Kadhafi peut dormir tranquille: il a reçu des soutiens de poids. D’abord, c’est nos vaillants défenseurs de la démocratie, réunis sous la bannière «coordination du travail arabe et musulman en Mauritanie» qui ont marché, dans les rues de notre Capitale des Sables, pour soutenir la momie naphtalinée, au pouvoir depuis 42 ans.
Ensuite c’est le Forum des Rois, Sultans, Princes, Cheikhs et Leaders traditionnels Africains – les majuscules, ça donne plus de poids à ces Rois des Rois – qui s’est fendu d’une motion de soutien indéfectible. Je cite, dans le texte: «Adieu la démocratie occidentale et vive la démocratie populaire africaine».
Je me demande ce que veut bien dire «travail arabe et musulman». Il y aurait, donc, un travail arabe ET musulman. Mouais… Un peu fumeux comme concept. Mais les Nous Z’Autres, nous aimons les concepts fumeux. L’idée de base serait, donc, que, chez nous, on est et Arabes et Musulmans. On peut, donc, en déduire que le Mauritanien qui n’aurait pas la chance, extraordinaire, d’être Arabe ne serait pas un travailleur. Remarquez, tant pis pour les Non-arabes. N’avaient qu’à être arabes. Etre musulman ne suffisant pas, il faut savoir cibler ses priorités. C’est vital, dans notre République.
Vive les travailleurs arabes et musulmans! Les autres n’existent pas. Tout au plus, ils sont chômeurs.
Mais, même là, notre valeureuse coordination de l’allégeance à Kadhafi fait dans le discriminatoire: et les types qui sont arabes, musulmans et au chômage? Ils devraient répondre à l’insulte et fonder leur propre coordination: la «coordination du non-travail arabe et musulman en Mauritanie» ou «Association des Joyeux Chômeurs» (AJC). Les autres, les Non-arabes, peuvent fonder, aussi, leur coordination: «coordination des Halpulaars musulmans», «coordination des délurés soninkés musulmans», «coordination des wolofs en goguette», et, pour les restes des Bambaras, la «coordination des travailleurs bambaras en devenir».
Quand à nos Rois Africains, chapeau: ils ont inventé le concept de «démocratie populaire africaine». Rien que ça. Trop fort. Trop beau. J’en suis toute retournée. Que nous sommes bêtes! Comment ne comprenons-nous pas que le salut de l’Afrique ne doit passer que par des fossiles de royautés percluses de rhumatismes? Alors, je le répète, Kadhafi peut dormir tranquille: entre les soutiens mauritaniens et les soutiens de ses pairs, rien ne peut lui arriver. Il aurait, donc, tort de se gêner et de ne pas tirer dans le tas des dangereux révolutionnaires qui, de Benghazi à Tripoli, réclament un changement de régime. Si j’étais Kadhafi, je ne me contenterais pas de leur tirer dans le tas, à cette bande d’excités. Je ferais donner l’aviation. Les submergerais de bombes bactériologiques. Les décapiterais. Les empalerais, comme aux bons vieux temps de nos royaumes. Leur enlèverais leur statut de Musulmans. Je procéderais à des arrestations, en masse. Je leur couperais la langue, histoire de leur apprendre la démocratie populaire africaine. Ah, ça, quand même!
Au fait, en parlant de ça, je tiens à remercier nos concitoyens de la petite bourgade de Vassala. Grâce à eux, j’ai découvert que Vassala était en Mauritanie, à l’Est, tout là-bas. A ma décharge, tout ce qui est au fin fond de l’Est se fond dans un flou qui veut que ces confins-là sont, pour nous, les citadins de la plus belle capitale du monde, le trou du c…. de celui-ci. Et puis, dès qu’il s’agit de l’Est de l’Est, on se demande, toujours, si l’on est en territoire malien ou mauritanien. Donc, je ne mourrai pas bête: qu’on se le dise, Vassala, c’est bien de chez nous. Et ses habitants ont, visiblement, décidé que trop, c’était trop et ont incendié leur mairie et l’unique ambulance que la commune possède. Et, comme il y a des limites à ne pas dépasser, n’est-ce pas, on leur a envoyé nos policiers. Ces derniers ont arrêté une trentaine de «révolutionnaires» insolents et les ont coffrés. Ils devaient avoir bien soif, nos Z’amis deVassala, pour aller jusqu’à brûler leur mairie et tenter de bastonner leur maire, histoire de protester contre le manque d’eau et la hausse des prix des produits de base.
Isolés comme ils le sont, au fin fond de l’Est, loin des visites présidentielles, encore plus loin de l’adduction en eau potable de nos capitales et encore encore plus loin des Boutiques Témoins, heureux propriétaires d’une ambulance (qui n’existe plus) et d’un maire qui a eu la peur de sa vie, nos «Vassaliens» ont, donc, décidé de tout faire péter. On a ressorti les vieux et les vieilles, on a battu le rappel des parents d’élèves, on a réveillé les chômeurs (Arabes ET Musulmans?) et on a marché sur la Bastille locale, la Mairie.
Du coup, même à l’Assemblée nationale, les députés ont découvert que Vassala, c’est des Nous Z’Autres, pur jus de kinkeliba. Et comme ça ronronnait, un peu, Vassala nous a offert du sport, entre un UPR qui traite d’inconscients les « Vassaliens » et l’opposition qui parle de début de révolte.
Faudra rappeler, à nos concitoyens de Vassala-de-l’Est, qu’ils vivent dans un pays qui a déjà fait sa révolution, qu’ils retardent un peu. Que nous avons un président des Pauvres. A moins que ce ne soit un Président des pauvres? Évidemment, ça change les perspectives… Mais, z’enfin, doivent comprendre que la lutte contre la gabegie leur permettra d’avoir et de l’eau et des robinets, en or, et, même, s’ils sont bien gentils, des nuages qui donneront la pluie sur commande. Que la baisse des prix des denrées de première nécessité va bien finir à arriver. Faut, juste, lui donner le temps de trouver où est Vassala sur la carte. Que brûler leur unique ambulance peut passer pour un message jusqu’au-boutiste et dangereux: tu es à Vassala, tu meurs à Vassala.
Que, s’ils continuent comme ça, il n’y aura bientôt plus rien à brûler et qu’ils risquent bien de voir notre coordination du travail arabe ET musulman être obligée de refaire une petite manif, histoire de rappeler, aux «Vassaliens», qu’ils sont ingrats et que tout ce qui leur pend au nez, c’est d’être envoyés en Libye, chez le «Frère» Kadhafi, histoire d’apprendre à vivre. Bref: le papillon mauritanien viendra-t-il de l’Est? Salut,
Mariem mint Derwich
Source : Le Calame le 23/02/2011