D’un recensement à l’autre, les mauritaniens ne savent plus à quel saint se vouer. Entre 1994 et 2000, des projets de refonte de l’état civil avec l’appui financier de la France, ont permis de collecter des données statistiques à travers le Recensement Administratif National à Vocation d’Etat Civil appelé RANVEC, mené en septembre 1998 sur l’ensemble du territoire national. Cette action, clamait t-on, avait aussi permis d’élaborer un fichier électoral sécurisé. Pour cela, combien d’étapes avaient été franchies pour arriver en fin à mettre sur pied un embryon d’état civil ? Quatre ans (4) ! Douze ans après, retour à la case départ avec l’annonce d’un nouveau recensement incluant cette fois la technologie biométrique. Laquelle a été l’objet d’un bras de fer très dur opposant deux services du ministère de l’intérieur, à savoir : l’état civil et le projet de carte nationale d’identité. Si la police a eu finalement gain de cause pour ce qui est du partenaire, la société française SAGEM Morpho qui a gagné le marché d’appel d’offre de fiabilisation et de sécurisation des documents nationaux d’état-civil, par contre, elle a perdu le contrôle du projet carte d’identité qu’elle gérait. La gestion de ce projet relève de la compétence de la nouvelle structure créée et dénommée Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés (ANRPTS) qui remplace l’Office Nationale d’Etat Civil (Onec).
Cette perspective les responsables du projet la voyaient venir, quand décision avait été prise déjà par le ministère de l’intérieur et de la décentralisation, de suspendre la confection et le renouvellement des cartes nationales d’identités. Aujourd’hui le projet n’existe plus et son personnel a été remercié. Et pourtant de son démarrage effectif le 17 octobre 2000, jusqu’en janvier 2009, ce projet a réussit la prouesse de produire 1. 685.320 cartes nationales d’identité pour un objectif à atteindre fixé à 1.800.000 cartes à produire. Le projet était une référence dans la sous région puisque beaucoup de pays qui nourrissaient la même ambition se sont succédés à Nouakchott pour s’inspirer de l’expérience mauritanienne en la matière. Seulement le projet fonctionnait toujours avec un matériel vétuste qui demande à être renouvelé aujourd’hui.
Improvisation et laisser-aller
M. Mohamed Fadel 0uld El Hadrami dit M’Rabih 0uld El WeIi qui en est le directeur général, rechigne encore à communiquer en dehors des médias d’Etat. Il n’y a pas encore longtemps que nous avons cherchés à le contacter en vue d’éclairer l’opinion sur les contours de ce recensement. Impossible d’accéder à lui. A ceux qui veulent bien nous parler, on s’entendra dire que s’il y a quelque chose à dire ce sera fait par voie de presse officielle. Il était annoncé que le nouveau recensement allait être lancé le 28 novembre à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance nationale. Apparemment, malgré tout le tapage médiatique fait autour de la question, le démarrage n’a pas eu lieu à la date indiquée. Pourquoi ? Mystère !
Pour sûr, ce qui était prévu au départ, c’était un complément de recensement du RANVEC. Il semble que sous la forte pression des chauvins et des nationalistes, Mohamed Fadel Ould Hadrami aurait décidé de mettre tout le fichier du recensement en arabe. Il reste que même si Mohamed Fadel Hadrami ne veut rien dire, nous savons maintenant que ce recensement est prévu pour commencer en janvier 2011. Environs 200 agents composés d’anciens de l’état civil et de nouveaux recrutés, sont en formation de deux semaines dans les locaux de l’état civil par groupe de dix. S’agissant des options, au lieu d’équipes de recensement pour faire du porte-à-porte, il serait retenu l’option d’ouvrir deux centres pour ce qui concerne Nouakchott et Nouadhibou où les populations devront se rendre spontanément pour se faire recenser. Pour le reste du pays, l’option de composer des équipes incluant les maires tortille les esprits des responsables mais ne serait pas encore définitivement retenue.
« Chat échaudé craint l’eau froide »
Toujours est-il que des experts de la question restent sceptiques sur la méthodologie suivie pour le recensement. « Je ne comprends rien à la démarche suivie pour réaliser ce recensement. Aucune rencontre nationale impliquant des experts nationaux et internationaux ne s’est tenu pour parler des enjeux de l’état civil, du diagnostic du système mis en place encore moins de sa réforme », un technicien de l’état bien au fait des grandes lacunes du recensement envisagé.
Il fait remarquer que la ques¬tion de l’état civil consti¬tue un défi fon¬da¬men¬tal pour la Mauritanie à l’instar de beaucoup de pays africains et du Maghreb. Notre pays a en¬core bien des dif¬fi¬cul¬tés à consti¬tuer un bon sys¬tème ad¬mi¬nis¬tra¬tif de ges¬tion de l’état civil. Et pour cause, beau¬coup de mauritaniens sont venus au monde et vont vivre et mourir sans lais¬ser au¬cune trace dans un re¬gistre ju¬ri¬dique ou sta¬tis¬tique, tout sim¬ple¬ment parce que notre état civil ne dis¬pose pas de sys¬tèmes ef¬fi¬caces, ju¬ri¬diques ou sta¬tis¬tiques, pour l’en¬re¬gis¬tre¬ment des nais¬sances, des décès, des ma¬riages et des di¬vorces. Certes que les pouvoirs publics ont dé¬ci¬dé de ren¬for¬cer le sys¬tème ad¬mi¬nis¬tra¬tif d’état civil afin de mieux prendre en charge les po¬pu¬la¬tions, mais dans la pratique ces actions sont loin d’être lisibles. A commencer par le citoyen lambda qui non seulement ignore tout de ce recensement mais aussi les organisations de la société civile. Le FONADH qui juge discriminatoire la composition des différents organes du RNP qui font la part belle à une seule communauté, a dénoncé cette discrimination et exigé sa révision pour tenir compte des autres communautés (Pulaar, Soninké et Ouolof). A juste raison d’ailleurs car chat échaudé craint l’eau froide. Tout le monde a encore en mémoire les évènements de 1989. Et le RANVEC de 1998 a été l’occasion saisie par le régime des années de braise anti négro-africaine, pour détruire des archives d’état civil, surtout le long de la vallée du fleuve. C’est pourquoi ce nouveau recensement est accueilli par les populations négro-africaines avec beaucoup de méfiance.
Moussa Diop
Source : Le Quotidien de Nouakchott le 23/12/2010