Exclusif : Le Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz à La Tribune: histoire d’une première.

oumer_3255_20Une première dans l’histoire de notre presse indépendante qui existe depuis la deuxième moitié des années 80. Jamais un Président en exercice n’a accepté de donner une interview à un journal du pays.

A chaque fois que j’ai introduit une demande, la réponse fut la même : «On ne peut pas vous donner cette faveur, à vous et laisser les autres». Au temps de Moawiya Ould Taya, jamais de réponse, ni même de semblant. Au temps de Eli Ould Mohamed Val et de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, les «cellules de communication» avaient trouvé la parade pour éviter le face à face : à chaque fois elles ont convoqué des conférences de presse restreintes ou ouvertes.

Cette interview – historique parce que sans précédent – a une histoire. Depuis quelques mois nous essayons de l’avoir. A l’occasion du premier anniversaire de l’élection du Président Ould Abdel Aziz. Mais il y avait ce souci de créer un exercice nouveau qui est celui de s’adresser directement au peuple à travers plus de deux heures de retransmission en direct du débat (août 2010). Puis nous relançons à l’occasion du cinquantenaire.

L’idée était de publier la dernière interview que j’avais faite avec feu Mokhtar Ould Daddah, premier président du pays, et la première interview que je fais avec l’actuel (je fus le premier à interviewer feu Mokhtar Ould Daddah en 1995). Un peu le souci de raccorder les deux hommes, les deux visions, les deux ères. Ould Abdel Aziz ayant décidé la réhabilitation de Ould Daddah au rang de Père de la Nation, ayant surtout en projet de construire une Mauritanie nouvelle réconciliée avec elle-même et avec son environnement et fière d’être.

En juin 2003, j’ai rencontré pour la première fois Mohamed Ould Abdel Aziz, à l’époque colonel commandant le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP). Il venait de vivre la dure épreuve du putsch du 8 juin. Il fut – je l’avais écrit à l’époque – l’élément moteur de l’échec de ce coup qui a coûté cher au pays (17 morts dont Mohamed Lemine Ould Ndeyane, chef d’Etat Major à l’époque). Son bureau portait encore les stigmates de la folle entreprise : vitres brisées, murs perforés, impacts de balles partout, , de quoi se dire que le commandant du BASEP avait été un objectif. «Tu sais, si ce type (Ould Taya, ndlr) ne tire pas la leçon de ce qui vient de se passer, le pays risque d’aller à la dérive». C’est à peu près ce que le colonel Ould Abdel Aziz m’avait dit en me racontant le retour épique de l’équipe à la présidence après plus de 24 heures passées soit en combattant (pour lui) soit en se terrant dans le camp de Garde (pour le Président et sa suite). Ce n’était pas facile pour un officier de l’époque de tenir de tels propos devant un inconnu qui plus est un journaliste.

Le 28 janvier 2006, au Palais des Congrès, le colonel Eli Ould Mohamed Val vient de pérorer sur le vote blanc, le présentant comme une troisième voie pour éviter les candidats civils. La salle est estomaquée. Le colonel Ould Abdel Aziz, toujours commandant du BASEP, se lève. Nos regards se croisent. Je lis la fureur sur son visage. Il ajuste sa tenue et se rend immédiatement à son QG. Il ordonne le déploiement de ses unités. Il me parlera plus tard d’une tentative de coup sur le processus de la part de son cousin et président du CMJD. «Un officier n’a que sa parole à donner et nous nous sommes engagés à mener un processus qui doit nécessairement aboutir à une élection libre. Ni prolongation de la transition, ni entorse au processus ne seront permises».

Juin 2008, je suis appelé par Amal Mint Cheikh Abdallahi, la fille du Président Sidi qui dirigeait de fait la cellule de communication. Elle veut discuter de la situation politique du pays, me faire comprendre ce qui se passe. A l’expression de son visage, je vois que les choses se corsent. Comme je suis à la présidence, je vais voir le Général Mohamed Ould Abdel Aziz – devenu chef du cabinet militaire du Président. «Tu vois comment la cellule de communication instrumentalise la presse contre moi, me dit-il en exposant des articles truffés d’insultes à l’égard de sa personne et de ses alliés. Je peux te dire qu’il n’y aura pas un coup d’Etat, que ce qui sera entrepris respectera la Constitution». J’en déduis que la crise est profonde. Je vais dans le bureau de Boydiel Ould Hoummoid, fraichement nommé ministre secrétaire général de la présidence. Je lui donne ma lecture : son prédécesseur, Yahya Ould Waghf, et globalement l’entourage civil de Ould Cheikh Abdallahi, a engagé un bras de fer avec l’aile militaire du pouvoir, une démarche suicidaire et dangereuse pour l’équilibre du pays et pour la démocratie, j’interpellais en lui sa sagesse et son non engagement dans cette querelle pour essayer de recoller ce qui peut l’être. Suivront les événements que l’on sait : tentative de régler le différent par députés interposés, offensive de l’aile civile du pouvoir, limogeage de tous les chefs militaires en pleine nuit et coup d’Eta du 6 août.

Octobre 2008, je suis convoqué à la présidence. Le Général Ould Abdel Aziz semble serein malgré toutes les menaces qui pèsent sur son pouvoir : refus de la communauté internationale de le reconnaitre, contestations intérieures et essoufflement du pays qui est en instabilité depuis quelques mois. Il parle des Etats généraux de la démocratie. Je lui dis qu’ils ne signifieront rien si l’opposition n’y participe pas. «Elle va y participer. Nous ne ferons aucune démarche politique qui n’inclut pas tous les acteurs ou en tout cas la majorité d’entre eux. Même s’il y a des élections, ce ne sera qu’avec tout le monde».

Quatre moments qui résument pour moi cette personnalité : le franc-parler, la fermeté, la témérité et la détermination. Des qualités autrement perçues par ses détracteurs qui voient en lui un homme «introverti», «emporté», «rustre» et «méprisant». Oubliant que cet homme-là les a menés en bateau jusque-là.

D’abord pendant la première transition en les emmenant, pour la plupart, à voter Ould Cheikh Abdallahi, un candidat sorti d’on ne sait où. Ensuite en 2008, en jouant l’ordre constitutionnel pour dénoncer le retour en force du système décrié de l’avant août 2005. Enfin en les amenant à signer l’Accord de Dakar et à organiser conjointement des élections où il s’est présenté comme le promoteur du changement contre une alliance contre-nature entre soutiens et opposants de l’ancien régime. Dont act.

MFO

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Extraits

«Ce ne sont pas les soutiens de première ou de dernière heure qui me feront changer de cap»

«Quand je regarde l’héritage que nous avons eu, je me dis que tout est prioritaire»

«On ne peut guérir quand on est malade que si on sait de quoi on souffre»

«Discuter ne veut pas dire partager»

«Le changement de gouvernement arrivera quand il le faudra»

 

Source: La Tribune



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