«Il est du devoir de nos imams de participer à la déconstruction de l’idéologie qui légitime l’esclavage».
L’association des droits de l’homme « SOS-Esclaves » est en mission de sensibilisation dans la capitale du hodh Echargui, Nema, pour renforcer les capacités des points focaux en droits humains. Une occasion saisie par le président de l’association, Boubacar Ould Messaoud, pour dénoncer les différentes formes d’esclavage qui existent selon lui dans le pays, ainsi que les zones les plus touchées. Notre reporter l’a rencontré.
Qu’est ce qui explique le choix de Nema par rapport aux autres willayas?
Nous avons organisé la formation à Néma, parce que la grande partie des discriminations et des problèmes liés à l’esclavage se trouvent dans cette région du Hodh Echargui.
Les zones les plus touchées sont Bassikounou, Nbeiket Lahuach, Adel Bagrou, Amrouj…
Des victimes qui ont subi toutes formes d’exploitation (concubinage, mariage forcé, annulation de mariage parce que le maître ne l’a pas autorisé….) A chaque fois qu’un cas d’esclavage est dénoncé à Bassiknou ou à Néma, les autorités ont la fâcheuse habitude de dire que le ou les auteurs sont au Mali et que les gendarmes ne peuvent pas traverser la frontière pour aller les chercher, même si la présence aux marchés hebdomadaires de ces esclavagistes est souvent signalée ils ne sont jamais interpellés. Nous avons une dizaine de cas. Ces cas sont suivis par un avocat commis par notre organisation dans le cadre de l’assistance judiciaire que nous développons. Nous avons plusieurs procurations concernant une cinquantaine d’individus encore sous le joug de maitres éleveurs. les parents de ces victimes qui nous ont donné procuration pour les représenter devant la justice contre leur anciens maitres ont été, avec notre assistance, reçus et entendus par les ministres de la Justice, de l’Intérieur ; le Commissaire aux Droit de l’Homme et même par la Rapporteuse Spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage lors de sa visite en Mauritanie en novembre 2009. Nos démarches sont restées jusqu’ici sans suite.
Pourquoi ?
Les autorités y compris le Premier Ministre se cantonnent sur le fait que rien ne peut être entrepris tant que ces personnes sont en dehors du territoire national. Parce qu’au niveau de l’Etat mauritanien rien n’est encore fait pour les ramener au pays et les libérer de l’esclavage. nous sommes maintenant dans l’obligation d’envisager une mission au Mali pour y porter plaintes contre des esclavagistes mauritaniens. Nous ferons recours au réseau de lutte contre l’esclavage en Afrique que nous avons constitué depuis trois ans avec les organisations maliennes, nigériennes et notre partenaire Anti Slavery International.
Ce matin (dimanche ndlr,) pendant la visite de courtoisie aux autorités régionales, dans notre entretien avec le gouverneur du Hodh Echarghi, celui-ci a bien souligné qu’il y a plusieurs cas d’esclavage, mais les auteurs et leurs victimes sont établis au Mali.
La société mauritanienne considère l’esclavage comme légitime quand bien même une ordonnance l’a aboli en 1981 et une loi en 2007, criminalise la pratique.
Pourquoi ? Parce que la religion a été instrumentalisée depuis des siècles à tel point que les esclaves continuent à croire que leur soumission à l’esclavage est un acte de piété. Il est du devoir impérieux de nos imams de participer à la déconstruction de l’idéologie qui légitime l’esclavage
Quels sont les cas qui ont été dénoncé lors de cet atelier ?
Durant la formation, les points focaux de Kiffa, Amrouj Guerrou et de Male ont dénoncé dans leurs témoignages, les cas directs et indirects de discriminations dont ont été victimes les habitants de leurs localités. Dans ces deux dernières localités, des réseaux d’eau et d’électricité ont été installés et les harratines ont été laissés en rade. Le cas de Male s’est terminé par un incident.
Comment est né l’incident ?
Tout a commencé par une série d’actes racistes, opérés en flagrant délit par le Maire de Mâal, avec l’appui du Wali du Brakna; dans le cadre de la mise en œuvre d’un réseau urbain d’adduction d’eau potable. Le procédé suivi par l’Agence de Promotion de l’Accès Universel aux Services (APAUS) stipulait qu’avant la mise en service des réseaux d’adduction (AEP), 150 branchements individuels devaient être réalisés, au profit des ménages les plus démunis (le nombre a été porté à 170). Le Maire de Mâal, Monsieur Ahmed Ould Boïba, a délibérément privé tous les quartiers situés au Nord-est de la ville, majoritairement peuplés de Hratines. Le Maire les a qualifié « d’Adouaba », colonie de peuplement de descendants d’esclaves – comme s’il s’agissait d’une raison valable de privation, de piétinement et d’exclusion du service public. Pire, par ses soins délibérés, le réseau d’alimentation n’atteint même pas ces quartiers.
Comment ont-ils réagi face à cette situation ?
Les populations victimes du préjudice, n’ont exceptionnellement pu supporter les agissements du Maire. Une plainte a été introduite auprès des autorités administratives. Ainsi, le plus haut représentant du pouvoir central, dont la mission consiste à veiller à la matérialisation locale, des politiques publiques, se permet, pour des raisons de complicité de détournement de ressources publiques avec un Maire, de transgresser les lois de la République et des stratégies de développement affichées par le sommet de l’Etat mauritanien! Au moment où la dernière connexion du réseau devait être réalisée, des ressortissants des quartiers concernés l’ont brutalement empêchée ce qui a valu l’arrestation, par la Brigade de Gendarmerie de Mâal, sur instruction de l’Autorité administrative de 6 personnes
Quel a été la réaction de SOS-Esclaves ?
Face à cette situation, SOS-Esclaves a été saisie par son antenne à Mâal; des représentants des populations lésées se sont rendus à Nouakchott dans l’espoir de faire entendre leur cause en vue, d’abord, de lever l’injustice sur base raciste, ensuite, libérer leurs concitoyens détenus pour avoir refusé de se soumettre à une abominable injustice. Suite à ces démarches assistées par le président de SOS-Esclaves, le 13 avril, une mission d’enquête a été dépêchée, sur place, par le Premier Ministre. Il s’agit là d’un cas flagrant de piétinement, par deux agents de la force publique, des droits humains les plus élémentaires et, au-delà, d’un cas évident de discrimination à l’égard de citoyens dont l’unique crime est d’être nés de parents serviles. Aujourd’hui, la situation est rétablie. Les Hratine interpellés sont libres, les branchements prévus augmenteront d’une cinquantaine d’unités et desserviront le quartier démuni,
Combien de cas d’esclavage ont été résolus en 2010 ?
Je ne connais pas un cas d’esclavage résolu en 2010. Nous avons dénoncé plusieurs cas dont celui d’Oumoulkheir. Une plainte a été déposée en accord avec le procureur général de l’époque (Seyid Ould Ghallany) qui nous a recommandé de déposer la plainte à Atar et qu’il allait ensuite intervenir. La plainte a été déposée depuis le mois de mars 2010 et jusqu’à présent les mis en cause n’ont pas été interpellés, ni entendus par le parquet d’Atar
Selon-vous, quelle est la meilleure solution pour lutter contre l’esclavage ?
Le gouvernement doit arrêter l’impunité, arrêter de maquiller en conflit de travail, ou d’exploitation de mineur les cas d’esclavage; ce sont des cas d’esclavage traditionnel. A cause de la complaisance des autorités, les maîtres ne sentent pas inquiétés. Les autorités doivent faire la lumière sur les cas signalés. Il faut qu’il y ait chaque fois des enquêtes pour déterminer tous les aspects de ces pratiques afin que des criminels soient poursuivis et condamnés. C’est ainsi seulement que nous pouvons avoir une jurisprudence témoignant la volonté politique du gouvernement d’en finir avec l’esclavage. Il faut aussi des mesures d’accompagnement qui permettront aux victimes d’être indépendantes. Les gens libérés sont dans la misère car rien n’a été prévu pour eux ;
Comptez-vous organiser d’autres campagnes dans les autres willayas ?
On envisage aussi de faire la même campagne dans l’Adrar, parce que nous avons les mêmes problèmes dans cette zone. Nous allons aussi ouvrir une antenne régionale à Atar.
Propos recueillis à Néma par Dialtabé
Source : Le Quotidien de Nouakchott le 02/03/2011