Marché du Cabotage : Encore des zones d’ombre

Nommé il y a quelques semaines à la tête de la Commission Nationale des Hydrocarbures, H’Bibi Ould Ham a débarqué dans un véritable nid de guêpe.

 

C’est là, dans cette modeste villa de l’ilot M qui tient lieu de siège de la commission, que se décide le sort de près de 700 millions de dollars par an, un pactole qui ne laisse personne indifférent.

Créée pour piloter le processus de sélection des fournisseurs du pays en gaz et en hydrocarbure, la commission devait être présidée pour un mandat de cinq par une personnalité aux compétences et à la rectitude avérées. En cinq ans, elle a connut cinq présidents, une instabilité expliquée en grande partie par l’importance des enjeux financiers et par la puissance des acteurs. Et pour en ajouter dans son champ de compétence, la CNH a décidé depuis l’année dernière de lancer un appel d’offre pour la sélection d’un transporteur entre Nouadhibou et Nouakchott. Il faut dire que depuis vingt ans cette activité est exercée en monopole tacite d’abord par la COMAUNAM et ensuite par la Mauritanienne de Transport Maritime (MTM). Mais il faut préciser que la législation en vigueur accorde l’exclusivité du transport intérieur à un opérateur battant pavillon mauritanien ou une société formée en groupement avec une société établie en Mauritanie.
En 2009, la SMNC dont le principal actionnaire n’est autre Mohamed Ould Mahfoudh Kerkoub et qui se trouve être le partenaire de TOTAL en Mauritanie, veut entrer dans le jeu du cabotage des hydrocarbures. C’est grâce à un lobbying efficace et des arguments sur l’obtention de prix avantageux que Ould Kerkoub convainc l’Administration de lancer un appel d’offre ouvert. MTM et SMNC postulèrent et c’est la deuxième qui l’emporte avec une offre à 16,85 contre 18,90. Alors la Commission sort de sa manche une clause stipulant que si la société arrivée en deuxième position acceptait les conditions de la moins disante, le marché serait divisé entre les deux. MTM accepte sans hésiter de s’aligner sur les prix de la SMNC et le marché est partagé entre les deux sociétés. Reste la signature avec le fournisseur FAL Oil. Cette société réputée proche de la famille de l’ancien président avait emporté à la surprise générale, le marché de fournisseur des hydrocarbures. Et flairant le filon, elle commença par récuser les bateaux de la SMNC en opposant un argument selon lequel son assureur exigeait une certification IACS pour les minis tankers proposés à savoir Pélican et Taoudeni 2. Plus tard, lorsque la société proposa un autre rafiot, le Gorgonilla, Fal Oil refusa catégoriquement pour cause de manque de sécurité des transporteurs, tout comme dira niet par la suite à la signature avec MTM.

Les entourloupes ne manquent pas
En attendant de reprendre le processus, une dérogation de trois semaines est accordée à Fal Oil pour s’occuper elle même du cabotage. En attendant, un autre acteur adoubé par un groupe de députés -dont un proche du Président de la CNH- entre en jeu par l’intermédiaire d’une société écran émiratie Zayed Fuel. On ne sait par quel subterfuge, cette société postule seule. Toujours est-il qu’à la suite d’un rapport d’expertise effectué sur les deux bateaux à Nouadhibou qui sont en fait ceux de Ould Kerkoub et d’un bateau à Dubai, l’expert sénégalais commis élabore un rapport concluant que les bateaux proposés ne sont techniquement pas qualifiés. A la lumière de cette conclusion, la CNH avec un nouveau président, déclare le marché infructueux. De ce fait, retour à la case départ. De source bien informée, nous avons appris que c’est un haut fonctionnaire du Ministère du Pétrole et de l’Energie qui conseilla par mail à Fal Oil d’écrire au Ministère des Pêches et de l’Economie maritime pour demander une dérogation de trois mois. C’est dire à quel point dans ce département on veille scrupuleusement sur les intérêts de Fal Oil.
Résultat, voilà Fal Oil qui va continuer à facturer 16, 5 dollars la tonne métrique aux marqueteurs mauritaniens. En fait Fal Oil facture 1,5 dollar de plus mais il semble qu’elle le garde comme avoir pour les distributeurs. Ainsi, quelque soit les reproches que l’on peut faire à MTM ou SMNC, voilà qu’un pactole de plusieurs millions de dollars est accordé à une entreprise étrangère, sans aucune incidence sur l’économie mauritanienne. En continuant à effectuer elle-même le transport, Fal Oil ne paye aucune taxe en Mauritanie, ne recrute pas un seul mauritanien et n’entretient même pas une représentation en Mauritanie. L’ensemble des fonds générés est rapatrié à l’extérieur. C’est donc là un manque à gagner pour l’économie nationale qui ne semble pas déplaire au Ministère du Pétrole et de l’Energie. Pire, le mal risque de perdurer pour le reste du contrat de Fal Oil. En effet, il est peu probable qu’un transporteur veuille postuler pour les neuf mois restant. Car l’affaire ne sera pas rentable. A moins que les autorités, et c’est possible, décident de découpler les deux contrats. C’est à dire que le contrat de trois ans pourrait être accordé à un transporteur qui signerait pour neuf mois avec Fal oil et pour le reste avec l’opérateur qui sera sélectionné pour la prochaine période. Mais pour cela, il faudrait que le ministère de tutelle pense surtout à l’intérêt des mauritaniens plutôt qu’aux nombreuses commissions qui circulent dans ce milieu très fermé des hydrocarbures.

Bouna Cherif

Source  :  Le Quotidien de Nouakchott le 19/01/2011

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