Sarr rejoint Ould Abdel Aziz: Et c’est Maaouya qui trinque

La Coalition des Partis de la Majorité (CPM) et l’Alliance pour la Justice et la Démocratie/Mouvement pour la Réconciliation (AJD/MR), ont signé un mémorandum, sur la base duquel ce parti intègre, formellement,  les forces politiques soutenant le programme du président Mohamed Ould Abdel Aziz.

 

La cérémonie de signature s’est déroulée, dans l’après-midi du  jeudi 23 décembre dernier, dans un établissement hôtelier de Nouakchott, en présence de nombreuses personnalités issues des deux parties, qui annonçaient ainsi,  officiellement, le point de départ de leur alliance.

L’accord est l’épilogue d’un long processus de négociations, étalées tout au long de l’année 2010, sur la base d’une plate-forme de revendications soumises, par AJD/MR, à son nouveau partenaire, indique-t-on de sources proches de la désormais ancienne formation de l’opposition. L’événement, attendu depuis plus d’une année, vient apporter plus de lisibilité dans la position de ce parti, classé dans ce que les analystes politiques mauritaniens désignent sous le vocable de «mouvance nationaliste  négro-africaine». Il marque la fin d’une période où les amis du président Ibrahima s’étaient retrouvés dans une posture inédite de «ni majorité, ni  opposition».

Dans son allocution, le président de AJD/MR, Sarr Ibrahima Moctar, ex-figure marquante de l’opposition, en général, et, tout particulièrement, de sa mouvance négro-africaine, double candidat, malheureux, aux élections présidentielles de 2007 et 2009, a justifié la décision de son parti. Celle-ci découle, selon lui, d’un constat: «la volonté» du président Mohamed Ould Abdel Aziz «de changer les tristes réalités que nous vivons, en ce moment, et qui ont, pour noms, déchirure nationale, exclusion, déliquescence de l’Etat, déchéance morale, spirituelle, gabegie, corruption, mal-gouvernance, maladie, chômage et  exploitation de l’Homme par l’Homme, sous toutes ces formes».
La suite du discours prend la forme d’un tir, nourri, de barrage, contre le pouvoir de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, à l’origine de multiples épreuves, pour Sarr et bien d’autres cadres négro-africains, victimes de toutes les pratiques avilissantes, au bagne de Oualata, à la fin des années 80. Un système  dont «l’héritage est lourd: passif humanitaire, mirage économique,  basé sur le faux et l’usage de faux, pour tromper  les institutions internationales, blanchiment de l’argent sale, trafic de drogue, exclusion, racisme, maintien des pratiques esclavagistes et clientélisme politique». Des pratiques et des  maux qui ont, littéralement, jeté une chape de béton, sur le pays, inhibant toutes les possibilités  d’évoluer vers un véritable système démocratique et plombé son développement économique, ainsi que la promotion sociale des populations. C’est ce qui explique «l’environnement hostile dans lequel les plus démunis continuent à vivre le calvaire, dans des bidonvilles mal éclairés, avec une jeunesse désœuvrée et livrée à elle-même, et qui sert, ainsi, de réservoir au grand banditisme urbain».

Les raisons du choix
Avec l’adhésion d’Ibrahima Sarr,  la majorité  a élargi sa base, au sein de la «mouvance négro-africaine», fortement présente dans l’opposition historique, depuis «l’ouverture démocratique» de la fin des années 90. Cette adhésion intervient un peu moins de deux ans après la défection du député  Kane Hamidou Baba du Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), principal parti de l’opposition, fondant le Mouvement  Pour la Refondation (MPR), depuis lors  allié du pouvoir.
Ceux qui réprouvent la démarche du nationaliste Sarr, naguère intraitable défenseur de la cause négro-africaine, pensent qu’après plusieurs dizaines d’années de galère dans l’opposition, le président d’AJD/MR a décidé d’aller goûter aux délices du pouvoir, alors que les véritables problèmes de fond liés à la cause restent pendants: résolution du passif humanitaire, cohabitation communautaire, usage des langues nationales dans le système éducatif, etc.
Sur la question du passif humanitaire, les ONGs de défense des droits humains font remarquer qu’au-delà de quelques gestes symboliques, comme la reconnaissance officielle des faits, la prière aux morts organisée, à Kaédi, le 27 mars 2009, ou l’indemnisation des familles, l’impunité demeure une des plus importantes pierres d’achoppement. Ces organisations continuent à réclamer une solution, définitive, sur la base d’une démarche en plusieurs étapes, toutes jugées indispensables: vérité, justice et réconciliation nationale, sur la base du pardon. Il faudrait, d’abord, que les auteurs des crimes commis au cours des années de braises soient, clairement, identifiés et que juste soit rendue.  Viendrait, alors, le pardon, synonyme de réconciliation, estiment les ONGs membres du collectif des Organisation Nationales de Défense des  Droits Humains (FONADH).
Pour les tenants de ce raisonnement, strictement rien n’a, en fait, changé: Mohamed Ould Abdel Aziz ne serait qu’un «gardien du temple», dans la lignée de tous les officiers et ex-officiers qui ont conduit les destinées de la Mauritanie, depuis plus de trente ans. Ce qui revient dire que les démons de ce  passé de sang et de  larmes  n’ont pas encore été exorcisés. Mais, pour l’AJD/MR, cette vision paraît, aujourd’hui, quelque peu tronquée et relève d’une généralisation hâtive. «Le nouveau président a présenté un programme dont certains points recoupent, largement, la vision du parti, nous avons décidé de le prendre au mot et offrons notre soutien, pour la mise en œuvre»,  explique Ibrahima Sarr. A travers ce soutien, on espère éviter l’isolement, à l’homme du 6/6 ou du 18/7, au sein de forces rétrogrades, toujours tapies dans l’ombre, pour tirer la Mauritanie vers un passé douloureux.
Rapporté à la scène politique nationale, l’événement du jeudi 23 décembre dernier est noté quelques semaines après le ralliement du Pacte National pour la Démocratie et le Développement (PNDD-ADIL), ancien parti au pouvoir. Deux succès éclatants  pour le camp de la majorité présidentielle, en bien peu de temps. Ibrahima Sarr a recommandé, en outre, la poursuite du dialogue, entre sa nouvelle mouvance et  l’opposition. Au rythme où vont les ralliements, on risque fort de se retrouver avec une majorité tentaculaire et une opposition menacée d’atrophie. 

Amadou Seck

Source  :  Le Calame le 28/12/2010

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