Yacoub Ould Moïne, député du Rassemblement des Forces démocratiques dans une interview exclusive au Calame

’La  lutte à la fois sincère et crédible, contre la gabegie, relève de l’institutionnel; c’est une affaire impersonnelle qui devrait répondre à des automatismes stricts, transcendant toutes les considérations’’.

 

Yacoub Ould Moïne, un des députés les plus en vue du RFD, membre de la commission financière de l’Assemblée, docteur en Mathématiques et professeur à l’Université de Nouakchott, parle surtout chiffres, dans ses interventions, remarquées, à la Chambre basse du Parlement.

Il évoque, dans cette interview exclusive, l’annulation de la loi relative à l’interdiction des véhicules usagés de plus de 6 ans, le débat en cours sur la gestion des ressources publiques et la lutte contre la gabegie…

Le Calame: Le président de la République vient d’annuler la loi relative à l’interdiction de l’importation des  véhicules usagés de plus de 6 ans. Il semble que vous ayez proposé, auparavant, un amendement, à cette même loi, mais que les parlementaires de la majorité s’y étaient opposés. Peut-on dire que le président revient, aujourd’hui, un peu sur la question, pour vous donner raison?

Yacoub Ould Moïne : Dans le fond, oui et je m’en réjouis car le secteur de l’automobile d’occasion est, pour moi, très important. C’est une activité  pourvoyeuse d’emplois, génératrice de revenus, donc, et, par de-là,  fait vivre des centaines de familles, en Mauritanie. Je salue vivement, au passage, ces jeunes Mauritaniens, très entreprenants, qui ont fait, du pays, une zone de réexportation, vers toute l’Afrique de l’Ouest. Je trouve qu’il incombe à l’Autorité publique de soutenir l’initiative et l’esprit entrepreneurial animant ces jeunes, au lieu d’initier  des lois susceptibles de boucher leurs horizons. Cependant, je n’hésite pas à émettre des réserves sur la conformité juridique de la décision. Le président de la République n’a pas le droit d’annuler une loi votée par l’Assemblée  nationale, ni par un décret ni par un coup de téléphone. C’eût été plus judicieux de recourir à l’Assemblée pour rectifier le tir. Cet événement, aussi minime qu’il soit, montre à quel point le mur institutionnel qui sépare les pouvoirs législatif et exécutif ne peut résister à la tentation de domestication des élus du peuple, par le locataire du Palais.

 

Lors des dernières sessions parlementaires, le débat était focalisé, essentiellement, sur la gestion des ressources publiques. Aviez-vous senti, de la part du gouvernement, un réel souci de transparence?
 Hélas, non. A commencer par le Premier des ministres. Moi-même, interpellé par plusieurs de mes concitoyens, victimes de la partialité de l’inspection générale de l’Etat (IGE), d’une part, et par la nette dégradation de la Mauritanie, sur tous les indices de Transparency International, d’autre part, j’ai interrogé, par écrit, le Premier ministre, lui demandant des copies des rapports de l’IGE. Face à l’esquive de ce dernier, je l’ai convoqué à une séance d’interrogatoire parlementaire, tel que le prévoient les textes, en vigueur. Après trois rendez-vous fixés par le Conseil des présidents (inclus le ministre en charge des relations avec le Parlement), le Premier ministre a fini par se dérober. Se considère-t-il au-dessus de l’Assemble, comme l’étaient ses pairs des temps médiévaux?
Les différents ministres des Finances qui se sont succédé ont opté, l’un s’inspirant de l’autre, pour une gestion hermétique et opaque de ce département. Tous ont refusé, au mépris des  textes qui nous garantissent le droit à l’information, de nous fournir le fameux rapport d’audit, élaboré par le bureau Ba Samba Dioum, sur les dépenses communes. Le ministre des Affaires économiques et du Développement n’a pas dérogé à ce qui s’apparente à une conduite générale. Il est même allé plus loin, celui-là, en nous insultant parce que je l’ai, tout simplement, interpellé, sur la situation, chaotique, de l’Office National des Statistiques.

 

Pourtant, la lutte contre la gabegie est au centre ‘’des priorités affichées’’ par le président de la République?
D’abord, une  lutte à la fois sincère et crédible, contre la gabegie, relève de l’institutionnel; c’est une affaire impersonnelle qui devrait répondre à des automatismes stricts, transcendant toutes les considérations. L’IGE s’est illustrée, jusque-là, par son incompétence et sa partialité. Le rapport d’inspection, sur l’ancien commissaire aux droits de l’Homme, comporte des fautes arithmétiques, gravissimes, mettant en doute jusqu’à l’authenticité de la formation des enquêteurs. Le cas de monsieur Boydiel Ould Houmeid renvoie, quant à lui, au degré d’instrumentalisation politique de cette institution. Je trouve scandaleux, de la part de l’IGE, de notifier une mise en demeure, avant l’ouverture de l’enquête proprement dite, ce qui entame  toute crédibilité à sa démarche.
J’aimerais rappeler, dans ce contexte, que j’ai initié une proposition de loi fondant une autorité de lutte contre la corruption, à l’instar des pays comme le Botswana, le Cap Vert, la Malaisie ou Singapour, qui ont accompli, signalons-le, des performances, grâce, justement, à l’efficacité et l’indépendance des  institutions de contrôle.
Pour ce qui est des finances publiques, notons, tout d’abord, l’existence d’un montant de vingt milliards d’ouguiyas, dépensés en 2010, en dehors du budget, pour lesquels un compte d’attente a été ouvert, en catimini, au Trésor public. Il s’agit d’une violation, flagrante, de la loi organique des finances publiques, numéro 78-011 du 19 janvier 1978.  La gabegie sévit, dans tous les secteurs publics. Les cas de marchés gré-à-gré sont légions, tout comme les conventions, douteuses, avec des opérateurs asiatiques, sans l’aval des autorités compétentes. Chaque secteur entretient son lot de gabegie. A titre d’exemple, la convention, signée entre l’Etat mauritanien, le 7 juin 2010, à travers le ministre des Affaires économiques et du Développement, et la société de pêche pélagique chinoise Hong Dong qui, on ne sait en vertu de quel principe, s’est vue accorder des facilités fiscales et autres exonérations douanières, hors lois. L‘accord, étalé sur un quart de siècle, a été passé sans discussion par le Parlement,  violant, ainsi,  l’article 78 de la Constitution. Idem pour la mine de phosphate Bofal, bradée, à une société indienne, dans des conditions obscures, sans informer, encore une fois, la représentation publique. La gabegie ne se limite, désormais plus, aux bradages et malversations. Elle s’élargit davantage, jusqu’à toucher, maintenant, les fonctionnaires, dans leurs droits les plus élémentaires. Combien sont-elles, les sociétés qui, à ce jour, n’arrivent pas à assurer le paiement des salaires?
Sur un autre registre, l’Etat ne respecte plus ses engagements, vis-à-vis des fournisseurs privés nationaux. Combien de fois avons-nous été saisis, au Parlement, par des opérateurs nationaux, sur des créances dues par l’Etat mauritanien. On parle, ici, d’une enveloppe de l’ordre de quarante milliards de dettes. Aujourd’hui, nous avons besoin de dépasser les bonnes intentions et d’aller, directement, au concret. Autrement, nous resterions dans la sphère du slogan, voire de l’illusion.

Le sort du monde arabe se négocie, de plus en plus, dans la rue. En Mauritanie, des jeunes commencent à manifester leur mécontentement. Pensez-vous qu’il y a des raisons objectives pour une révolution, en Mauritanie?
Lorsque le Parlement est réduit à une caisse de résonance, la justice inféodée, les médias vassalisés, les partis politiques marginalisés, la rue devient, objectivement, l’ultime recours. La jeunesse tunisienne a ouvert le bal; depuis, la bourrasque souffle sur le monde arabe. La Mauritanie, de par sa position géopolitique, est parfaitement prédisposée à l’avènement de la démocratie. Nous sommes assiégés par la liberté. Elle vient du Nord, depuis peu. Du Sud, elle soufflait déjà, depuis quelques temps.
Ces jeunes contestataires revendiquent la liberté. Il faut les comprendre. Comprendre le chômeur, comprendre le politique, comprendre l’Arabe, comprendre le Pular, etc. La liberté  n’est plus un luxe, elle demeure, de nos jours, une nécessité.  Mais je ne crois pas que la révolution soit un objectif en soi. L’objectif réside dans la justice et la liberté. Allier l’ancrage de la justice à la liberté, permet, sans doute, d’anticiper l’irréversible.

Que vous proposez-vous pour éviter une mauvaise réédition de ce qui se passe sous d’autres cieux?
Je pense que la priorité est d’instaurer un climat de confiance, entre tous les partenaires socio-politiques. Il est incompréhensible que le pouvoir continue à s’abstenir, indéfiniment, de mettre en application la loi sur la libéralisation de l’audiovisuel, pourtant votée, depuis quelques mois. L’ouverture d’un débat politique, sur des réformes à la fois constitutionnelles et institutionnelles, prévue dans les accords de Dakar, semble être reportée aux calendes grecques.
Le moment historique est arrivé, pour réviser la Constitution mauritanienne. Sur ce point, je trouve opportun de discuter et de prendre au sérieux la proposition du parti Tawassoul, relative au rétrécissement des prérogatives du président de la République.
Propos recueillis par A.O.M

Source  :  Le Calame le 08/03/2011

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page