«Vers l’Orient compliqué, je volais, avec des idées simples.» Cette citation du général de Gaulle est symptomatique de la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire.
De par sa configuration géopolitique, sa complexité sociologique et, surtout, son potentiel économique propre à aiguiser tous les appétits, cette contrée peut être qualifiée, en effet, de «Moyen-Orient» de l’Afrique de l’Ouest. Cependant, à la différence d’El Qods (Jérusalem), où Dieu est apparu trois fois, Abidjan étale, à première vue, des enjeux beaucoup plus flous, subtils mais pernicieux. A telle enseigne qu’ils mettent à nu la variabilité géométrique de ce qu’on appelle la «communauté internationale». Concept abject qui s’érige en gendarme du monde, selon que vous soyez blanc ou noir, riche ou pauvre, grand ou petit, et qui n’est, ni plus ni moins, qu’un consortium d’hommes politiques à la solde de complexes militaro-industriels et d’oligarchies financières sans scrupules. La Côte d’Ivoire, pays riche, jadis locomotive de l’Ouest africain dont le sous-sol regorge, paraît-il, de pétrole, est victime de la voracité de ces «new- conquistadors». C’est ainsi que le président Nicolas Sarkozy, ami personnel du couple Ouattara, s’investit dans la crise ivoirienne. Tout a été mis à contribution: CEDEAO, Union africaine, ONU, «facilitateurs» style Blaise Compaoré, afin de rebuter l’obstacle Laurent Gbagbo, le président sortant. Il ne manquait plus que les «panelistes». C’est fait. Fin janvier 2011, à Addis-Abeba, on a constitue un panel de cinq chefs d’Etat, dont le général Mohamed Ould Abdel Aziz, président de Mauritanie, afin de trouver des solutions idoines à l’épineux dossier ivoirien. Mais la diplomatie mauritanienne maîtrise-t-elle bien les arcanes du bourbier ivoirien, dans ses enjeux stratégiques, ses dessous de cartes sociopolitiques? Apres Blaise Compaoré, qui, depuis 1987, apparaît comme le cheval de Troie de Paris, pourquoi les réseaux occultes de la Françafrique ont-ils porté leur dévolu sur le général-président mauritanien, du moins en ce qui concerne la crise ivoirienne? Après la guérilla contre l’AQMI, voici venu le maquis ivoirien.
Des dictatures qui fondent
Au moment ou le monde arabe entre en ébullition, où les dictatures dures et froides fondent, comme des glaciers, le pouvoir mauritanien se doit de mettre l’accent, plutôt, sur les critères endogènes socio-économiques, afin de se mettre au diapason des aspirations pressantes mais, ô combien, légitimes du peuple mauritanien. Contrairement à l’esprit rationnel qui cherche à «comprendre» autant l’invisible simple que le visible compliqué, la politique de notre général-président tend à s’identifier, de plus en plus, au sophisme de Protagoras de «l’homme est la mesure de toute chose». L’idiosyncrasie du «génie de l’Inchiri» plane sur toutes les institutions de l’Etat, tenues à n’exécuter que des recettes et les dépenses, surveillées, se font au compte-gouttes. Même au niveau de l’Armée où il y régnait un esprit de solidarité corporatiste, histoire d’arrondir les fins de mois difficiles – carburant, denrées alimentaires, avances de soldes, prêts à moyen terme, etc. – les clignotants sont, désormais, au rouge. Cette politique de rigueur, initiée, en 2010, par le colonel-intendant Sid’ Ely Ould Kraré, avait, pour seul but, de concentrer le maximum d’argent, à la trésorerie de l’Armée, rien qu’à des fins égocentriques. Le colonel Sid’ Ely a été admis à la retraite, sans avoir bénéficié de la manne arrachée au contribuable mauritanien. Que fera le nouvel intendant, le colonel Ahmed Ould Valili, lui qui est issu du «peuple d’en-bas»? En dehors des prestations qui concernent foncièrement la troupe et le corps des sous-officiers – le ventre mou de l’Armée – il existe un problème non moins important qui taraude la hiérarchie militaire, à savoir l’avancement des officiers supérieurs aspirant au grade de général. La liste est longue et les conditions requises, pour ce grade, sont, semble-t-il, soumises aux aléas d’une «objectivité aux contours mal définis», comme au brevet de capitaine. Faut-il, pour avancer, être officier républicain, compétent, de bonne moralité ou se suffira-t-on de la seule bénédiction du prince du moment? Quelle mesure adopter, à l’égard de ceux qui ont choisi l’Armée au seul but de servir leur patrie, concept éternel et transcendantal? La responsabilité du chef d’état-major des forces armées, le général Ghazwani, est soumise à contribution, même si la décision ultime revient au chef de la magistrature suprême. Car la frustration, non-manifestée, d’officiers supérieurs est, souvent, synonyme de voyage, aller simple sans possibilité de retour. Les anciens présidents Haidalla et Maaouya ne pourront démentir cette assertion.
Au commencement, était le coup d’Etat du 6 août 2008, contre Sidioca. Ce déficit de légitimité, tout comme le cas de «conscience», après l’assassinat du panafricaniste Thomas Sankara, par les sbires de Blaise Compaoré en octobre 1987, a déboussolé les protagonistes, à cause de la contestation interne, désormais aliénés au diktat des officines occultes de Paris. Claude Guéant, à l’Elysée, le franco-libanais Robert Bourgi, ami du président sénégalais Wade et héritier spirituel de «l’apôtre» de la Françafrique, Jacques Foccart, le banquier wolofophone, Ould Bouamatou, concoctèrent les fameux accords de Dakar. Face à une opposition incrédule, à l’instar de son chef de file, Ahmed Ould Daddah, jouant, d’abord, à l’oncle Tom, avant de se rebiffer, les réseaux élyséens triomphèrent, sans coup férir, et portèrent, sur le piédestal, leur poulain, en juillet 2009. Que fallait-il à ces «humanistes», la main gauche sur le cœur, l’autre guidant le sicaire? Aussitôt dit, aussitôt fait. L’Armée mauritanienne a réarmé et porté la guerre contre l’AQMI et autres trafiquants, jusqu’aux confins de Tombouctou, la mystérieuse, dans le nord du Mali. Le positif était de retour, puisque nos soldats tombés à Tourine, Ghallawiya, Lemgheity furent vengés. Mais l’effet boomerang ne s’est pas fait attendre: les états-majors constatent que mener une lutte contre un ennemi invisible et non conventionnel n’est point une aubaine. C’est dans ce kaléidoscope, néfaste pour la sécurité des Mauritaniens, que Paris propulse, encore, sous le boisseau, le «lion de l’Inchiri», le général Mohamed Ould Abdel Aziz
Balayer devant sa porte
Mais la Côte d’Ivoire n’est pas le Sénégal. Les rues tonitruantes de Yopougon ou d’Abobo-gare, épicentre de la contestation à Abidjan, ne sont guère de commune mesure avec les quartiers monotones d’Altiéri ou de Santiaba, à Louga. Une prise de position tranchée, en faveur de l’un ou l’autre protagoniste de la crise ivoirienne, sonnerait le glas de la quiétude des dizaines de milliers de nos compatriotes, commerçants dans leur majorité, étudiants, binationaux, etc. La Côte d’Ivoire est, pour les régions de l’Est mauritanien, ce qu’est le Nil pour l’Egypte. Aussi la désignation du président Ould Abdel Aziz, au panel des chefs d’Etats pour venir au chevet de la Côte d’Ivoire, apparaît-elle, en réalité, comme une bombe à retardement, un trompe-l’œil pour ceux, innocents, qui croient assister, enfin, au «come back» de la diplomatie mauritanienne, sur la scène internationale. Même si l’on venait à éliminer, physiquement, Laurent Gbagbo, le litige restera entier car les Beté, Agni, Yacouba, Gueré, Appolo, etc., ethnies se croyant dépositaires de la légitimité socio-historique de tous les Akans majoritaires, auront du mal à accepter «l’intrusion» d’un Senoufo, en la personne d’Alassane Abderrahmane Ouattara, d’un Mandé ou d’un Malinké, respectivement originaires de la Volta Noire et de l’empire du Mali.
Le général Ghazwani, en officier bien éduqué, à qui l’on ne reproche que ce qu’il y a de plus naturel et, donc, normal, chez un homme, aurait bien fait de sortir de la tour d’ivoire dans laquelle voudrait le confiner le pouvoir. Le chef d’état-major est le premier responsable du moral de tous les militaires. Or, ce moral est au plus bas, actuellement, comme à la veille du coup de force du 8 juin 2003. Au mois de mai de la même année, avant de partir pour une consultation sanitaire à Madrid, j’ai rencontré feu le colonel N’Diayane, pour une avance de solde et pour lui faire part, ensuite, de l’état de déliquescence de l’Armée, en lui donnant, à titre de comparaison, le statut des officiers sénégalais et maliens qui toucheraient plus que leurs homologues mauritaniens. Et le N’Diayane de répondre: «pourquoi ne pars-tu pas les rejoindre?» Est-ce la réponse d’un stratège, sur un cas, concret, d’intendance militaire? Mes deux témoins, les colonels Habiboullah, actuel directeur de cabinet, et Brahim Salem, ancien directeur de l’artillerie, ne me démentiront probablement pas. Pourquoi nos chefs militaires reproduisent-ils les mêmes erreurs, depuis plus de trente ans? Quelques amendements techniques, pour feindre de rompre avec l’immobilisme bureaucratique, l’atmosphère d’enterrement qui émaille une vie de caserne sans hobby, ni buffet garni ni bar froid, ni salle de musculation, ni parcours du combattant, pour occuper la troupe, aux heures creuses. Et, pourtant, certains de nos officiers ne manquent pas de vision stratégique, à l’instar de leurs homologues sortant de West Point ou de St-CYR
Des lendemains qui déchantent
Comme on peut le constater, la France de Sarkozy, en désignant le général Ould Abdel Aziz comme chef des panelistes, dans la crise ivoirienne, galvaude le temps précieux que ce président pouvait consacrer à lutter contre la vie chère, la précarité, la gabegie changeant de camp. Ce «complexe de Prométhée» du général-président, vis à vis d’une reconnaissance de la «communauté internationale», n’a protégé ni Ben Ali ni Hosni Moubarak, proscrits par ceux-là mêmes qui, hier, ne juraient que par leur nom. Depuis sa prise de pouvoir, le 6 août 2008, le général qu’on croyait animé d’une équanimité propre à venir à bout de tous les obstacles, pour le bien-être de ses concitoyens, a surpris plus d’un, d’abord par sa désobligeante prosopagnosie et sa cupidité érigée en «magister». Car c’est au sommet de la gloire que tout homme dévoile ce qu’il est réellement, en son coeur. Avec Maaouya, nous avions un président obnubilé par le pouvoir, laissant les autres gaspiller le denier public. Avec Ould Abdelaziz, voici un général qui voue un culte «dyonisosiaque» à l’argent, doublé d’une attitude pharaonique à l’égard du pouvoir. En ce cas de figure, le temps des coups d’Etat n’est, certes pas, révolu. Et tant qu’Ahmed Daddah, notre opposant historique, sera là pour soutenir l’énième changement. Cette fois sera, peut-être, la bonne: vu que son aîné et ami, Alpha Condé, est, désormais, à la tète de la Guinée, il y a espoir – les voies du Seigneur ne sont-elles pas impénétrables? A moins que le peuple mauritanien ne lui vole la vedette, en faisant sa propre révolution…
Ely ould Krombelé
Source : Le Calame le 23/02/2011