays
Selon René Otayek, certains pays répondent plus à ces critères que d’autres, la Mauritanie et le Soudan tenant la corde. «La Mauritanie est une possibilité. Kadhafi n’a jamais vraiment appuyé le Front Polisario, il a toujours eu une position ambiguë, ayant notamment la volonté de ne pas favoriser la création d’un nouvel Etat arabe. Et il existe dans ce pays un fort courant panarabiste. Peut-être aussi le Soudan, la question est de savoir si Béchir peut prendre le risque? Il y a toujours eu des relations extrêmement compliquées entre les deux pays, mais si l’exil est approuvée par les Etats-Unis, c’est sans doute possible.» Cela permettrait au Président soudanais de redorer un peu son image à l’international en rendant ce service. Pour Said Haddad, le Soudan est «effectivement une possibilité. Béchir a souvent été accueilli à Tripoli et Kadhafi a énormément joué dans le jeu interne de Karthoum».
Au contraire, pour Karim Bitar, «le Zimbabwe de Mugabe serait le plus plausible en Afrique.» Le pays accueille déjà Mengistu Haïlé Mariam, l’ancien Négus rouge d’Ethiopie. «La Guinée Equatoriale peut également être une possibilité», juge toujours le chercheur. A noter que tous ces pays ne sont par vraiment connus pour avoir des dirigeants amoureux de la démocratie et de la liberté.
Selon Karim Bitar, «le pays d’accueil dépendra aussi des conditions de départ. Si Kadhafi parvient à négocier l’immunité, le cercle des pays susceptibles de l’accueillir grandirait et certains pourraient accepter de le recevoir, officiellement pour faire cesser le bain de sang et probablement après avoir obtenu des USA quelques compensations qui peuvent prendre des formes diverses selon les pays.»
Dans cette optique, René Otayek estime que «le seul pays qui pourrait prendre le risque serait l’Afrique du Sud» (en orange sur la carte). D’une part du fait de son poids diplomatique et d’autre part «parce qu’elle a entretenue des relations plutôt bonnes avec Kadhafi. Pendant l’embargo sur les armes, elle a essayé de prendre des mesures favorables à la Libye pour le contourner».
Hors de l’Afrique, étant donné les mauvaises relations de Kadhafi avec les autres pays arabes, seule pour le moment les pistes du Vénézuela de Chavez (Etat qui a cependant signé le Statut de Rome) ou d’un autre pays d’Amérique latine semblent crédibles.
Encore, faudrait-il bien sûr que Kadhafi veuille bien partir. «J’ai dû mal à croire qu’un dirigeant en poste depuis plus de 40 ans puisse quitter le pouvoir comme ça, cela me semble peu probable. Je pense qu’il n’a aucune envie de finir comme Idris Ier», estime ainsi le chercheur Said Haddad. Le dernier roi de Libye avait été renversé par un jeune capitaine, Mouammar Kadhafi, en 1969. Il est mort des années plus tard en exil au Caire. Il n’a jamais été enterré dans son pays.
* Sur les 53 pays d’Afrique, 22 n’ont pas signé le Statut de Rome: Algérie, Angola, Cameroun, Cap-Vert, Côte-d’Ivoire, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Libye, Maroc, Mauritanie, Mozambique, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Somalie, Soudan, Swaziland, Togo, Tunisie, Zimbabwe.
Au total, 114 pays dans le monde sont signataires de la convention.
QUENTIN GIRARD
Source : Libération le 18/04/2011