“Le dialogue est une nécessité plus pour le pouvoir que pour l’opposition”

Au moment où des partis politiques ont décidé de rejoindre la majorité présidentielle, il est opportun de savoir ce qui se passe de l’autre bord politique : l’Opposition. Pour cela, Biladi a jugé utile d’interviewer le président de la Coordination de l’Opposition Démocratique (C.O.D), Abdelkoudouss Ould Abeïdna.

Biladi : Comment vous voyez l’avenir de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD), au moment où elle n’arrive même plus à se réunir ?
Abdelkoudouss Ould Abeïdna (A.O.A) : Je vous remercie.  Permettez moi, tout d’abord, de corriger cette affirmation que vous prenez pour une assertion, la COD se réunit régulièrement et chaque fois que de besoin. La COD est une coalition de principes, d’idéaux et de valeurs démocratiques et de ce point de vue nous envisageons sereinement son avenir. Elle a déjà le mérite d’exister sous d’autres formes depuis les accords de Dakar où elle existait sous le nom du FNDD qui avait de liens solides avec le RFD. Elle s’est imposée au régime en place et a contribué largement, par son action, à la libération des détenus politiques, hommes d’affaire et journalistes malgré les efforts du régime visant à la torpiller. Certaines décisions étaient difficiles à prendre mais nous y sommes arrivés grâce aux efforts de tous les Présidents, comme la décision d’appeler au dialogue qui se fera sous sa houlette.
Notre souci de dialogue découle de notre volonté d’apaisement, parce que la situation est grave et nécessite l’adhésion de tous et il ne doit en aucun cas être interprété, comme le feront certains, comme une volonté de participer au Gouvernement. Nous sommes une opposition qui entend jouer son rôle pleinement pour ancrer les principes démocratiques, les droits de l’homme et l’alternance démocratique.

Biladi : Vous venez de rencontrer l’Ambassadeur de France. Sous quelles couleurs ? Celles de l’Union Nationale pour l’Alternance Démocratique (UNAD) Parti dont vous êtes le Président ou celles de la C.O.D dont vous assurez aujourd’hui la Présidence tournante ?
A.O.A : Les Deux

Biladi : Quels sont les sujets sur lesquels ont porté vos discussions ? Est ce que le diplomate européen a évoqué avec vous la question du dialogue avec le pouvoir ?
Biladi : Nous avons évoqué toutes les questions d’intérêt commun et particulièrement le dialogue inclusif édicté par les accords de Dakar parrainés par la Communauté internationale. Nous avons également évoqué les menaces qui pèsent sur la sous-région de façon générale et sur le pays en particulier comme la menace terroriste, les trafics illicites d’armes, de drogue et l’immigration clandestine.

Biladi : L’UNAD est l’un des rares partis en vue au sein de la C.O.D à ne pas être reçu au palais présidentiel. Quelles sont les raisons ?
A.O.A : Nous assumons pleinement notre rôle au sein de la coordination. Nous sommes ouverts à un dialogue sérieux sur la base des accords signés antérieurement avec nous ou avec les éminents présidents de la COD et auxquels nous faisons entièrement confiance. Par contre, nous sommes contre les tentatives visant à vider ce désir de dialogue de sa quintessence et de l’embellir par un vernis démocratique.
Vous pouvez également chercher la réponse chez l’autre partie.

Biladi : Les observateurs de la scène politique soutiennent que l’opposition a tout perdu. Alors pourquoi ne pas se rendre ?
A.O.A : De quels observateurs vous parlez ?
Si elle avait tout perdu, elle n’aurait pas existé.
Au contraire, le plus grand acquis de l’opposition est d’avoir mis en échec un coup d’Etat et pour la première fois en Mauritanie le coup d’Etat n’est pas considéré comme une fatalité. Notre peuple mérite qu’on lui donne le choix par des élections libres et transparentes, La possibilité de dire son opinion sur la manière d’agir de ses dirigeants, la possibilité d’une alternance démocratique et nous au niveau de la COD, nous portons ce flambeau et nous sommes dans une bataille pour obtenir tous les avantages pour notre peuple et il n’est pas question pour nous de nous rendre sinon ce sera la fin de la démocratie et le règne de l’arbitraire.

Biladi : Votre prédécesseur à la tête de la COD monsieur Mohamed Ould Maouloud, président de l’UFP a été sévèrement attaqué par l’UPR après son discours de passation de service d’avec vous. Comment expliquer le manque de solidarité de ses pairs de la C.O.D qui n’ont pas pris la peine de condamner les attaques contre la personne du Président de l’UFP ?
A.O.A : Certes, je regrette et je suis farouchement opposé aux attaques personnelles et nous sommes parfaitement et totalement solidaires avec le président Mohamed Ould Maouloud cependant, nous n’avons pas répondu pour deux raisons la première en est que je venais de prendre la présidence de la COD et la deuxième en est que l’UFP avait considéré que c’était une attaque personnelle et qu’il lui appartenait d’y répondre directement.

Biladi : Que vous inspire la situation politique, économique et sociale du Pays, aujourd’hui ?
A.O.A: La situation actuelle est désastreuse et intolérable sur tous les plans.
Tous les discours que nous avons entendus jusqu‘à ce jour d’avant et d’après les élections sont soit des discours populistes et démagogiques, soit traduits par certaines actions improvisées à outrance ou soit marqués par l’absence de stratégie dans la réalisation de certains projets à incidence socio –économique.
L’ouverture des chantiers de la Gazra, le rechapage des routes la politique monétaire inflationniste sont autant de scénarios qui relèvent plus de l’industrie de films bollywoodiens et de spots publicitaires de vente de produits de beauté que de politiques réelles de développement.
Le relotissement des Gazra qui constitue le fer de lance de la politique sociale du Président des pauvres mérite de s’y attarder un peu pour vous dire l’improvisation qui a marqué cette décision :
D’abord, le processus coïncidait avec l’ouverture des classes pour vous dire la perturbation des cours occasionnés aux élèves, ensuite le procédé d’identification qui consiste à photographier les récipiendaires comme de vulgaires criminels est tout simplement ridicule parce que si le procédé d’identification existant n’est pas fiable, il est tout à fait légitime d’avoir des doutes non pas sur le passé mais à l’avenir si les choses ne sont pas faites selon les règles de l’art, je pense aux votes, au fichier électoral…etc ; Enfin, bon nombre des commissions mises en place à cet effet était soit dissous soit poursuivi pour fraude et malversation.
Le discours de lutte contre la gabegie qui s’est évaporé était plus un clin d’œil pour un ralliement de camp qu’une politique réelle.
La multiplicité des intervenants par la création de nouvelles entités pour “caser” les amis a occasionné plus une hémorragie de fonds qu’une gestion rationnelle de ces fonds : deux exemples dans le bâtiment et la sécurité.
Dans le bâtiment et travaux publics nous avons la Direction du Bâtiment de l’Habitat et de l’Urbanisme, l’Agence Mauritanienne pour l’Exécution des Travaux d’Intérêt Public pour l’Emploi, l’Agence de Développement Urbain,  PDU, ISKAN, DPE…etc, alors que si on avait pourvu la DBHU de moyens suffisants on aurait cerné les besoins et répondu à ces besoins. Mais actuellement l’argent se perd sur tous les niveaux et on ne sait pas réellement qui fait quoi.
Même pratique au niveau des organes de sécurité avec la création du Groupement pour la sécurité routière et la lutte contre le trafic de drogue et l’immigration alors qu’on pouvait doter la police et la gendarmerie de moyens suffisants pour jouer ce rôle qui leur revient de droit et de par leur nature.
Par ailleurs sur le plan économique, la dégringolade du pouvoir d’achat consécutive à une inflation galopante et une montée en flèche des prix des produits et denrées de première nécessité a provoqué un sentiment de malaise social de déprime et de laisser pour compte de la majeur partie de notre population dont 60% vivent en dessous du seuil de pauvreté.  En une année les prix de ces denrées ont été augmentés de 30 à 70%. Les hydrocarbures qui influent sur tout le cycle économique, le transport et l’industrie viennent de connaitre leur troisième augmentation en mois de deux mois.
Les taux d’intérêt pratiqués par les banques entre 16 et 22% sur la base du taux de la BCM de 12% ne sont pas aussi faits pour encourager le recours à la banque.
La politique de micros crédits destinés à financer des activités génératrices de revenus est délaissée et l’estocade donnée à la CAPEC est toujours présente dans les esprits
La résurgence du Dirigisme économique par la création de nouvelles sociétés publiques pour concurrencer un secteur privé qui est le vecteur de la croissance et qui emploie plus des deux tiers de la population active, décourage ce dernier et tue toute velléité d’investissement privé.
Aussi, L’immixtion du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire et l’instrumentalisation de ce dernier dissuadent les investisseurs qui exigent une justice indépendante.
Tous ces problèmes appellent une politique et une vision claire et non la politique de l’autruche. Une politique d’ouverture qui prenne en considération tous les enjeux.
Le dialogue est un besoin, une nécessité plus pour le pouvoir que pour l’opposition, d’où la nécessité de mettre de côté la démagogie et de travailler ensemble pour contenir ces enjeux.

Propos recueillis par Samba Camara

Source  :  RMI Biladi le 29/12/2010

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