Esclavage en Mauritanie : il ne faut pas vendre la peau du chameau avant de l’avoir bien saigné

KASSATAYA le 29/01/2011. En Mauritanie, le pays au million de poètes, il faut reconnaitre qu’il y’a aussi une poignée de juristes ou plutôt d’apprentis juristes.

 

Ces derniers s’attèleront à lire entre les lignes une décision de justice, en ne se limitant pas qu’à la beauté de l’écriture juridique, pas moins qu’à sa  Césure, ses Alexandrins, ses Dissonances et ses Euphémismes.

Pendant qu’on se félicitait à moitié de la condamnation d’Oumouloumnine Mint Bakar Vall pour exploitation de mineures, à défaut d’une condamnation pour pratique esclavagiste, voilà notre ardeur et notre élan calmés par ce revirement judiciaire sans précédent doublé d’une célérité étonnante.

La rapidité par laquelle on a instruit ce dossier, montre combien une justice à deux vitesses est en train de s’installer en Mauritanie. Car si la machine judiciaire s’est emballée pour ce qu’il convient d’appeler l’affaire Mint Bakar Vall, elle avance par contre à pas de chameau pour tous ces mauritaniens anonymes qui croupissent dans les prisons avec d’autres détenus tristement célèbres ( Ould Nagi, Ould Dadde et autres).

Car après le verdict du 16 janvier 2011 condamnant à 6 mois de prison ferme Mint Bakar Vall sans délivrance de mandat de dépôt (ce qui devrait permettre son transfèrement en prison), celle-ci rentre chez elle. Elle sera appréhendée le soir chez elle par la police, ce qui conduit son avocat à faire appel de cette décision.

C’est apparemment réunie dans l’urgence en date du 25 janvier, que la cour d’appel a ordonné la libération de Mint Bakar Vall au motif d’une délivrance de mandat de dépôt à l’encontre de la prévenue forclos.

Si on revient un peu sur cette histoire et sur la base juridique de la décision du 16 janvier 2011 du tribunal de première instance condamnant d’une façon timide Oumouloumnine non pas de pratique esclavagiste, mais plutôt d’exploitation de deux enfants mineurs, on voit combien la justice mauritanienne par le biais de ceux qui y veillent n’est pas encore prête à se départir de ses vieilles habitudes conservatrices.

Une lecture juridique de la loi de n° 2007- 048 du 03 Septembre 2007 sur l’esclavage montre combien la volonté politique était teintée d’un cynisme allant jusqu’à tuer le poussin dans l’œuf.

De prime abord, la loi n° 2007- 048 du 03 Septembre 2007 portant incrimination et répression de toutes les pratiques esclavagistes en Mauritanie, n’a pas été mise en application lors de ce procès phare. Or si la justice, le respect des droits de l’homme et la lutte contre l’esclavage ne doivent pas s’arrêter que sur des considérations symboliques, cela n’empêche pas qu’un acte d’accusation sur ladite loi revête une dimension pédagogique et même dissuasive.

Ainsi, le refus par les magistrats instructeurs d’inculper au minimum Mint Bakar Vall « des crimes d’esclavages » montre combien les autorités continuent de façon insidieuse à faire valoir la prééminence idéologique qui veut nous faire croire qu’il n’existe que des séquelles de l’esclavage et non des pratiques esclavagistes dans la Mauritanie d’aujourd’hui. Et le pire c’est que nos juristes suivent nos politiques dans des considérations et postures politico-idéologiques, et cela se fait au détriment du droit. Le risque est de voir cette loi de 2007, portant incrimination et répression de toutes les pratiques esclavagiste tomber en désuétude avant toute forme d’application.

Au-delà de la célérité de la procédure et des considérations symboliques ou politiques, il n’en demeure pas moins que cette décision est entachée de quelques insuffisances et à mes yeux, pas des moindres.

Si Mint bakar Vall a été condamnée sur la base d’exploitation de mineures et par application de l’article 60 de l’ordonnance 2005- 015 portant protection pénale de l’enfant, ce que notre tribunal a oublié c’est que la prévenue était dans une situation de circonstance aggravante.

Car dans ladite ordonnance à son article 61 logé à la section deux intitulé « Du travail et des conditions de travail de l’enfant », il est bien signifié que  « Les infractions définies à l’article 60 sont punies de un à trois ans d’emprisonnement et de 400.000 à 800.000 ouguiyas d’amende lorsqu’elles sont commises à l’égard de plusieurs enfants »

Or, la situation d’exploitation s’est faite sur deux mineures. Ainsi, cette situation devrait déclencher automatiquement l’application de l’article 61 plus sévère, au détriment de l’article 60 qui elle, ne condamne le fait de soumettre un enfant à des conditions d’emploi et d’hébergement incompatible avec la dignité humaine que de 6 mois d’emprisonnement. Ainsi on peut dire que cette célérité judiciaire est doublée d’une cécité partielle et partiale.

Cependant la question de l’esclavage ne pourra se régler sans une réelle volonté politique. De même, le fait de ne pas avoir eu une démarche pédagogique relative à la prévention, à la sensibilisation et à l’éducation de masse des populations sur les impacts et les conséquences de telles pratiques coutumieres banalisées, ne résoudra pas ce problème qui menace la cohésion sociale et le vivre ensemble.

Le silence assourdissant de la Commission Nationale des Droits de l’Homme sur cette question, tranche avec son indignation et sa consternation face à la barbarie perpétrée par l’Etat d’Israël contre la flottille humanitaire, ou quand elle désapprouve avec fermeté les actes terroristes considérés comme barbares.

Cependant, l’introduction d’un pourvoi en cassation par le ministère public ne peut être que salutaire. Mais si tout cela n’est qu’une manœuvre dilatoire visant à noyauter l’opinion publique nationale et internationale, il reste aux ONG de lutte contre l’esclavage un dernier recours. C’est celui de saisir soit la commission africaine des droits de l’homme et des peuples par le truchement d’une ONG ayant le statut d’observateur ( c’est le cas de SOS ESCLAVES) ou bien auprès des organes des Nations Unies, dans la mesure ou la Mauritanie a ratifié les protocoles facultatifs des conventions de l’ONU ou a accepté la compétence des organes des Nations Unies chargés des droits de l’homme.

 

NB : A ceux qui ont écrit sur ce cas, juste un rappel. A la suite d’une décision judiciaire de première instance, si une partie n’est pas satisfaite elle fait appel. C’est à la suite de l’arrêt de la cour d’appel qu’une des parties ou le ministère public peut introduire un recours en cassation devant la cour suprême en Mauritanie ou cour de cassation dans d’autres systèmes judiciaires. Donc contrairement à ce qui a été écrit dans certaines dépêches, le ministère public ne peut pas introduire un pourvoi en cassation contre une « décision » de la cour de cassation. Ainsi, le pourvoi en cassation ne se forme qu’à la suite d’un arrêt d’une cour d’appel.

 

Diallo Saidou Nourou

Pour Kassataya

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