La forteresse Europe face au drame libyen

Le drame libyen révèle la vision largement paradoxale qu’a l’Europe, union politique cimentée par les droits de l’homme, des migrants d’outre-Méditerranée.

 

Alors que les travailleurs immigrés subsahariens, nombreux dans la Grande Jamahiriya du colonel Kadhafi, figurent, comme tous les étrangers, parmi les cibles de premier plan de la répression sanglante en cours, l’Europe semble d’abord les considérer comme un fardeau, comme de possibles envahisseurs prêts à déferler en masse sur ses côtes.

Certes, il ne serait pas étonnant que les Africains, qui, par milliers, étaient attirés par l’eldorado libyen, cherchent à fuir un pays en proie à une extrême violence. Un pays où, déjà accueillis avec hostilité en temps ordinaire, ils risquent aujourd’hui d’être assimilés, en raison de la couleur de leur peau, aux mercenaires recrutés par le Guide libyen sur tout le continent et qui sont évidemment haïs par la population en rébellion.

Certes, l’Italie a des raisons de s’alarmer d’un possible afflux de migrants sur l’île de Lampedusa – qui fait face à la Libye et à la Tunisie. Rome a d’autant plus de motifs de s’inquiéter que la solidarité de l’Union européenne est loin de lui être acquise.

Faute d’une réelle politique commune en matière d’immigration et d’asile, la charge de l’accueil des migrants continue de revenir aux pays géographiquement exposés. Les pays du nord et de l’est de l’UE n’ont ainsi nulle envie de modifier la convention de Dublin, qui fait du pays de premier contact le seul compétent pour examiner les demandes d’asile.

Mais les menaces d’« invasion » brandies par l’Italie masquent mal un injustifiable message xénophobe adressé par le gouvernement Berlusconi à ses électeurs. Elles traduisent aussi le désarroi de dirigeants italiens face à la possible chute d’un régime – celui de Mouammar Kadhafi – dont ils avaient fait leur premier allié dans la lutte contre l’immigration. Le Guide n’avait-il pas proposé de protéger l’Europe contre des « invasions barbares » moyennant le versement de 5 milliards d’euros par an ?

Il ne faudrait pas que l’Europe, que son histoire fait la gardienne du droit d’asile, oublie cet héritage, alors que brûle un pays situé à ses portes. Il serait tout aussi paradoxal que les craintes de l’Europe lui fassent regretter la chute de régimes totalitaires comme ceux de Ben Ali ou de Kadhafi, sous prétexte que les gouvernements susceptibles de leur succéder pourraient se montrer moins coopératifs pour refouler les migrants.

Le dernier paradoxe de la situation n’est pas le moindre : alors que la démocratie et le développement dans les pays du Sud sont, à juste titre, souvent présentés comme les meilleurs moyens de prévenir l’émigration, l’expérience montre que cet effet n’est obtenu qu’à long terme.

Dans un premier temps, l’irruption de libertés donne des ailes à des hommes et des femmes longtemps entravés. Pour les peuples en quête de souveraineté, l’émigration est le corollaire de la liberté.

Source  :  Le Monde le 26/02/2011

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