El Mina, Sebkha, Arafat, Riyad, Teyarett et Dar Naim :Stop au travail des enfants

El Mina, il est 5 heures du matin. Pris par des insomnies, je décide de sortir pour aller chercher du pain à la boulangerie du coin. Il fait très froid à cette heure du jour où le soleil n’est pas encore levé.

 

A la lueur de l’éclairage d’un lampadaire public, j’aperçois un groupe d’enfants (entre 10 et 12 ans) couchés par terre, non loin d’un bac à poubelle, recroquevillés chacun sur lui, la sébile servant d’oreiller.

A quelques 50 mètres, dans une mosquée du parage, le chant du muezzin appelle les fidèles à la prière. Je les réveille non sans mal. Puis je demande au plus long, d’où ils venaient. Il ne veut rien dire. Sur insistance de plus en plus menaçante, il lâche : « des délinquants nous ont dépouillé de notre argent vers 21 heures au niveau des jardins maraîchers alors que nous rentrions chez notre marabout. Ils nous ont menacés avec un couteau ». Le jeune talibé a à peine 12 ans. A la question de connaître les raisons qui les ont poussées à découcher, il répond : « Si nous venons sans argent à lui donner, le marabout nous chicote avec son fouet ». Je leur donne 1.000 ouguiyas à remettre au marabout pour leur éviter des châtiments corporels et 500 UM pour prendre leur petit déjeuner. Normalement, s’ils étaient rentrés se coucher à leur lieu de résidence à « Couva », ils auraient été réveillés à 5 heures du matin. Pourquoi ? Faire leur toilette qui se résume à un brin de toilette avant d’entamer leurs ablutions et prier. Puis jusqu’au petit matin, ces enfants vont ânonner des versets du Coran sous le fouet, « la chicote », parfois sous les gifles et les coups de celui que l’on désigne comme un « marabout ».
A l’origine la pauvreté
La problématique est complexe. Notre pays fait partie d’un continent sur lequel le travail des enfants est le plus fréquent au monde. Chez nous, les enfants de milieux défavorisés sont les plus susceptibles de chercher un emploi. Aucune enquête nationale n’est encore intervenue pour quantifier le nombre d’enfants à la recherche d’un emploi. Il ne fait pas de doutes que ces enfants travaillent pour compléter les revenus familiaux ou encore aider la famille à survivre. Dans les régions les plus pauvres du pays, les villages sont tout bonnement « saignés » de leurs enfants, qui se font exploiter par des marabouts véreux auxquels ils ont été confiés pour apprendre le Coran. A Nouakchott, il est aisé de le constater à travers les grandes artères, rue et ruelles des différents arrondissements de la capitale. Partout, ce constat phénoménal est le même: de très nombreux enfants déguenillés, munis de sébile sont stationnés à des carrefours ça et là, quand ce n’est pas d’autres ailleurs qui abordent les passants pour une aumône. La plupart de ces enfants sont âgés de moins de 14 ans. Ils quittent leur famille pour trouver du travail dans d’autres régions. Certains partent « de plein gré » ou à la demande de leurs parents, cherchant à échapper à la terrible pauvreté de leur région. D’autres sont pris au piège des trafiquants. Ces petits talibés n’ont parfois pas plus de 5 ans, sont habillés en haillons, nourris avec ce qu’ils mendient, ce qu’on leur donne, et font les travaux les plus pénibles dans la journée, au marché de poissons du port de pêche artisanale de Nouakchott, ou quelque part ailleurs. Chacun d’entre eux doit rapporter quotidiennement quelques ouguiyas au maître, le « marabout » sinon il se fait « bastonner ». Dans la plupart des cas, certains enfants qui sont parvenus à rentrer chez eux, racontent à leurs parents ce qu’ils ont eu à endurer. Notamment en effectuant des travaux ardus et mal payés, dans des situations sanitaires dangereuses. Parfois, disent-ils, ils sont battus, parfois ils sont victimes de prédateurs sexuels.
L’Unicef et l’Oit leaders de la sensibilisation
Reconnaissant que le travail des enfants est lié à la pauvreté des familles, et qu’il ne s’agit pas simplement de l’interdire en promulguant des lois, l’OIT fait une distinction « entre les obligations familiales normales et le travail qui débouche sur l’exploitation et la maltraitance ». Tout comme l’Unicef reconnaît également que la culture africaine permet aux enfants de travailler dans la famille et la communauté, mais que les difficultés économiques, le VIH/sida et autres catastrophes « ont changé la nature traditionnelle du travail des enfants pour la transformer en pratique abusive ». Pour elle, en se concentrant sur les pires formes d’exploitation, il sera possible de dégager des priorités et de gagner l’appui des pouvoirs publics. Il rappelle que la Convention n° 138 de l’OIT, qui incite les pays à fixer à 14 ou 15 ans l’âge légal du travail, a fait des adeptes très lentement après son adoption en 1973. Mais la Convention n° 182, qui interdit les pires formes de travail des enfants, a bénéficié rapidement d’un large appui la majeure partie des pays du monde. Cependant, en se focalisant uniquement sur les pires formes de travail des enfants, on risque « d’occulter » le problème général. « Une attention trop soutenue aux pires formes de travail pourrait nous entraîner à négliger des actions plus fondamentales, axées sur l’environnement macroéconomique, l’éducation et l’évolution des mentalités, qui elles-mêmes freineraient le travail des enfants », soutient un expert de l’Unicef à Nouakchott.
Où sont les pouvoirs publics ?
Que font les pouvoirs publics pour endiguer ce phénomène qui prend des proportions inquiétantes ? Quel avenir pour cette jeunesse qui n’aura appris qu’un seul livre, fut-il saint ? Pas grand-chose, puisse t-on dire ! Il faut au moins le reconnaître, face à de telles pratiques, l’Etat mauritanien a décidé de mettre fin à sa passivité en ratifiant la Convention n° 182 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) qui interdit les pires formes de travail des enfants à l’instar d’un certain nombre de pays d’Afrique. Il a également lancé une campagne, financée par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et d’autres organismes, visant à interdire ces pratiques. Les pouvoirs publics locaux, les spécialistes de la protection de l’enfance, les responsables communautaires et les défenseurs des droits des enfants commencent à informer les parents des dangers encourus par les enfants qui travaillent. D’après l’OIT, beaucoup d’enfants âgés de 10 à 14 ans travaillent dans les pays d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, bien que le code du travail interdise le travail des enfants de moins de 14 ans. Parmi les raisons de ce phénomène l’Unicef cite la pauvreté, « raison majeure et omniprésente » qui limite beaucoup les possibilités économiques et professionnelles dans les zones rurales et pousse les familles à recourir à tous les moyens d’accroître leurs maigres revenus. Un accès à l’éducation insuffisant parce que les enfants sont arrachés plus fréquemment à la protection de leur famille du fait qu’ils cherchent à s’instruire que parce qu’ils cherchent à travailler. Il y a aussi l’ignorance, de la part des enfants et de leurs familles, des risques encourus. Autres raisons évoquées : la migration des adultes des villages vers les bidonvilles expose les enfants à de plus grands risques ; une forte demande des employeurs qui veulent une main d’oeuvre bon marché et soumise, particulièrement dans le secteur informel ; la porosité des frontières ; le désir des jeunes eux-mêmes qui veulent voyager et explorer ; un engagement politique, une législation et des mécanismes judiciaires insuffisants face au trafic des enfants. Que faire dans ces conditions ? Une chose au moins, puisqu’il n’est pas encore possible d’interdire le travail des enfants sous toutes ses formes, la difficulté immédiate consiste à sensibiliser l’opinion aux dangers présentés par les formes les plus oppressives et abusives du travail des enfants, et à mobiliser le gouvernement de Moulaye Ould Mohamed Laghdaf et la société.

Moussa Diop

Source  :  Le Quotidien de Nouakchott le 07/02/2011

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