Moussa Fall est réellement ce qu’on peut appeler un homme politique. Ses amis et ses adversaires s’accordent sur une chose : son courage à assumer ses positions.
Quoique peu connu par le grand public, Moussa Fall reste, tout de même, assez présent sur la scène politique, depuis plus de deux décennies. Il est membre actif du parti ADIL et fait partie du groupe qui a rejoint récemment la majorité présidentielle. Il nous livre, ici, sa lecture de la situation politique et économique du pays.
‘’ Le seul objectif que nous avons atteint est la signature du protocole d’entente politique avec la majorité…’’
Biladi : En rejoignant la majorité présidentielle, votre parti, Adil, a ouvert le bal pour marquer, dit-on, un dialogue pouvoir/opposition, qui visiblement, quarante cinq jours après, peine à s’inscrire dans les priorités des uns et des autres. Aujourd’hui encore, vos anciens et vos nouveaux compagnons sont campés, les uns les autres, dans des positions antagonistes. Peut-on dire que votre démarche a été vaine ?
Moussa Fall : Pour pouvoir répondre convenablement a votre question je dois au préalable faire un éclairage sur les raisons qui ont amené le Parti Adil à négocier et à signer un accord politique avec la majorité. En juin dernier une audience avait été accordée par le Président de la République aux président et premier vice président du parti Adil. Dans cet entretien une invite aurait été adressée a notre parti pour intégrer la majorité. C’est ainsi que fut posée pour la première fois, à ma connaissance, l’idée d’un ralliement à la majorité présidentielle. Un débat s’est engagé sur cette question au sein du parti. Deux points de vue forts divergents se sont affrontés pendant près de deux mois ; le premier rejetait l’idée de donner une réponse favorable à cette proposition, le second pensait que la position naturelle de Adil est d’être dans la proximité du pouvoir. Finalement un consensus s s’est dégage en faveur d’une démarche consistant à poser des conditions préalables et à négocier les termes d’un accord politique avec le pouvoir. Les avantages de cette solution sont multiples : Préserver l’unité du parti ; Justifier le refus d’intégrer la majorité et, en cas de rejet de nos conditions ; et d’ouvrir, si possible, en cas d’acceptation, la voie à une décrispation de la vie politique par la promotion de reformes vitales pour le pays.
C’est dans cet esprit qu’une plateforme politique avait été élaborée. Cette plateforme s’articulait autour de quatre piliers ;
Un premier centré sur l’enracinement de la démocratie
Un second consacré à la bonne gouvernance et à la reforme de l’état
Un troisième sur les éléments constitutifs de la stratégie de lutte contre le terrorisme et l’insécurité
Un dernier fixant les reformes prioritaires dans les secteurs sociaux,
Il avait été bien précisé qu’un accord de principe sur cette plateforme ne suffisait pas mais qu’il constituait un préalable à l’ouverture de négociations Adil/pouvoir pour parvenir à un accord politique formel engageant les deux partis. Ces préoccupations ont été globalement bien comprises et acceptées. Initialement la décision était de désigner un groupe de négociateurs présidé du côté du pouvoir par un conseiller à la Présidence puis, par la suite, le dossier a été confié à la direction du l’UPR. Certaines voix se sont prononcées contre cette délocalisation mais la majorité avait décidé l’ouverture de négociations avec la délégation désignée par l UPR.
Dans un premier temps les discussions ont vite conduit à une impasse et s’acheminait vers l’échec. Par la suite, des consignes semblent avoir été données pour parvenir à un résultat positif. A partir de ce moment il était clair qu’une nette volonté d’ouverture se dessinait et elle méritait d’être explorée. Il était par ailleurs hors de question de ne pas assumer jusqu’ au bout la logique de notre démarche.
Le résultat final est celui que vous connaissez. Je pense qu’on aurait pu mieux faire si des flottements en notre sein n’avaient pas altéré notre capacité de négociation. Ce résultat a été apprécié différemment ; certains de nos amis l’on trouvé insuffisant et ont décidé de démissionner du Parti. D’autres l’ont apprécié de façon plus positive. Ces derniers dont je fais partie pensent avoir ouvert la voie au dialogue par des négociations qui ont duré 6 mois. Ils pensent, aussi, être parvenus à des engagements de nature à promouvoir des reformes vitales indispensables à la mise en place d’une démocratie crédible. Ils pensent, enfin, avoir préparé le terrain au dialogue pouvoir/opposition.
Vous dites que le dialogue peine a démarrer. C’est vrai mais je crois savoir qu’il a été demandé à l’opposition de proposer une plateforme. Mon sentiment est qu’en cette période de hausse des tons, l’atmosphère n’est pas des plus propices à l’ouverture de négociations sereines. Le jour où les deux camps se décideront à entrer dans des négociations sérieuses on se rendra probablement compte que notre démarche n’avait pas été vaine.
Biladi : Dans une interview accordée à l’hebdomadaire La Tribune, le président de la République, répondant, justement, à une question relative à votre ralliement affirme que : ‘’… discuter ne veut pas dire partager…’’Ne seriez-vous pas un peu déçu de la suite donnée à votre démarche par Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Moussa Fall : Nous n’avons à aucun moment demandé le partage du pouvoir. Nous avons proposé des reformes pouvant améliorer la gouvernance du pays. Vous savez il y a plusieurs manières d’exerce le pouvoir… Certaines se sont avérées contreproductives quelque soit, par ailleurs, la sincérité des intentions initiales. La théorie et la pratique ont montré que les meilleurs résultats sont obtenus par les systèmes où le chef inspire la politique générale, arrête les grandes orientations, supervise, contrôle et rectifie et/ou réajuste, le cas échéant, l’activité à tous les niveaux tout en responsabilisant, en impliquant, en associant le plus grand nombre d’hommes et des femmes choisis sur la base de leur expérience et de leur compétence pour les missions qui leurs sont confiées. Cela ne se fera probablement pas en un seul jour mais c’est à ce prix que l’efficacité sera au rendez vous.
Biladi : Quelle est l’appréciation que vous faites, aujourd’hui, après recul, de votre choix ? Oseriez-vous dire que les résultats auxquels vous aspiriez à l’issue de cette entente sont atteints ?
Moussa Fall : Le seul objectif que nous avons atteint est la signature du protocole d’entente politique avec la majorité. Le protocole n’a, à ce jour, connu aucun début d’application. Mais nous ne désespérons pas, surtout que nous ne voyons pas de solution démocratique autre que celle du dialogue. Le résultat n’est pas acquis d’avance il faut pour cela la jonction de trois facteurs : la raison, la sincérité des intentions dans la primauté accordée à l’intérêt général et la bonne lecture des événements.
Biladi: Dans une interview accordée, au journal Le Calame, cette fois-ci, par l’un de vos ex compagnons, au sein de Adil, en l’occurrence, Dah Ould Abdel Jelil ( lequel, avec d’autres, ne vous ont pas rejoint à la majorité) dit, en substance, que ‘’…Rejoindre le pouvoir, sans engagements de réformes majeures, est une démission.’’ Êtes-vous d’accord avec votre ancien compagnon ?
Moussa Fall : Je ne vois ni héroïsme ni démission. Je vois simplement une différence d’appréciation sur un contexte politique précis et la lecture d’un texte s’y rapportant. J’ai dit plus haut que j’ai une appréciation positive du protocole signé entre Adil et la majorité. Je vous livre certaines des clauses de ce protocole. Elles participeront, en cas d’application, à une évolution globale qui irait dans le bon sens.
1- « Les deux parties s’engagent à promouvoir les reformes, et les mesures contenues dans cet accord ».
2- « Pour protéger la démocratie et garantir la stabilité politique qui constituent la base du développement économique et de la promotion sociale de tout pays, toutes les mesures de nature à assurer la prévention des changements anticonstitutionnels de quelque nature que se soit, seront mises en ouvre. »
3- « L’approfondissement de la démocratie exige la réalisation de réformes garantissant l’égalité des chances entre tous les partis politiques dans le pays, conformément aux changements constitutionnels de 2006. Dans cette logique, Il est nécessaire que les pouvoirs publics initient des mesures appropriées afin de consolider l’exercice d’une vie démocratique saine et crédible en assurant notamment l’égalité des chances entre tous les partis politiques ».
4- « La neutralité de l’administration dans les opérations électorales
– S’assurer de la neutralité de l’appareil administratif et éviter sa politisation ;
– Rappeler et faire respecter les devoirs de réserve et les droits politiques rattachés aux fonctions dans chaque catégorie et pour certaines missions sensibles.
– S’assurer de la neutralité des Autorités administratives régionales dans l’exercice de leurs missions et notamment celles relatives à la gestion des compétitions électorales. »
5- « Elaborer un code électoral concerté à travers la révision générale des lois et règlements existants régissant. les partis, le système communal, l’organisation des scrutins, les conditions de candidature à ces scrutins, le déroulement, la conduite et le financement des campagnes électorales, ….etc. »
6- « Réorganiser en concertation avec les partis politiques la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) de manière à lui assurer toute l’indépendance et la crédibilité requise. »
7- « Réviser périodiquement le fichier électoral de manière transparente honnête et de nature à rassurer tous les acteurs politiques »
Je pense qu’il y a là des engagements suffisamment clairs et suffisamment importants. C’est dans le cadre d’un dialogue national franc entre le pouvoir et l’opposition qu’il faudra définir les contenus des reformes, élaborer les textes de loi et les textes réglementaires, arrêter les modalités pratiques et établir les calendriers de mise en vigueur des accords obtenus.
A cet effet, il est justement précisé dans le protocole Adil/majorité que « L’ensemble de ces réformes doit faire l’objet, , d’un dialogue approfondi entre toutes les forces politiques (de l’opposition et de la majorité), en particulier, entre tous les partis représentés au parlement pour parvenir au consensus national le plus large permettant d’envisager avec sérénité le déroulement de tous les scrutins à venir. »
‘’…L’existence de niches ou règnent l’opacité et l’impunité semble établie et le pouvoir a intérêt traiter ces questions avec toute l’impartialité requise…’’
Biladi : La dernière session parlementaire a été le théâtre d’une série de débats houleux. Les députés de l’opposition, en particulier, ceux du RFD et de l’UFP ont mis à nu ‘’la fausse rigueur’’ affichée par le pouvoir en place en matière de lutte contre la gabegie. Beaucoup de zones d’ombres qui ternissent l’image vertueuse qu’on s’évertue là-haut à brandir ont été pointées du doigt par les parlementaires. Pensez-vous que le président de la République est sincère dans sa lutte contre la gabegie ?
Moussa Fall : Cette même question m’a été posée il y a un an. Mon dernier entretien avec le Président Mohamed Ould Abdel Aziz remonte à la période de la transition 2005- 2007. Ma conviction est qu’il était animé de bonnes intentions. Durant la période qui a suivi le coup d’état j’ai dit que l’arme de la lutte contre la gabegie a été utilisée de façon sélective à des fins politiques.
Aujourd’hui il me semble que le pouvoir est parvenu à imposer une certaine retenue dans la gestion des biens publics et que le fléau de la gabegie ne sévit plus avec la même ampleur que par le passé. Mais, d’un autre côte, ce que dit l’opposition n’est pas totalement dénué de fondements. L’existence de niches ou règnent l’opacité et l’impunité semble établie et le pouvoir a intérêt traiter ces questions avec toute l’impartialité requise.
Biladi : Est-ce un revirement de Adil, serait-il envisageable ?
Moussa Fall : Vous me donnez là une bonne occasion pour préciser que je ne parle pas au nom de Adil. Mes propos n’engagent que ceux qui se les approprient, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition.
‘’…La politique budgétaire est caractérisée par un amenuisement excessif des ressources affectées au fonctionnement de l’état…’’
Biladi : Quelle est votre évaluation de la situation économique du pays ?
Moussa Fall : Le secteur minier connait une embellie avec la hausse du prix du fer, l’augmentation de production de l’or et les améliorations introduites dans conventions passées avec nos partenaires. Par contre la production pétrolière est en forte baisse d’après les informations dont je dispose. Le reste de l’économie connait de graves difficultés.
La politique budgétaire est caractérisée par un amenuisement excessif des ressources affectées au fonctionnement de l’état. Autant il est légitime de chercher à rationaliser les dépenses de l’état et à lutter contre les pratiques malsaines autant il est vital pour le pays et pour son économie que son administration ait les moyens de fonctionner normalement. Le budget sert en priorité à financer le fonctionnement. Un bon fonctionnement de l’administration est une condition première pour avoir un état fort respectable et respecté ; assurer des services de qualité pour les citoyens, pour les opérateurs économiques et dans nos relations internationales ; stimuler la créativité des fonctionnaires et renforcer de leurs capacités au profit du développement du pays
On estime généralement que le ratio optimum masse salariale/budget de fonctionnement qui permet à un état d’assurer une activité normale doit se situer à un minimum de 48%. Dans la dernière loi des finances il atteint 64% hors service de la dette et subventions et transferts.
Par ailleurs le sur-financement des investissements par des ressources budgétaires comporte des risques de dysfonctionnement sévères pour l’économie : il a un effet démobilisateur sur la collecte de ressources extérieures qui pourraient constituer la source principale pour le financement du développement. En outre il exerce des pressions indésirables sur la balance des paiements et par la même occasion sur la monnaie et sur les prix.
Sur un autre plan l’excès d’implication de l’état dans les secteurs marchands a tendance à étouffer l’initiative privée qui est source de richesses et d’emplois. Il fait aussi peser sur l’état le poids des déficits d’exploitation en perpétuelle augmentation. Il en résulte un gaspillage de ressources de plus en plus insoutenable à travers les subventions et des investissements en création de nouvelles entreprises dont la rentabilité et l’intérêt économiques ne sont pas confirmés en amont.
Biladi : Pensez-vous que ce qui vient de se passer en Tunisie pourrait contaminer les pays de la sous région ? La Mauritanie serait-elle à l’abri d’un scénario tunisien ?
Moussa Fall : Je pense qu’il s’agit d’un séisme de grande amplitude dont l’onde de choc frappera tous les pays environnants. Chacun y réagira selon les conditions qui lui sont propres. La Mauritanie ne sera, bien sûr, pas épargnée. Elle présente des points de similitude avec la Tunisie dans le domaine de la cherté des prix, de la précarité, du désarroi des jeunes. Mais elle affiche des différences notables avec ce pays. La Mauritanie vit sous un système démocratique, imparfait certes, mais qui reste perfectible. Il y a une liberté de la presse qui reste à parachever avec la libéralisation de l’audiovisuel et l’ouverture des médias publics. Il y a des partis d’opposition crédibles qui exercent librement leur activité. Sur un autre plan, notre pays est plus fragile économiquement et plus hétérogène socialement. Je ne souhaite pas que cette onde choc se traduise par des troubles avec mort d’hommes et destruction de biens. Je pense que des solutions réformistes, pacifiques et responsables sont préférables à une anarchie aux conséquences imprévisibles pour un pays aussi fragile que le notre. Pour cela chacun doit y mettre du sien pour engager de façon proactive les réformes nécessaires dans les domaines politique économique et social pour désamorcer par anticipation les crises qui pourraient faire des dégâts et qui ne profiteraient à personne.
Biladi : Quelle perspective politique, selon vous pour le pays ?
Moussa Fall : L’avenir du pays sera ce qu’en feront ses citoyens, son pouvoir et son opposition.
A long terme il dépend de la qualité de son système éducatif. C’est dans ce secteur que les investissements sont les plus rentables à long terme car qui il détermine l’aptitude future du pays à se prendre en charge dans tous les domaines : développement économique, justice, santé…etc. Sur ce plan je trouve positif le grand intérêt qu’accordent actuellement les pouvoirs publics à ce secteur.
– A court et à moyen terme il est impératif de mettre en chantier deux types de reformes :
– Une première batterie de reformes dans le domaine économique et social qui doit se traduire par une politique macroéconomique cohérente pouvant relancer l’économie, créer de nouvelles ressources et opportunités permettant de lutter plus efficacement contre la précarité, le dénuement et le chômage. Cette relance peut passer par une revitalisation de l’état pour renforcer ses capacités à réaliser les projets, à absorber le potentiel existant avec les intentions et les engagements de financement de nos partenaires au développement. Cette politique de relance doit avoir pour second objectif de stimuler et d’encourager le secteur privé pour qu’il devienne le fer de lance d’un développement économique sain et créateur d’emplois.
– Une second batterie de reformes dans le domaine politique avec pour objectif de stabiliser le pays par la mise en place d’un système démocratique permettant l’alternance par la voie des urnes. Pour ce faire, il faut que le pouvoir et l’opposition optent résolument pour des stratégies de dialogue et de recherche de compromis. Je pense qu’en dépit des déclarations d’intention il y a encore fort à faire pour satisfaire cette condition préalable. Une fois cette condition remplie, les négociations devraient s’engager sur les réformes essentielles suivantes :
1- Eradiquer les phénomènes de changements anticonstitutionnels par le respect par tous : militaires et civils politiques du principe de l’inviolabilité des mandats électoraux acquis à l’issue d’élections démocratiques équitables et transparentes. Il faudra à cet effet élaborer un arsenal de mesures préventives et dissuasives contre tous les types de déstabilisation et de changement non constitutionnels.
2- Préparer en amont les élections en donnant à tous les compétiteurs des chances égales. A cet effet il y a lieu de mettre fin au système d’élections gagnées d’avance grâce l’instrumentalisation à des fins électoralistes de l’état par un parti ou d’un groupe de partis. Les candidats de la majorité doivent se prévaloir uniquement de leur bilan et de leur discours. Des lignes de discernement nettes doivent être tracées pour permettre à l’exécutif d’exercer sans entrave ses pouvoirs pour l’application de son programme sans pour autant se servir de l’état pour pérenniser un avantage électoral indu.
3- Reformer les instruments de transparence des scrutins avec un code électoral élaboré de façon consensuelle, une CENI réellement indépendante, un état civil dont la fiabilité est reconnue par la classe politique.
Source : Biladi le 26/01/2011