Ces derniers temps, le pouvoir d’achat a subi, chez nous, une sévère dégringolade du fait de la baisse sensible des revenus de la classe moyenne qui a été sevrée de bien des avantages qu’elle engrangeait d’une manière ou une autre.
Les Mauritaniens ont vu le flux de liquidités disparaître sinon se rétrécir comme une peau de chagrin. Au point qu’il y a maintenant, et partout, de sérieuses menaces de rupture. Après les années fastes où l’argent était distribué à tour de bras, la dèche s’est installée et a étendu un peu partout ses meurtrières tentacules. Toutes les sources où, habituellement, on s’approvisionnait se sont asséchées.
Plus de logements administratifs, plus de véhicules de services et tout ce qui s’en suit comme frais de réparation, de carburant, d’achat de pièces de rechange, plus de prise en charge de téléphones fixes ou mobiles, peu ou plus d’évacuations sanitaires à l’étranger aux frais de l’Etat, plus de marchés de gré à gré, du moins théoriquement. Rien, vraiment rien qui puisse desserrer l’étau autour du cou du pauvre citoyen qui n’a d’autre choix que de s’en remettre à Dieu. Il n’y a plus désormais que le salaire, pour ceux qui en ont un, rien que le salaire et le salaire, c’est malheureusement trois fois rien ! Imaginez le désarroi qui frappe la classe laborieuse qui a été ainsi condamnée à la misère alors qu’il n’y a pas si longtemps, elle était habituée à toutes sortes de facilités et bénéficiait de tant de largesses.
Pourtant, en clamant son intention de sévir contre ceux qui dilapident les biens publics, le pouvoir d’Ould Abdel Aziz croyait vibrer dans le sens des aspirations du plus grand nombre. Et il avait sans doute raison à en juger par l’attitude de mépris par laquelle le public frappait les Roumouz El Vessad qui étaient quand bien même d’importants pourvoyeurs de fonds dont le soutien aux plus démunis était irremplaçable.
Que s’est-il alors passé depuis qui a bouleversé la donne ? Bien entendu, Aziz avait raison de vouloir mettre un terme à la dilapidation des deniers publics. Bien entendu, il avait raison d’engager un combat sans merci contre la gabegie. Bien entendu, lequel combat aurait gagné à être général (pas au sens du grade), impersonnel et de longue haleine. Bien entendu, comme l’ont reconnu Aziz et son dernier IGE devenu trésorier général (décidément, encore ce mot) puis ministre des Finances, d’importantes sommes tombées dans des mains indélicates ont été restituées au Trésor public. Mais les retombées de cette politique sur le niveau de vie des gens, il n’y en a pas eu. Que l’Etat soit rentré dans des fonds que d’aucuns lui ont subtilisés, le citoyen n’en a cure si cela ne se traduit pas en terme d’espèces sonnantes et trébuchantes dans son porte monnaie. Etant donné que le pouvoir avait soigneusement verrouillé toutes les issues qui permettaient aux citoyens de joindre les deux bouts et comme il a pu récupérer des sous qui lui étaient volés, il devait logiquement augmenter les salaires et de façon substantielle pour que les gens puissent être maintenus en vie. C’était le minimum qu’on pouvait attendre de ce pouvoir qui prétend être au service des plus démunis.
Précarité absolue
Malheureusement, rien en ce sens n’a été fait. Le pouvoir a même donné l’impression de se délecter en sentant que son peuple affrontait de sérieux problèmes dans sa vie quotidienne. Les hausses intempestives des prix des denrées essentielles et le refus catégorique des pouvoirs publics de subventionner les produits de base montrent que ce domaine là n’est pas un sujet de préoccupation pour ceux qui président aux destinées de notre pays. Les opérations ponctuelles d’ouverture d’un nombre limité de boutiques où les prix des denrées essentielles sont soutenus sont si insignifiantes qu’elles ne peuvent pas être opposées à cette tendance largement dominante.
Bien entendu, des dizaines, voire des centaines de kilomètres de bitume ont fait leur apparition à Nouakchott et à l’intérieur du pays –de façon parfois très maladroite et sans études préalables sur l’horizontalité du terrain. Mais il est bien entendu aussi que le bitume, ça ne se mange pas, que pour en profiter, il faut, soit être détenteur d’une entreprise de travaux dotée de gros engins ayant accès au marché de location, soit, au moins, être véhiculé. Et là, ce n’est pas tout le monde, encore moins les pauvres. Et ça, Aziz le sait le très bien. Il est bien entendu aussi que certains citoyens, comme le pauvre Alioune, le boutiquier, mon ami, s’attendaient à avoir des retombées palpables des réformes et politiques proposées à grand renfort de publicité par Aziz et qu’ils en sont aujourd’hui à ruminer leur déception. Surtout que le général président a eu, un temps, l’habitude de nous répéter que notre pays était immensément riche et que, avoir accès à l’abondance, il nous suffit de le placer au Palais. C’est pourquoi Alioune et ses pairs ne savent plus où mettre la tête. Ils sont confondus. Ils s’attendaient à l’abondance, ils se retrouvent dans la précarité absolue, ils s’attendaient à la sécurité totale, ils se retrouvent en proie à de redoutables menaces. Mais, en gens simples, ce qui les déstabilise le plus, ce sont les hausses répétitives et rapprochées des tarifs du carburant. Ils pouvaient au moins avoir la satisfaction de se refugier dans le fait que leur idole détient le record de réduction des tarifs à la pompe, maintenant, c’est le record inverse que le pouvoir détient : le plus grand nombre de hausses en l’espace d’un mois. Mais ce n’est pas tout. Si l’on pourrait concéder, comme l’ont répété, beaucoup de fois, ces derniers temps, Ould Boïlil et Brahim Ould M’Bareck, que les prix ne dépendent pas que d’ici, qu’il y a des facteurs exogènes qui sont non maîtrisables, on ne pourrait en aucun cas en dire autant pour ce qui concerne les promotions au sein de l’appareil de l’Etat et des administrations publiques. Dans ce domaine, on ne peut invoquer ni l’alibi de la sécheresse, ni celui des exigences des institutions financières internationales, ni quoi que ce soit parmi les arguments spécieux que nos dirigeants ont l’habitude de nous débiter. Il n’y a que la volonté du pouvoir et sa capacité de bien faire qui pèsent. Et malheureusement, encore dans ce domaine là, comme un peu partout, on continue se faire du sur place : avec la nomination de va-nu-pieds, connus pour leur incompétence, avec le règne des diplômes falsifiés, avec le critère de l’affiliation aux officines de renseignements et la prééminence du critère de proximité avec tel ou tel membre influent de l’oligarchie en place. Les promotions répondent dans leur quasi-totalité à ces quelques critères là. N’attendez pas de moi de citer des noms, ce n’est pas mon habitude et encore moins l’objet de mon propos. Mais arrêtons-nous seulement aux deux cabinets du président de la République et du Premier ministre, qui sont censés être les plus importants et pour lesquels les cadres doivent être triés sur les volets. Là, on trouvera bien des conseillers et autres hauts responsables qui ne sont d’aucun niveau, qui ne peuvent pas instruire de dossiers, qui, eux-mêmes, ne comprennent rien aux missions qui leur sont confiées et, pis, qui ne peuvent même pas comprendre pourquoi ils ou elles sont là. Ça, Aziz ne peut pas ne pas le savoir, Ould Mohamed Laghdaf non plus. Tous deux ne peuvent ignorer que les mêmes chances ne sont pas offertes à tous les enfants mauritaniens. Sinon, comment peut-on s’expliquer que les meilleures bourses d’études militaires, pour les formations de médecins, de pilotes et même d’officiers tout court, sont, dans 99% des cas, réservées aux rejetons des hauts gradés de l’armée ou à ceux de leurs proches? Il n’y a qu’à voir les noms de ceux qui sont en formation pour s’en assurer. Comment le pouvoir peut-il expliquer aux milliers de Mauritaniens que, dans leur pays, le mérite n’est jamais retenu comme critère de promotion au sein des administrations publiques et que, pour parvenir, d’autres chemins sont plus sûrs et plus courts.
‘’Elus ‘’ et ‘’damnés’’
En se remettant aux critères subjectifs, le pouvoir favorise de facto la classification du peuple en «élus» et en «damnés» et dans ce cas, c’est à une société à deux vitesses qu’on a affaire. Avec tous les risques auxquels cela expose le pays. Peut-on logiquement, dans une situation pareille, s’attendre que les citoyens aient le même degré de dévouement à l’endroit de la Patrie ? Tout cela, Aziz n’est pas sans le savoir. Il sait que tout cela pèse sur le rendement des hommes et celui des institutions. Il est, par ailleurs, censé savoir que la centralisation excessive qu’il a instaurée a tué tout esprit de créativité et transformé les ministères et établissements publics en cimetières où ne s’activent que des délateurs à la recherche de renseignements sans intérêt majeur.
Tout cela, le président général le sait très bien. Il sait aussi que la plupart de ses concitoyens vivent dans l’extrême précarité et qu’ils accumulent, de jour en jour, d’énormes frustrations qu’ils ne sont pas appelés à toujours maîtriser. Il sait que, dans leur majorité, ses compatriotes tirent le diable par la queue. Et encore, car même ça, ce n’est plus donné à tout le monde parce que bien des diables de notre désert n’ont même plus de queue. Le mien, par exemple. Et il n’est pas sans savoir, surtout, que la précarité ne va pas de pair avec la stabilité.
Voilà pourquoi il y a bien des soutiens du président qui ont déchanté aujourd’hui. Voilà pourquoi il y a bien des gens pour qui les sirènes ont arrêté de chanter depuis et qui ne croient plus à l’Eldorado qu’on leur promettait. Voilà pourquoi il y a des gens qui pleurent le passé et se disent qu’ils chargeaient à tort le régime du président Maaouya qui, pour bien du monde, symbolise l’abondance. Voilà pourquoi le glas des réformes clamées par Aziz a sonné depuis belle lurette.
Si l’on ajoute à ces indicateurs de non succès le fait que les marchés de gré à gré existent toujours et profitent à un cercle restreint de privilégiés, que le clientélisme en est à son apogée, que le pouvoir n’arrête pas de promouvoir les médiocres et continue d’ignorer les compétences, on en arrive à la conclusion qu’il n’y a rien à attendre de la période restante du mandat présidentiel. D’ailleurs un proverbe de chez nous dit que ce qui n’arrive pas au premier jet, ce n’est pas la peine de l’attendre dans la suite. Si les réformes que le général président a proposées existent toujours, elles doivent en être à la phase d’autopsie. Bonjour, les dégâts.
B. Salem
Source : Le Calame le 23/02/2011